Calixthe Beyala vient de publier chez Stock un nouveau roman. Il a pour titre "Tu t'appelleras Tanga". Nous avons rencontré l'auteur. |
Vous voilà devenue un auteur à succès. Calixthe Beyala, pouvez-vous nous dire quel a été le facteur moteur qui vous a poussée vers l'écriture?
A vrai dire, je ne sais pas. Comme toutes celles qui se sentent mal dans leur peau, j'ai fait n'importe quoi. A l'école entre autres, des études d'espagnol... J'ai été mannequin, vendeuse, fleuriste. Et puis un matin, j'avais des choses à dire, alors je me suis mise à écrire. Sans doute que mon tempérament de solitaire est à la base de ce besoin d'écriture. J'aime la solitude et j'ai toujours l'impression d'être habitée, par des images qui défilent dans ma tête.
D'où vient ce goût de la solitude?
J'ai grandi toute seule avec pour seule compagnie, ma soeur de 11 ans; elle était de 4 ans mon aînée, alors vous comprenez...
Vous m'étonnez. Est-ce possible d'être sans famille en Afrique?
Pourtant, il y a beaucoup d'enfants abandonnés en Afrique; tels les «bagayindé» au Cameroun. On n'en parle pas assez, c'est dommage. Les sociétés africaines pratiquent beaucoup la solidarité, c'est vrai. Mais l'enfant est une valeur marchande chez nous, et s'il n'apporte rien, il n'entre pas dans le cercle familial.
Et comment avez-vous pu faire des études normales, et vous en sortir?
J'ai eu beaucoup de chance, ce qui n'a pas été le cas de ma soeur. Je n'aimais pas l'école, et un instituteur qui m'avait remarquée m'envoyais chercher chaque fois que je m'absentais et me fouettait tellement, que j'ai fini par comprendre. Je suis entrée au lycée et j'ai obtenu une bourse, après le reste a suivi. Et à l'âge de 17 ans je suis venue en France.
Calixthe vous vivez de quoi?
De ma plume.
D'autres qui écrivent depuis plus longtemps sont obligés de travailler pour arrondir leurs fins de mois...
Disons que je me vends bien. Mon livre est tiré à 20 000 exemplaires sans compter les traductions, les projets de films etc...
Où trouvez-vous le temps d'écrire?
Je n'ai que le temps d'écrire. Je me lève à 4 h du matin, et j'écris jusqu'à 13h, parfois minuit. De toutes façons, je ne dors pas plus de 4 h par nuit, ce qui dans ma journée représente beaucoup d'heures de vie devant soi, alors je m'approprie le luxe de faire tout ce que je veux. Simple discipline de vie.
"C'est le soleil qui a brûlé ma peau" tel est le titre de votre premier livre. Avez-vous connu les personnages... est-ce un roman autobiographique?
J'aurais pu connaître des cas, mais mes personnages sont le produit de mon imagination. Il s'agit d'une jeune fille de 19 ans, abandonnée par sa mère prostituée, et qui vit dans un bidonville d'Afrique. Elle regarde cette société où les femmes n'ont que la prostitution pour se défendre. Avec un oeil critique, j'essaie de leur redonner confiance. Je ne suis pas loin de cette héroïne qui regarde. J'ai beaucoup observé et le fait de ne pas avoir de poids familial derrière moi, m'a donné plus de liberté vis-à-vis de la société. Personne n'étant responsable de moi, mes rapports se limitaient aux services que je rendais. En retour, on me donnait à manger. Donc j'avais le privilège de pénétrer dans tous les foyers et d'écouter les conversations...
Que recherchez-vous dans l'écriture?
Je crois que dans l'écriture, on cherche avant tout à se connaître, à communiquer quelquechose, qu'on a découvert et qu'on ne peut garder pour soi. C'est à la fois, un accomplissement, une remise en cause permanente de soi et des autres. Il y a une connaissance profonde qui passe par l'écriture qu'on ne retrouve pas avec la parole. Le fait de s'asseoir est déjà un geste contraignant en soi; une contrainte qui nous amène à une réflexion que ne permet pas l'expression orale. Le mot prononcé verbalement n'est pas la chose, tandis que le mot écrit rappelle la dimension de la parole.
A quel moment écrivez-vous: lorsque vous êtes en super forme et inspirée sans doute?
Si on attend d'être inspiré, on n'écrira jamais. Pourtant l'inspiration existe; mais mieux vaut compter avec une discipline personnelle. Tous les matins, habillée du même peignoir, je refais les mêmes gestes, derrière les volets fermés de mon appartement, sans lumière du jour, (même en plein jour). Je travaille dans un silence complet, la tasse de thé posée d'une certaine façon et pas autrement.
Est-ce que vous faites un plan?
Je ne fais pas de plan. Ce que j'ai à dire doit venir naturellement. Vous savez, un personnage se nourrit de lui-même, il a son dynamisme propre, qui le porte indépendemment de nous. A chaque ligne il dicte sa volonté. Le plus drôle est que l'on peut avoir envie de perpétuer un personnage par exemple, mais lui décrète qu'il va mourir. Et vous êtes obligé d'optempérer, sinon votre histoire n'a plus de sens.
Vous êtes publiée chez Stock. Quelles sont les démarches que vous avez effectuées avant d'être acceptée?
Aucune. J'ai envoyé mon manuscrit, voilà tout.
Ainsi vous avez misé sur l'audace...!
De toutes façons, je n'ai rien à perdre dans la vie, je ne pourrais plus tomber plus bas.
Avez-vous été surprise en apprenant que vous alliez être publiée?
Non. Je n'ai même pas eu le culot de marchander.
Superstitieuse?
Oui je touche souvent du bois.
Votre succès a-t-il changé quelquechose dans votre vie?
Malheureusement, non.