"UN SIÈCLE D'AGONIE"
DE STELLA ENGAMA:
UNE AUBAINE POUR LES ARCHIVES CAMEROUNAISES!
PREMIER TOME D'UNE TRILOGIE, CE ROMAN EST UNE FRESQUE HISTORIQUE, TIRÉE DES CONFESSIONS D'UNE AUTHENTIQUE REINE ETON (TRIBU BETI DU CENTRE DU CAMEROUN). |
"Dieu, que devrais-je dire à nos ancêtres lors de mon départ prochain au sujet de cette conspiration du silence planant autour d'eux? Tous oubliés. Enfouis à tout jamais dans les mémoires hermétiquement fermées de l'histoire des peuples. Tous, chefs traditonnels glorieux, puissants guerriers oubliés! Ceci me révolte et je veux à travers toi, briser ce mur. Mon histoire, ton histoire, celle de tous, la voici. Désormais, tu en détiendras les lourds secrets".
Ce fut le cri d'une Reine à sa petite fille, l'auteur. Et la genèse du précis historique de Stella Engama qui vient à point nommé combler un vide: l'édition africaine est pauvre en révélations sur la vie des figures emblématiques de nos sociétés ancestrales.
L'épopée d'une chefferie Eton (ethnie charismatique du centre du Cameroun) nous est ainsi servie, à travers le royaume de Tsanga Manga Ko chef traditonnel et visionnaire. Un chef avide de conquêtes territoriales, fin stratège qui mettra à mal les poussées expansionnistes du colonisateur au siècle dernier.
Ce faisant, Stella Engama pose les jalons de sa mission: narrer l'odyssée de sa grand-mère dont le destin se confond avec l'aventure coloniale: la reine Nga Ndongo Oleme est l'épouse de Awono Ko Tsanga Manga, digne successeur de son père. Née au pied d'un fromager, épargnée miraculeusement par un guérisseur, ami de son père, Nga Ndongo Oleme devient la propriété de son sauveur... jusqu'à sa puberté. Puis elle refuse ce "mariage obligatoire, imposé par les parents afin de sceller des alliances familliales". Son destin pense-t-elle est tout autre, alors elle décide de s'enfuir. Là débute sa quête. "Comme le fleuve de mon enfance", dira-t-elle, "je savais que mon "cours" irait imperturbablement vers mon destin que nul ne pourra dévier de sa trajectoire".
Téméraire, intelligente et de surcroît très belle, elle trouve refuge chez sa tante Biyebe, épouse favorite du chef Awono Ko Tsanga. Tour à tour demoiselle d'honneur de la Reine, guérisseuse du Roi, elle parvient avec la bénédiction de sa tante, incapable de procréer, à occuper le statut très envié de favorite du Roi. Elle sera initiée - après sa première maternité - et ira chercher la sagesse dans la clairière "Engueguen".
Nga Ndongo Oleme, centenaire lors de sa disparition en février 1992 ressemble étrangement à une amazone des temps modernes. Stella Engama, par souci de ne point dénaturer son récit a préféré publier cette fresque sociologique à compte d'auteur. Un pari louable, dont le principal mérite consiste à mettre en lumière les pratiques en vigueur dans la cour du Roi, "les sabbats noctures", les rites, l'organisation administrative. Un vaste éclairage donc, qui colle à l'actualité politique du pays où l'on parle d'une réhabilitation des chefferies traditonnelles, via une réforme constitutionnelle qui leur permettrait de siéger au Sénat. Est-ce réellement aberrant? Stella Engama prend position! Sur le sujet et bien d'autres...
Qu'est-ce qui, dans les confessions de votre grand-mère, vous a le plus bouleversée?
Le fait qu'elle-même et tous ceux qui ont mis en place notre société aient été oubliés de nos mémoires. Je ne vais pas en croisade, mais j'ai jugé qu'il était primordial de rétablir la vérité, de les sortir de l'oubli. De plus, certains disent que dans nos sociétés actuelles règne l'anarchie. Mon ouvrage permet de témoigner que cela n'a pas toujours été ainsi. Les confessions de l'héroïne prouvent par exemple qu'il a existé une culture Eton, authentique et de façon plus globale, une culture Beti. On y découvre l'existence d'un environnement permettant de s'épanouir totalement, parce que régi par des règles, possédant une structure: une administration, des notables, des prisons, des tribunaux.
Peut-on y voir un clin d'oeil à l'actualité camerounaise qui veut qu'une réhabilitation de ces instituions soit à l'ordre du jour?
J'estime personnellement que cette organisation traditionnelle, communément désignée par le terme de chefferie pourrait incarner la décentralisation tant souhaitée au Cameroun, voire dans toute l'Afrique. Je crois que ces chefferies demeurent reconnues par le peuple, fonctionnent selon des règles bien définies, et le pouvoir des chefs n'y est pas remis en cause.
