Aurore Costa publie chez L'Harmattan "Nika l'Africaine" un gros roman de 522 pages qu'on dévore avec gourmandise. Elle nous transporte ainsi quelques siècles en arrière, juste avant que l'Afrique ne connaisse l'intrusion du colon. Elle dit quelles étaient les forces et les faiblesses de l'Afrique d'alors. Parmi les faiblesses : les souffrances des femmes aux quelles incombaient toutes sortes de fatigues : travaux des champs, travaux ménagers, enfants à élever, relations sexuelles plus subies que désirées car le mariage avait souvent été conclu sans leur consentement et avec un homme qui n'avait de cesse de rallonger la liste de ses épouses ... |
Aurore Costa, vous avez écrit "Nika l'Africaine", qui est comme un roman des origines. Parlez-nous donc de vous.
Je suis une Congolaise de Brazzaville, mais d'origine angolaise. Métisse d'un mélange parental de portugais-angolais-mozambicain. J'ai pris la nationalité congolaise à ma majorité. En effet, je suis arrivée au Congo à l'âge de trois mois. J'y ai fait toutes mes études et j'ai décroché une place de secrétaire de direction à la Société Lorraine de Travaux Publics Africains (L.T.P.A.) en 1972. Mais j'ai rejoint mon père en 1978 comme secrétaire de direction chez "Brossette & Valor". Pour des raisons financières, j'ai quitté mon père pour entrer à la S.E.P. (Société Equatoriale Pharmaceutique) où j'avais, en plus de mon travail de secrétaire, la gestion de la comptabilité. Malheureusement, j'ai dû quitter ce poste et mon pays lors des événements de juin 1997 (ndlr: début d'une guerre civile sanglante au Congo Brazzaville). Maintenant, je vis dans le Sud de la France avec mon époux et ma fille.
Pourquoi avoir attendu si longtemps avant de publier ce roman ?
Jusqu'à mon départ du Congo, j'étais très occupée par mes fonctions successives dans des entreprises privées qui me laissaient peu de temps disponible. Par ailleurs, au collège et au lycée mes professeurs de français étaient toujours excédés par le volume de pages qu'ils avaient à lire pour noter ma copie. Je courrais après mes idées, oubliant l'orthographe mais défendant mes opinions par de nombreux exemples transformés alors en récit. A 45 ans, j'ai revu le proviseur de mon lycée, qui connaissant mes facultés dans l'art de raconter des histoires, exprima son étonnement de ne pas me voir publier. Son avis me conforta dans mon envie d'écrire. Devenue, par la force du destin, mère au foyer, j'ai fait ma première tentative avec "Nika l'Africaine" qui, j'espère, enchantera mes lecteurs. Le thème est l'Afrique d'avant la colonisation. Je m'inspire des récits que me contaient mes grands-mères paternelle et maternelle alors que je n'étais qu'une enfant.
Vous revenez sur les débuts de la déportation des Noirs et sur les détresses morales qu'elle engendra...
Je n'ai pas la prétention de dire que Nika est un livre historique. Il faut le prendre comme un roman et rien d'autre. Je ne voudrais pas que mon livre soit à l'origine de nouveaux tiraillements entre les peuples. Des conflits il y en a déjà suffisamment. Les enfants des déportés africains rendent ceux du continent responsables de leur misère. Ils n'ignorent pourtant pas que, lors des guerres tribales, les prisonniers étaient faits esclaves et, lors de la traite négrière, c'était le plus souvent ces prisonniers de guerre qui étaient livrés aux négriers. Il y avait aussi des fois où ces négriers s'attaquaient eux- mêmes aux villages. De toutes les façons, nous avons tous souffert moralement et physiquement de ces événements. Aujourd'hui nous devons œuvrer pour la réconciliation des peuples. Et le 10 mai doit contribuer à l'unité, la réconciliation : celle des Noirs avec les Noirs déjà, puis des Noirs avec les Blancs. Moi qui suis issue des deux races, je ne peux prendre parti pour l'une ou l'autre. Mon cri pour les deux ne peut être que : respect, paix et considération.
