Rencontre avec une femme fascinante et impressionnante. Fatou Biramah, auteur française d'origine togolaise nous dévoile son bouleversant parcours dans son dernier roman autobiographique Négresse. C'est une autobiographie à deux voix écrite avec la journaliste Sophie Blandinières qui met en scène Touna (Fatou) subissant une violence quotidienne aussi bien physique que psychologique. |
Pouvez-vous me présenter en quelques mots votre roman ?
C'est un roman autobiographique qui raconte le parcours chaotique d'une jeune femme d'origine togolaise en France.
La couverture du livre est frappante ! Je trouve que l'idée du tatouage est super. C'est innovant et tellement représentatif. Quand et comment avez-vous eu cette idée ?
Le tatouage est symbolique pour moi mais c'était également une façon de passer un message. Le tatouage ainsi que le casque colonial que je porte me représente et il représente la femme noire en général. C'est un peu de colonisation, d'esclavage, d'Afrique et de France.
Le personnage principal du roman s'appelle Touna. Pourquoi ?
Touna c'est moi. C'est le nom que m'a donné ma grand-mère maternelle. C'est le seul rapport que j'ai avec elle. D'ailleurs, le nom est tatoué sur mon cou.
Pour ceux qui n'ont pas vu cette fameuse émission où vous sortez de l'ombre en quelque sorte, pouvez-vous nous en dire plus ?
C'est une émission de télé-réalité sur Canal+ qui était diffusée en clair à partir de 20h10. Le but était de suivre Joey Starr dans son quotidien et je faisais partie de son quotidien. "Pendant 60 jours, on avait les caméras au cul!". J'étais pas d'accord au début mais je n'avais pas le choix: c'était Joey et son crew. J'ai demandé un droit d'image mais Farrand (Bastien), le manager, me l'a refusé. L'image qu'on donnait de moi était celle d'une pauvre petite négresse qui subissait tout ce que voulait Joey. Le livre est donc une façon pour moi de récupérer ma fierté, d'être en accord avec moi-même. On m'a exposée donc j'ai estimé que j'avais le droit de m'exposer personnellement. C'est comme une thérapie de groupe.
Ce livre n'est donc pas une façon de vous venger, de régler vos comptes ?
Ce n'est pas un règlement de compte ou alors c'est un règlement de compte avec moi-même. Je n'ai pas besoin de me venger. Je n'en veux qu'à moi-même qui ai laissé faire et c'est cela qui me dérange.
Avez-vous gardé des contacts avec les deux principaux personnages de votre livre (Spike et Djo) ?
Non ! Pour Djo, je n'ai plus de contact depuis longtemps et pour Spike, c'est depuis le livre.
Comment s'est passée l'écriture du livre ?
Sophie m'interviewait. Je lui ai raconté mon histoire. A ce qui pouvait être intéressant, on a ajouté des extraits de mon journal. C'est une autobiographie à deux voix. Je me suis servie d'un nègre, ce qui avait beaucoup plus d'originalité. Comme j'ai été une esclave qui ferme sa gueule, il fallait que mon nègre ait la parole, qu'il n'ait pas seulement la position d'un nègre, qu'il ait le droit de parler. C'est un nègre qui donne son avis avec mes mots. Elle n'a pas travesti mes propos, elle est restée fidèle à mes dires.
Est-ce que les gens de votre entourage connaissaient votre situation ?
Je suis discrète sur ce qui me concerne. Mes amis d'enfance ont été surpris et émus. Ils ne savaient pas. Mes proches sont désolés pour moi, et admiratifs à la fois, pour tout ce que j'ai pu endurer.
Dans mes recherches, j'ai appris que vous aviez déjà écrit un livre avec une autre personne Audrey Diwan, qui s'appelle "Confession d'un salaud". Est-ce qu'on peut dire qu'il y a un lien entre ces deux ouvrages ? Et pourquoi encore une co-écriture ?
