Avec son dernier roman, la passionaria noire, comme on l'appelle, fait jaser le Tout Paris médiatique et people. L'auteur de L'homme qui m'offrit le ciel met sur la place publique une histoire somme toute banale, celle d'un amant qui abandonne sa maîtresse. Sauf que le roman est plus proche de la réalité qu'on ne le croit. |
"J'avais décidé voilà des années qu'il n'y aurait jamais de négociation autour de mon cœur. Que ma personne intime ne serait jamais l'objet de controverses ou de conflits, d'autant que ma naissance elle-même avait été source de délation". Voilà ce que vous déclariez, il y a quelques mois, à un hebdomadaire parisien ; mais avec la publication de ce livre, c'est exactement le contraire qui se passe ?
Votre impression n'est pas la bonne. Je n'ai rien négocié avec quiconque. J'avais décidé de ne m'occuper que de ma vie, de ma carrière, de mes enfants, de la gestion de la cité, des affaires. C'est toujours le cas. Mon héroïne, elle est entrée dans l'amour sans le calcul qui préserve de la déception. Il y a toujours une part de soi dans les histoires que l'on raconte. Comme nous tous, j'ai connu la déception amoureuse mais jamais au point de me sentir détruite. Il s'agit donc d'une histoire simple, mais dont l'impeccable réalisme est servi par mon écriture souvent pleine de poésie, malgré les désillusions, l'ingratitude, l'invraisemblable méchanceté humaine.
Pourquoi ce roman dérange-t-il ?
Il n'a rien d'exceptionnel, ce n'est pas un livre de circonstance. Est-ce parce qu'il est passionnel, je n'en sais rien. Est-ce que parce que c'est une histoire entre un homme de télévision et un écrivain noir ? Possible. Je vous rappelle que l'autofiction existe. L'auteur y met des parcelles de son histoire, de ses pensées, tout en conservant une part d'inspiration.
Mais l'histoire est-elle vraie ?
C'est tout simplement un Roméo et Juliette moderne. L'homme et la femme découvrent des sentiments. Le cœur ne prend pas de rides. C'est ce qui fait la beauté de ce texte. L'amour doit être une cerise sur le gâteau de la vie. Mais même sans cerise, le gâteau doit être bon ! Car c'est l'amour ou le manque d'amour qui guide une bonne partie des comportements humains. Pour reprendre la formule de Christian Bobin : "C'est toujours de l'amour dont nous souffrons, même quand nous croyons ne souffrir de rien."
Discours féministe ou fiction ?
Ce qui est dit n'est pas sordide. Ce n'est pas un livre de révélations, mais un livre de tendresse. Regardez, l'héroïne ne dit jamais du mal de François. Elle raconte juste les bons moments qu'ils ont passé ensemble, même si au final il y a de la déception. Elle ne déforme pas le personnage. Beaucoup de gens me disent : "C'est une histoire vécue, elle veut se venger". Je dis : "Non".
Vous a-t-on dit : "C'est incroyable, c'est mon histoire, ce sont mes sentiments. J'aurais pu écrire ce livre !" ?
Oui, c'est vrai. Beaucoup de gens se sont identifiés à mon personnage, sans doute parce que l'Amour est un sentiment universel. Je suis touchée de lire les commentaires des lecteurs et très sensible à leurs avis. Pour moi, l'écriture ne tire sa justification que lorsque l'on parvient à toucher les gens, les faire vibrer. Réussir à émouvoir, faire sourire, apporter du réconfort : voilà ma plus grande ambition en tant qu'auteur.
Etes-vous sur la défensive depuis cette affaire ?
Sur la défensive (rires). L'écriture est le lieu de l'expression de la liberté. Je n'ai pas à me censurer. Par conséquent, je ne saurais me limiter et ne cède à aucune pression. D'ailleurs si j'avais écouté la rumeur, le livre ne serait pas sorti. Je suis aujourd'hui dans une position confortable parce que j'ai un éditeur qui me protège. Le livre est comme je l'ai voulu, points, virgules, parenthèses et guillemets confondus.
