Après sa première œuvre, "L'Afrique, un défi au féminin" (Editions Casbah, Alger, 1999), bien accueillie par les critiques, Diarra Oumou Armand Sangaré récidive. En effet, elle vient de publier "Les Nouvelles du pays, miroir d'une société" aux éditions Le Manuscrit (Paris 2006). Dans l'entretien qu'elle a accordé à notre correspondant elle parle de ses œuvres, de son engagement, de la littérature féminine... Interview... |
Qu'est-ce qui vous a inspiré le titre "Les Nouvelles du pays, miroir d'une société" ?
Après avoir lu l'ouvrage de l'écrivain malien Seydou Badian, Le Sang des Masques, j'ai été inspirée par son style qui fait l'originalité de son écriture, et par la méthode qu'il utilise pour donner à ses personnages un rôle spécifique dans ses romans. De même sa lecture des rapports sociaux explique le choix de techniques empruntées aux codes de la littérature orale traditionnelle. Codes liés à la rhétorique, à l'implication de l'auteur dans la production du texte. D'ailleurs, la manière dont ces éléments sont intégrés dans l'écriture, est propre à chaque auteur. Après donc la lecture du roman de Seydou Badian, j'ai orienté mes recherches vers les œuvres des auteurs africains. Toutefois, il est très difficile de se procurer les ouvrages de grands écrivains dans nos pays. Les nouvelles du pays, miroir d'une société est la concrétisation d'un travail qui touche la société, jetant la lumière sur le comportement, l'attitude de mes personnages.
Quels sont les thèmes contenus dans vos nouvelles ?
Les thèmes que je traite dans mes écrits sont tirés du
vécu quotidien. Dans mon premier recueil de nouvelles, publié en
1999 à Alger (Algérie), j'ai évoqué certains
thèmes comme la polygamie, l'immigration, l'éducation,
l'analphabétisme, la pauvreté, le chômage, les
problèmes qui touchent les enfants et les femmes. Dans Les nouvelles du
pays, miroir d'une société, j'utilise un style sobre,
linéaire, avec une clarté didactique. C'est un ensemble de textes
dans lesquels j'analyse le comportement de mes personnages au quotidien.
L'ouvrage est composé de douze histoires. Tout le long de mes
récits, je brise la barrière entre les personnages et ma propre
perception de l'environnement. Les emprunts à la technique de la
littérature orale et la présence des images métaphoriques
illustrent les faits de la vie quotidienne dans un univers où la
réalité côtoie la fiction. L'histoire de chaque personnage
me permet d'aborder des thèmes d'actualité. Je dresse ainsi un
tableau fictif où l'humour le dispute à la dérision pour
montrer l'émerveillent devant le vécu quotidien malgré les
pesanteurs sociales. L'idée centrale est que la préservation des
valeurs positives de la société ancestrale contribue au
bien-être spirituel de l'homme. Ainsi, la solidarité
peut-être un vecteur de développement durable. Ce
développement doit nécessairement passer par un travail
honnête et l'investissement de soi. Adolescente, j'étais
très attachée à mon grand père maternel qui
était un ancien combattant, Officier de l'armée. J'ai connu
à travers ce dernier, l'importance de la solidarité, l'entraide,
l'amour pour son prochain, le partage, l'honnêteté et les valeurs
de la communauté familiale.
Comment êtes-vous venue à l'écriture ?
J'ai toujours été fascinée par les écrits des romancières sénégalaises comme Mariama Bâ (Une si longue lettre), Aminata Sow Fall (La grève des bàttu) et Aminata Maïga Ka (En votre nom et au mien). Tout comme j'ai été séduite par les œuvres des Maliennes Awa Keita (Femme d'Afrique), Biniou Sanankoua (Un empire peul au 19e siècle, la diina au Macina), Adame Bâ Konaré (Dictionnaire des femmes célèbres du Mali) et Aminata Dramane Traoré (L'Etau, l'Afrique dans un monde sans frontières). J'admire également certains auteurs français comme Labruyère (Les caractères), Choderlos de Laclos (Les liaisons dangereuses) et Diderot (Jacques Le Fataliste). Les mercredis, après l'école, ma mère nous amenait (ma sœur, mon frère et moi) dans une librairie à Cococly-Mermoz pour nous faire découvrir le plaisir de la lecture. Le goût de la lecture fit naître en moi le désir de devenir auteur. Ce désir s'aiguisa au fil du temps. En Tunisie, j'avais gardé par devers moi, un cahier dans lequel je n'hésitais pas à écrire les idées que m'inspirait mon environnement. Cela devint par la suite la source de mon inspiration. Rêve d'enfance, l'écriture est devenue pour moi un mode d'expression culturelle qui montre mon attachement aux valeurs de ma société.
Qu'est-ce qui vous a inspirée dans votre œuvre, "Les nouvelles du pays, miroir d'une société" ?