Oui, il y a un lien. C'est comme une suite et la même histoire. Encore de la discrimination. Je mets le doigt sur tout ce que la société appelle facteur d'un échec social avec deux parcours différents d'un homme et d'une femme qui parlent de la même chose: comment la société nous entraîne dans des carcans et dans une spirale sociale qui ne nous permettent pas de sortir la tête de l'eau. C'est aussi une co-écriture car pour l'instant j'ai besoin d'aide pour écrire. Je ne connais pas les codes de l'édition ou de la littérature pour pouvoir structurer mon livre. Et je n'ai pas honte de demander de l'aide. Je ne me considère pas comme un écrivain mais comme quelqu'un qui écrit.
Pourquoi utiliser des pseudos derrière lesquels on devine très bien l'identité des deux personnages ?
Si les noms sont dévoilés, on a affaire à la justice. C'est de la diffamation. Donc, je n'ai pas utilisé les vrais noms mais je n'ai rien à cacher.
Vous éprouviez des sentiments pour Spike (DJ Spank) ? Est-ce que vous l'aimez encore aujourd'hui ?
Peut-être encore, mais ce sont des sentiments affectueux. Aujourd'hui, on ne se parle plus, ce livre était l'occasion pour lui de reconnaître ses erreurs et de s'en excuser. Mais il ne l'assume pas. Moi, j'assume. Je ne suis pas rancunière, je les considérais comme mes enfants. Le but était qu'ils soient à l'aise dans leur art et moi je m'occupais du reste. Je me sentais redevable car il m'avait donné un toit. Et c'est grâce à eux que je suis ce que je suis aujourd'hui.
Vous aviez également pris des coups par votre famille, avant. Est-ce que pour vous c'est la même situation qui se répète ?
Il y a une similitude dans les deux situations. C'est un parallèle entre la France et l'Afrique, entre la rue et le star-system. J'ai reproduit, adulte, ce que j'avais vécu étant enfant. Je connaissais la situation, cette position d'esclave, alors je l'ai reproduite, je savais faire et j'ai su m'en sortir, m'adapter à la situation. Le bourreau reste un bourreau et la victime reste une victime. Djo et moi, on a fait que de reproduire ce qu'on a vécu. Je ne les excuse pas mais je n'en veux qu'à moi.
Avez-vous revu vos parents depuis ?
Non, je suis parti à l'âge de 18 ans. Je leur en veux beaucoup ! Ce sont mes géniteurs et je suis leur progéniture. Mais, moi et mes sœurs, on recevait des coups tous les jours. C'est un cercle vicieux où je fermais ma gueule, je me suis laissé faire. Le seul tort qu'on avait, c'était d'exister. Ma mère disait: "Moi, quand j'étais jeune, je n'ai pas eu une vie heureuse alors je ne vois pas pourquoi vous l'auriez". Djo et Spike, je les excuse parce que je n'ai aucun lien familial avec eux alors que j'ai beaucoup de haine envers mes parents: normalement ils auraient dû m'aimer jusqu'à la rage. Moi je les déteste jusqu'à la rage. Je suis africaine mais également française, les coutumes ne sont donc pas les mêmes. J'ai mal et je crie ma douleur à travers ce bouquin.
De cette situation, vous en sortez renforcée ou affaiblie ?
Je me sens comme une wonderwoman : forte et déchargée d'un fardeau. Je me sens libre, émancipée et affranchie.
Quels sont vos projets ?
Je souhaite emmener et faire grandir ce livre. Je veux que ce roman aille dans les mains de tout le monde. C'est un témoignage vrai et si d'autres personnes se reconnaissent à travers ce livre, il peut être considéré comme une lueur d'espoir. Je continue le journalisme et j'aimerais faire de la télévision; je produis actuellement une grance artiste : Shane Kane dont vous entendrez parler prochainement.
Propos recueillis
par Stella Aura