Calixthe Beyala a-t-elle le souci de son image ?
A ce niveau, je n'ai aucun souci. J'ai toujours voulu être moi-même, combative et décidée. Je ne fais pas de la littérature militante parce que je ne veux pas briser ce qui est une œuvre d'art. Et puis dites-moi, de quel droit ne parlerais-je pas de l'amour ? C'est quand même l'amour qui mène le monde. C'est un thème récurrent.
Vous semblez n'avoir pas envie de plaire...
A force de plaire à tout le monde, on ne plaît plus à
personne. Plaire à qui ? Votre question n'a pas de sens. Vous agissez
comme ces censeurs que je connais. Je ne suis pas sortie du cadre de mon
travail littéraire. J'ai puisé dans mon quotidien. Ecrire c'est
traverser ses propres démons. Je n'ai jamais écrit pour faire
plaisir. Dans la grande chaîne humaine où nous sommes tous
inscrits, les femmes réagissent en disant : "J'ai vécu
çà". Nos besoins rencontrent ceux de l'autre. C'est ce qui fait
la colonne vertébrale d'un livre comme celui-là.
Les amies qui disent : "Finalement, il t'a rendu service, parce qu'il
était nul, vraiment nul. Tu n'aurais jamais pu compter sur lui dans les
moments difficiles, crois-moi. C'est le genre de mec qui ne vit que pour sa
petite personne, ses petites envies, ses projets. Et si tu contraries ses plans
un tout petit peu, il te jette", est-ce que ça aide à surmonter
la séparation à faire disparaître ses sentiments d'amour
?
Je pense que lorsque l'on aime sincèrement et profondément,
l'avis des proches n'a pas un impact très important. On est trop
absorbé par cet amour pour donner un crédit immédiat
à ces paroles. En revanche, je suis persuadée que malgré
tout, ces mots restent imprimés dans notre esprit. Et lorsqu'on a pris
un recul suffisant, il est probable que cela nous aide. Surmonter une
séparation, c'est accepter de se remettre en question, mais aussi
accepter de remettre en question l'autre. L'influence de l'entourage est
primordiale car cela nous rappelle que nous méritons d'être
heureux.
Je résume le propos de votre héros : "Je ne voudrais pas que l'on se fâche. Tu comptes énormément pour moi. ( ... ) Tu resteras toujours quelqu'un d'important pour moi. ( ... ) Je t'aime, tu sais bien que le t'aime, mais... ". Nombre de personnes quittées ont entendu ces paroles dans la bouche de l'autre. C'est quoi ce fameux "mais" ?
Ce "mais" est un "mot-boîte" dans lequel on peut tout et rien mettre lorsque l'on n'a pas d'arguments. Aussi, le silence suivant le "mais" exprime sans doute toute la culpabilité que l'on ressent quand on quitte quelqu'un et que l'on sait qu'on lui fait mal. A moins d'être totalement immature ou irrespectueux, on se doute bien qu'on va blesser en rejetant l'amour d'un être. La question que l'on peut se poser est : faut-il expliquer clairement à quelqu'un pourquoi on le quitte ou bien faut-il se réfugier dans des non-dits tout aussi vexants ? Chacun choisit son camp.
Que devons-nous en retenir ?
Je suis très prudente et je n'ai pas de conseil à donner. Je n'interviens pas en donneuse de leçon. Je crois que l'on va retenir l'universalité de ce livre qui me rappelle quelque part "La route de Madison". Mon héros est pris dans le carcan des préjugés, des pressions sociales. Oui, la pression sociale est très forte et la réalité nous rattrape par sa violence. Ce personnage masculin ressemble à tous les hommes du monde. Mais la douleur n'a pas de sexe, pas plus que la trahison.
Propos recueillis
par Jean-Jacques Seymour