La séparation d'avec les siens apparaît comme le thème-clé du roman. Peut-on lire "Nika l'Africaine" comme un hymne à la famille ?
C'est si beau de voir une famille nombreuse, surtout lorsqu'elle est unie. Un cercle de famille où on s'aide les uns les autres dans le bonheur et, surtout, le malheur. Quelle joie de pouvoir poser sa tête sur une épaule lorsqu'on est mal ! J'espère que l'Afrique restera fidèle à elle-même, c'est-à-dire : respect et dévouement envers les anciens; humanité et chaleur malgré les guerres qui nous divisent de plus en plus. La soi-disant "Civilisation" nous propose de bonnes choses, mais également de bien mauvaises. A cause des maîtres "argent et apparence", nous nous isolons, nous nous entre-tuons... Adieu la famille.
L'amour dans votre livre se trouve souvent pour ne pas dire toujours, hors des liens du mariage, un peu comme dans "La Princesse de Clèves" de Madame de Lafayette. C'est comme si vous vouliez exprimer la pensée qu'il faut se contenter de ce qu'on a, la véritable plénitude de l'amour n'étant pas de ce monde.
Ah ! L'amour! L'amour et ses interminables interrogations... Beaucoup confondent amour et désir. Sinon, comment expliquer tous ces drames, ces déchirements, ces divorces ? Pour ma part, j'ai constaté que dans un couple il y en avait toujours un qui aime plus que l'autre. Lorsque l'amour est Eros, il prend fin dès que ce désir érotique s'éteint. Aussitôt commencent les conflits, les infidélités, les incompréhensions. Ce n'est qu'à ce stade que l'on peut parler d'amour, du véritable amour, car à ce stade il exige plusieurs choses :
- le pardon. Lorsqu'il y a infidélité il faut chercher le pourquoi et non jeter la faute sur l'autre automatiquement, puis savoir pardonner.
- l'acceptation de l'autre avec ses défauts et ses qualités sans chercher à vouloir le changer mais plutôt tenter de le comprendre. En effet, lorsque le plaisir cesse et que l'habitude s'installe, les défauts se dévoilent nettement. Pourquoi vouloir alors tout casser ? Reprenez donc la barre et contentez-vous de voir ce qui vous plaît toujours et passez sur le reste. Ce n'est pas facile et cela demande un grand sacrifice.
- le sacrifice. La nature a fait l'homme fragile. Tel un chien qui bouge sa queue lorsqu'il voit son maître, l'homme en fait autant en voyant une femme exquise. Que faire face à cela si ce n'est continuer de vous donner à votre époux tout en jouant les aguicheuses afin de le récupérer si besoin est. Là aussi, ce n'est pas facile.
- le dévouement. Beaucoup de couples se brisent lorsque l'un des deux est gravement malade ou n'arrive plus à honorer l'autre ou encore lorsque l'amour, basé sur l'argent, vient à faire défaut. Le "Pour le meilleur et pour le pire" ou les liaisons durables signifieraient-ils obligatoirement : sexe, santé, fric ? C'est très difficile de rencontrer un amour de conte de fée. Comment, après tout cela, ne pas penser que la plénitude de l'amour n'est pas de ce monde.
Un dernier mot ?
Je remercie ceux qui m'ont encouragée à me dépasser pour écrire ce roman et, notamment Mme Cécile M. Le roman "Nika" n'a pas été écrit pour rabaisser une race. Je suis métisse et me dois de respecter et d'aimer mon côté blanc et mon côté noir. Ayant plus vécu du côté noir, je veux réhabiliter par mon livre l'Afrique précoloniale et montrer que les Noirs avaient une civilisation. Certes, elle était différente de celle des Occidentaux mais elle existait bien. Il aurait fallu la respecter et non la détruire.
Propos recueillis
par Liss Kihindou