CALIXTHE BEYALA
ET SON PETIT PRINCE DE BELLEVILLE
Calixthe Beyala - qu'on ne présente plus aux lectrices d'Amina - vient de publier un nouveau livre, "Le petit prince de Belleville", aux éditions Albin Michel. |
Fidèle à elle-même, l'auteur de "C'est le soleil qui m'a brûlée", jette un regard espiègle, tantôt doux-amer, mais toujours enchanteurs, sur les personnages et les situations qui constituent la trame de son roman. Cela donne une fresque sociale dont les protagonistes évoluent dans le contexte bigarré, énigmatique et parfois désinvolte du quartier parisien de Belleville. A travers la virginité du narrateur le petit Mamadou Traoré, Calixthe Beyala nous entraîne dans l'univers d'une communauté africaine immigrée et nous installe dans les lieux-dits de la promiscuité, de la polygamie et de la difficulté d'être soi-même ailleurs que chez soi. L'on ne saurait en dire davantage sur un livre qui ne se résume pas, mais qui se lit, qui se déguste comme le saupiquet de notre grand-mère. Dans cet entretien à bâtons rompus, l'auteur nous parle de son dernier roman certes, mais aussi de sa profession de foi d'écrivain, de ses rapports avec l'écriture et de sa vision de certaines réalités.
Calixthe Beyala, un quatrième livre déjà. Décidément, vous êtes un auteur prolifique...
Je ne dirais pas que je suis un auteur prolifique. Je dirais que je ne suis pas une dilettante de l'écriture. C'est totalement différent. [...] Je consacre ma vie à l'écriture. Je ne fais rien d'autre qu'écrire. Toute ma vie est axée sur la littérature. A la limite, je ne publie pas très abondamment. J'ai un rythme d'un roman tous les deux ans. Une œuvre ne se construit pas avec un seul livre, mais avec une série de livres qui font qu'on peut suivre le cheminement d'un auteur. Les auteurs qui ne publient qu'un livre tous les deux ans ne sont pas des écrivains, mais des dilettantes de l'écriture.
Aussi bien, vous affirmez faire profession d'écrivain. Est-ce possible pour un auteur africain?
Oui. Je fais profession d'écrivain. Certes, je suis l'un des rares auteurs africains à faire de la littérature mon travail, mais si l'on replace le tout dans un contexte mondial, il y a bien des gens qui ne vivent que de leur plume. Je suis inscrite à la sécurité sociale en tant qu'écrivain. J'aurai ma retraite en tant qu'écrivain.
Pourquoi donc cette grande appétence pour la chose littéraire?
Pour l'amour et la passion d'écrire. A cause des expériences de la vie. C'est quelque chose qui ne s'explique pas. Quand on aime écrire, on aime le faire comme certains aiment peindre, danser, sortir en boîte. Evidemment, ce n'est pas comparable, sur le plan de la productivité et de l'utilité. Mais je dirais que l'écriture pour moi c'est une drogue. Ma vie est localisée autour. C'est mon univers. Et j'aimerais laisser non pas quatre romans, mais cinquante ou davantage s'il le faut.
Comment naît en vous ou chez vous l'idée d'un livre? Comment se concrétise cette idée?
J'ai tellement de choses à dire. J'ai tellement de sujets qui me trottinent dans la tête que je ne sais plus à la limite comment je vais les matérialiser. A peine ai-je fini un livre que j'ai quatre autres idées de livres dans la tête. Je n'ai pas de manuscrits dans un tiroir. Tous les livres que j'écris sortent. J'aborde le livre en professionnelle de l'écriture. Comme quelqu'un qui est convaincu de l'utilité de transmettre le vécu, de faire connaître un continent et un pays qui me sont chers. Et pour cela, le roman, mieux que l'essai, me paraît le genre le plus approprié dans la mesure où il permet de toucher un public très vaste.
Précisément, s'agissant de votre dernier roman "Le petit prince de Belleville", peut-on savoir ce qui se cachait derrière votre intention de l'écrire?