Comme je l'ai dit plus haut, je m'inspire des réalités de la société. Et à partir de recherches sur le terrain, je crée un schéma ou la fiction est puisée de la réalité. Tout le récit est alors centré autour de personnages auxquels je donne vie presque instinctivement. Mon inspiration est orientée aussi vers les thèmes d'actualité comme l'immigration, l'éducation, la pauvreté, le quotidien des hommes, le problème du choix des valeurs, etc.
Est-il facile décrire pour une femme ?
L'écriture devient facile pour une femme à partir de l'instant où l'on se fixe un objectif précis qui est de capter l'intérêt du lecteur et de le tenir en haleine. Dans cette perspective, il faut se donner le moyen d'imaginer, de connaître la réaction du lecteur, donc savoir imaginer le type de lecteur que nous devons "affronter". Les écrits des femmes ont généralement comme centre d'intérêt les phénomènes socio-économiques et les thèmes d'actualité...
Les éditeurs font-ils facilement confiance aux femmes ?
Il ne s'agit pas nécessairement d'un déficit de confiance envers la femme, mais plutôt d'un déficit de structure adaptée aux exigences de publication de la littérature féminine. Le grand problème de la plupart des Maisons d'Editions en Afrique, c'est le fait de ne pas entreprendre les ajustements nécessaires au niveau de leur structure. Alors qu'aujourd'hui, à des milliers de kilomètres, on peut publier ses ouvrages grâce à la prouesse des nouvelles technologies de l'information.
Quel jugement portez-vous sur la littérature féminine africaine ?
Dans mon premier recueil de nouvelle, L'Afrique un défi au féminin, le premier chapitre est consacré à une rétrospective de la littérature féminine africaine d'expression française. Dans les années post-indépendance, les femmes étaient confrontées à l'analphabétisme. Et le poids de la tradition a beaucoup pesé sur certaines initiatives des femmes. Mais très vite, elles seront nombreuses à s'investir dans le champ des écrits historiques, économiques, éducatifs, sociaux de leur pays. Ainsi, elles joueront un rôle essentiel dans le processus de développement de l'univers littéraire et n'hésiteront pas à faire de leur plume une [...] arme pour la survie. Elles luttent aujourd'hui pour l'amélioration de la condition des femmes dans leur pays, plus précisément de l'Afrique. Elles remettent en question le statut personnel de la femme, de la vie quotidienne, familiale et professionnelle. Mais l'image de la femme reste au centre de tous les romans, essais, poésies, pièces de théâtre. La perception de la femme dans la littérature est centrée sur le combat en vue d'améliorer ses conditions. Le jugement que je porte sur la littérature féminine africaine, c'est qu'il y a une nette amélioration de l'apport des femmes dans ce domaine.
Quel peut être le rôle de la littérature dans l'émancipation de la femme ?
La littérature peut avoir un impact sur le comportement humain. Son apport est productif dans le sens où elle peut améliorer et transformer une condition de vie. La littérature apporte l'éclairage et le discernement nécessaires à la femme dans sa quête de l'émancipation dans le domaine juridique, économique et social. Le rôle de la littérature dans l'émancipation de la femme dans la zone rurale pourrait être déterminant, à condition de leur assurer l'éducation nécessaire. La littérature peut influencer voir transformer l'attitude et le comportement de la société envers la femme.
Vous considérez-vous comme une écrivaine engagée ?
Ecrivaine engagée, je le suis parce que je défends toujours la cause des faibles, des gens qui vivent leur problème dans le silence. J'ai toujours eu une vision optimiste des problèmes du monde. Tout peut se résoudre tant qu'il y a un brin d'espoir. Le regard pessimiste, je l'évite, puisqu'il nous mène à nous enfermer devant toute perspective.
Le mot de la fin ?
Je souhaite que les cultures dites "dominantes" laissent à la littérature des pays en développement, des pays africains en particulier, un espace pour leur permettre d'éclore. Une préférence doit être accordée à la littérature féminine. Un monde de diversité culturelle ne peut être qu'un monde riche dans lequel on a envie d'apprendre l'un de l'autre. Ce fait est avéré en particulier, s'agissant de la littérature.
Propos recueillis
par Moussa Bolly
PROFIL : Oumou Armand Diarra : une plume au service des nobles causes |
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Originaire de Faraba (Mali), Diarra Oumou Armand Sangaré est
née en 1967 à Belgrade (ex-Yougoslavie). Elle a fait ses
études entre le Mali, la Côte d'Ivoire et la Tunisie. Elle a
ensuite fréquenté la Faculté des Lettres et Sciences
Humaines de Tunis (Institut Bourguiba des Langues Vivantes). Dans ce dernier
établissement, elle a décroché un diplôme
universitaire de langues (chinois et italien) et de littérature en 1994
ainsi qu'un diplôme de maîtrise en langue et littérature
françaises, option sémiologie communication, didactique et
cinéma en 1996. Pendant ses études, elle a été la
secrétaire générale des étudiants maliens en
Tunisie.