On voit toujours chez un écrivain des intentions cachées. C'est vrai. A un moment où l'on parlait beaucoup de l'intégration des Noirs et même d'assimilation, en tant que Négresse, cela me faisait sourire. A partir de mon quartier qui est Belleville, j'ai étudié la population noire. J'ai vu sa façon de vivre, les difficultés quelle rencontre. Je me suis dit: "On parle de l'intégration sans connaître ses difficultés". Et j'ai voulu me pencher sur ces difficultés. En même temps, j'ai voulu aussi montrer la puissance de la culture nègre. Dire que cette culture n'est pas si facile à détruire; car elle repose sur des idéologies, sur des connaissances. Sans oublier son aspect ancien, millénaire, qui s'incorpore totalement dans l'lindividu et l'inconscient collectif des Africains.
Et, pour restituer au public cette inention par ailleurs généreuse, vous avez choisi la virginité d'un enfant, le petit Mamadou Traoré...
Certes, j'ai choisi la virginité d'un enfant, mais cette virginité n'est pas totalement innocente. Car c'est l'une des personnes qui permet de transmettre des messages sans offusquer son entourage, même si ces messages sont tragiques et douloureux. Un adulte aurait du mal à restituer ses messages avec ses propres mots. J'ai mis un enfant au centre de mon livre, parce que les mots d'un enfant ont quelque chose de magique, de fantastique.
Et vous avez choisi pour cadre le Paris bigarré, coloré et énigmatique de Belleville...
Je ne parle pas de Paris en tant que tel. Je parle de l'Afrique transposée à Paris. Je parle des Nègres qui sont restés profondément attachés à leur continent, malgré les difficultés qu'ils rencontrent en France; et peut-être en raison de ces difficultés.
Ce faisant, vous écrivez sur les Africains pour les Africains ou sur les Africains pour les Européens? Pour quel public écrivez-vous?
Je n'écris a priori ni pour les Africains, ni pour les Européens. J'écris d'abord pour les hommes. Des hommes qui comprennent, qui ont une sensibilité. Qu'ils soient Noirs, Blancs, Rouges ou Jaunes. C'est très important. En lisant " Le petit prince de Belleville", le Noir d'Afrique y comprendra quelque chose, en tirera peut-être une leçon de tolérance vis-à-vis de l'immigré à Paris. Il s'agit, dans mon livre, du monde nègre, avec la description de situations africaines vécues à Paris. C'est comme çà que ça se passe à Belleville. Des africains y vivent avec deux, trois femmes, avec beaucoup d'enfants et des pratiques africaines très poussées, dans un environnement qui n'est pas des plus aisés.
Peut-on dire qu'au total, le vrai personnage central de votre roman, c'est l'immigration?
Je ne peux pas dire ça, parce que je ne fais jamais d'un phénomène, d'un événement, un personnage. Je fais des problèmes que rencontre l'être humain ma source d'inspiration. On retrouve ainsi dans ce livre le problème de la femme africaine transposée dans une société européenne et n'étant plus protégée par son milieu originel. Transposée dans une société complètement hostile, on voit comment elle essaie de d'en sortir. Sa vie quotidienne n'est pas toujours facile. Mais grâce à son ingéniosité, elle réussit à franchir les obstacles.
Ainsi, vous avez une pensée toute particulière pour la femme africaine...
Oui. Parce que la femme africaine a trois types de combats. D'abord elle doit se battre en tant que femme. Ensuite elle doit s'imposer en tant que femme noire. Enfin, elle doit se battre pour son intégration sociale. C'est sans doute l'être humain au monde qui a le plus de problèmes; mais en même temps, elle a beaucoup de poids. Ajoutons que le fantasme érotique lié à la femme noire n'arrange pas toujours les choses. J'en fais quotidiennement l'experience en tant qu'écrivain. Quand certains hommes me recontrent, ils se disent "c'est une femme noire, on peut sortir avec elle". Après, il se heurtent à un cerveau et il faut qu'ils réajustent leur jugement. Ça demande beaucoup de temps. Imaginez ce que cela peut donner pour des femmes qui ne sont pas forcément des intellectuelles ou des écrivains
Il est beaucoup question de polygamie dans votre roman. Parlez-vous ainsi de ce phénomène pour le fustiger ou pour l'exorciser en tant que problème?
Depuis que je suis en occident, j'ai appris à reconsidérer ce problème. C'est vrai que je continue à condamner la polygamie. Mais en voyant comment les Européens vivent avec une épouse et une maîtresse attitrée qu'ils vont voir de temps en temps, j'ai poussé la réflexion plus loin. Je me suis dit "finalement, l'Africain, avec ses deux ou trois femmes légitimes est quelque part plus honnête dans sa démarche. Car, lui au moins il prend ses responsabilités vis-à-vis de ces femmes et de leurs familles. Bien sûr, on peut dire ce qu'on pense. On peut dire qu'il n'est pas juste qu'un seul homme ait plusieurs femmes. Un homme ne mérite pas plus d'une femme. D'ailleurs, pour moi, une femme, c'est déjà beaucoup.
Vous le croyez vraiment?
Oui. Parce que j'ai toujours prôné la supériorité de la femme. Je ne peux me départir de cette conception. L'Afrique ne serait pas l'Afrique sans ses femmes. La femme, avec tout ce qu'elle produit comme travail, est le moteur de ce continent.
Il est également beaucoup question de différence dans votre roman. Et je suis tenté de vous demander si c'est finalement un livre sur la différence ou un livre pour la différence.
Je dirai que c'est une livre pour la différence. Certes, je suis partisane du métissage culturel. Mais j'aime bien que les gens restent eux-mêmes. Que la culture noire reste totalement nègre, afin que les Africains participent à l'universel avec un produit pur non encore frelaté. Il faut que l'Afrique participe à l'universel avec ce qu'elle a de plus cher en elle.
Croyez-vous à l'intégration?
Je crois qu'il est possible de créer un monde comme celui de Belleville que je décris. Avec des Noirs à côté des Blancs, tout en restant Nègres. Avec des Arabes, des Juifs qui se côtoient, tout en restant eux-mêmes dans une tolérance culturelle mutuelle. Je ne suis pas une partisane de l'assimilation à tout prix.
Y a-t-il un lien logique entre votre dernier roman et les trois qui l'ont précédé?
On dit souvent qu'un écrivain écrit toujours le même livre, qu'il en ait écrit cinquante ou cent. C'est toujours le même livre, abordé sous divers angles, avec des histoires chaque fois différentes. Le lien entre mes différents romans est constitué par les problèmes essentiels de la femme dans la société. Tout au long de mes trois premiers livres, je me suis interrogée sur ce qu'est l'homme africain. L'homme avec un grand H, non sexualisé. Je me suis beaucoup interrogée sur les traditions africaines, sur nos cultures. J'en suis arrivée à me dire qu'on peut évoluer sans dénigrer ce qui a été. L'Afrique, il faut le dire est un continent plongé dans l'Antiquité avec ses pieds et avec sa tête dans l'An 2000. Il faut faire avec. Car, toute autre forme de développement serait fictive. On ne peut pas dépouiller l'homme africain de son passé. Toute tentative dans ce sens en ferait une sorte de robot, d'humanoïde.
Les puristes et les critiques littéraires les plus délicats vous reprochent généralement de bafouer le style. Qu'en dites-vous?
Ces critiques ne savent pas lire. Car il est difficile de retranscrire un langage parlé, véridique où les mots ne font pas que se suivre et s'additionner les uns aux autres. Or c'est ce que je fais. Par ailleurs, mes œuvres sont étudiées dans plusieurs universités. On y parle d'une réinvention de la langue. Je n'utilise pas la langue de Baudelaire à l'état brut. Cette langue est élastique. Je la domine. Je la soumets à mes traditions, à ma culture, à mes visions, à mes fantasmes et j'en donne une langue tout à fait neuve. Mon succès est peut-être dû au fait que je donne un coup de pied dans la fourmilière. Je démontre mon autonomie linguistique. Le fait par exemple que j'introduise des termes africains dans mes livres ne semble pas gêner les lecteurs européens.
Pour terminer, est-ce que vous seriez d'accord qu'un jour, un de vos romans soit porté à l'écran, adapté au cinéma par un réalisateur?
Votre question vient un peu en retard. Déjà, "C'est le soleil qui m'a brûlée" va être porté à l'écran par une réalisatrice franco-italienne, Hellyet Pauze, qui travaille sur le scénario depuis quatre ans, avec un important budget. Et même "Le petit prince de Belleville" est actuellement en pourparlers pour une série télévisée.
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