"Avec la publication de son premier recueil de nouvelles, Oumou Armand Diarra a fait une entrée remarquée dans la prose malienne avec un titre révélateur qui donne l'allure au réveil tonitruant de l'esthétique féminine dans ce pays, le Mali" ! Le commentaire est du Docteur Cécile Dolisane Ebossé, critique littéraire. Et c'est l'analyse qu'elle faisait du premier ouvrage de la jeune écrivaine, "l'Afrique, un défi au féminin" (Editions Casbah, Alger 1999),
Sept ans après ce brillant coup d'essai, Oumou Armand Diarra récidive en publiant son second ouvrage, tout aussi sensationnel que le premier, "Les nouvelles du pays, miroir d'une société" (Editions, Le Manuscrit, Paris 2006). Une œuvre également bien accueillie par les critiques. D'une écriture simple et aérée, le style linéaire du second recueil de nouvelles emprunte les techniques de la littérature traditionnelle orale. Les personnages, l'énoncé, le discours du narrateur sont des signes à interpréter. Ce livre révèle surtout l'ingéniosité de l'auteur et son habileté à puiser dans le vécu de tous les jours. "Le parcours tumultueux de ses personnages entraîne le lecteur au cœur de leurs émotions. Un vrai régal pour les yeux, car il suscite une lecture active", reconnaît une consœur qui a eu le privilège de lire l'œuvre.
Le talent et le succès littéraire de Oumou Armand lui offrent de nombreuses opportunités. Ainsi, en octobre 2004, elle participe à la Conférence Internationale des écrivaines Noires à l'Université de New York. Une initiative qui, selon elle, permet aux femmes d'Afrique, d'Amérique et de la diaspora d'échanger leurs idées sur le thème de la globalisation. Et là, elle séduit par la cohérence de son raisonnement, le courage de sa prise de position et la pertinence des idées qu'elle y a défendues.
"L'ère de la mondialisation avec son corollaire de libéralisation du Commerce International est supposée donner une dimension globale, ouverte à la culture tout en supprimant les barrières culturelles entre les Etats. Toutefois, ce processus nécessite la mise en place de règles de jeu qui font que les droits d'auteurs sont respectés, la recherche, la création artistique et les innovations sont mieux protégées. C'est là tout l'enjeu des négociations du cycle d'Uruguay", avait rappelé Oumou au cours de cette conférence.
"La globalisation vise à assurer la libéralisation des biens culturels en leur donnant une valeur marchande et à promouvoir la recherche et la création. Mais, dans l'évolution actuelle du monde, il existe des cultures dominantes qui conquièrent de plus en plus d'espace. Tel est le cas de ta culture anglo-saxonne", avait-elle ajouté. Et à son avis, plusieurs raisons expliquent cette situation. L'une d'elle est que la langue anglaise s'est imposée comme une langue dominante dans le monde, par son dynamisme et par le fait que d'immenses moyens sont mis pour la création d'œuvres artistiques, littéraires, filmées...
Sans compter que certaines cultures sont restées minoritaires parce qu'elles sont véhiculées par les langues orales et sont restées sous l'emprise de la tradition, les privant de cet élan de créativité et d'enrichissement. "Plutôt que de favoriser l'interpénétration des cultures, les difficiles négociations du cycle d'Uruguay démontrent que la mondialisation ne profitera pas aux cultures dites minoritaires. Au contraire, elle pourrait provoquer leur lente disparition, assurant ainsi la suprématie de la culture dominante. Or, un monde uniforme sur le plan culturel est un monde ennuyeux. La culture est par excellence le domaine dans lequel la diversité est source de recherche et d'expression de tout un peuple", prévient la talentueuse écrivaine.
"Plus il y a de cultures, plus le monde est diversifié, plus il y a cette envie de découvrir. S'il n'y avait qu'une seule culture, personne n'envisagerait d'aller vers l'autre. C'est pourquoi, nous sommes d'accord avec la démarche de l'Unesco qui vise à préparer une Convention internationale sur le respect de la diversité culturelle", avait elle conclu sous de vives acclamations. Actuellement, Diarra Oumou Armand Sangaré se consacre à la recherche dans le domaine de la littérature africaine. Mais, elle ne cesse de donner de grandes leçons de vie à son lectorat. "L'espoir naît en nous quand nous avons cette ambition de devenir l'homme le plus puissant, le plus heureux, le plus riche de toute une génération. Mais, nous ignorons que le fait de devenir subitement puissant, riche et heureux peut engendrer une métamorphose chez l'être humain", avertit-elle surtout à l'attention de ses sœurs. En tout cas, pour la jeune et talentueuse écrivaine vivant de nos jours aux Etats-Unis, "la femme devra être combative, patiente et courageuse". Des valeurs que la nouvelle égérie de la littérature malienne et africaine incarne incontestablement. Moussa Bolly Ouvrages publiés: L'Afrique un défi au féminin, Editions Casbah, Alger, 1999. (Nouvelles) Les nouvelles du pays, miroir d'une société, Editions Le Manuscrit, Paris 2006. (Nouvelles) En cours de publication: Tradition et Modernité dans Le Sang des Masques de Seydou Badian et dans L'honneur de la tribu de Rachid Mimouni, Fondation Littéraire Fleur de Lys, Canada (Etude littéraire). |