Tous les personnages de votre roman sont pourvus de "quatre yeux". Ce sont des visionnaires. Doit-on en conclure que la sorcellerie est/fut la particularité de ces sociétés?
Je crois surtout que c'est une réalité universelle. Même si un soubassement culturel rend plus réceptif à la pratique...De tout temps, en tous lieux, il y a eu des communautés d'initiés qui ont occupé une place à part et joué un rôle probant. Que ce soit en Orient - avec les théosophes - ou encore en Occident; de nos jours les cercles fermés et les confréries religieuses élaborent des règlements internes qui les régentent et forment des initiés ou des hommes "éclairés". Ne sont-ils pas eux aussi dotés de "quatre yeux"?
Que donnera donc, à votre avis, une "cohabitation" d'initiés en pratiques occultes et de non-initiés autour d'une institution comme le sénat?
A chacun sa spécialité. L'environnement traditionnel s'accomode fort bien au modernisme. Ne voyez-vous pas les citadins puiser aux sources ou encore tous ces camerounais qui, ayant vécu en ville, retournent inéluctablement au village pour les rites et autres pratiques occultes? Les enfants naissent dans les maternités et les individus sont enterrés dans les villages. La cérémonie d'inhumation relevant toujours de la tradition. Ceci est un signe éloquent.
Au delà du cheminement de la Reine, qui représente pour vous un attachement familial, que peut bien cacher ce relent de féminisme qui se dégage de votre roman à travers des thèmes tels que la souffrance de la femme, son sacrifice permanent?
C'est bien là, une preuve que je ne fais pas que l'apologie du passé. Je m'intéresse davantage à la vie des femmes de cette époque, nos mères, nos grand-mères, nos arrières-grand-mères. Alex Haley dans son ouvrage "Roots", par la narration de l'histoire de sa famille nous a permis de mieux appréhender les conditions dans lesquelles les esclaves africains étaient déportés aux Etats-Unis. Je me suis, en outre, enrichie personnellement, au contact de ces confessions. Je peux par exemple vous citer ma descendance, jusqu'à la cinquième génération. Aujourd'hui, des généalogistes font fortune en occident parce qu'ils répondent à ce désir croissant chez les uns et les autres. Ce besoin de savoir qui nous sommes, d'où nous venons? Et aussi où nous allons.
Autre enseignement, sous forme d'anecdote: mon père était administrateur, et à ce titre, ma mère reçoit une pension de veuve. La reine Nga Ndongo Oleme, ma grand-mère, n'a jamais bénéficié d'une pareille disposition. Un jour, elle a interpellé ma mère en lui disant: "c'est vrai que ton époux a beaucoup travaillé pour le pays. Mais le miens s'est sacrifié, pour que survive la lignée". Non seulement on n'en parle pas, mais on ne me permet même pas de survivre. Croyez-moi, je ne le savais pas. J'ai eu à méditer là-dessus.
Faites-vous partie de la "meute" de femmes qui estiment, face au relatif échec des dirigeants africains après trente années d'indépendance, qu'il est temps de passer la main aux... femmes?
Je dirais avec Aragon - écrivain français - que "la femme est l'avenir de l'homme". Par ailleurs, pensez-vous que les femmes dans leur ensemble soient constituées en "meute" prêtes à ravir le pouvoir des hommes? J'en doute... Que chacune d'entre nous choisisse son cheval de bataille et serve une cause. Ce sera une vie bien remplie.
Quelle autre cause peut aujourd'hui mobiliser votre énergie?
A mon avis, le problème qui devrait mobiliser toutes les énergies est celui de la santé. Il faut des moyens certes, et nous sommes de surcroît en crise. Mais, un simple local dans un quartier, où l'on mettrait des gens capables de donner des conseils gratuits aux malades contribuerait à une légère amélioration. Ils informeraient, consulteraient et éduqueraient. Dans les familles modestes, se rendre à l'hôpital est un drame. Parce que le prix de la seule consultation est déjà exorbitant par rapport au pouvoir d'achat. L'exemple de l'Etat cubain pourrait faire école dans ce domaine particulier.
Est-ce la raison pour laquelle, bien qu'étant juriste de formation, vous avez créé et vous dirigez la Fondation Universelle Stella Engama pour l'Education, la Culture et le Sport - FUSEE - dont l'enjeu est d'abord la formation des jeunes?
Effectivement. Je recherchais un cadre juridique, pour mener à bien mes activités, dans le domaine de l'éducation qui est un pari vital dans toutes les sociétés. Parce que je suis persuadée que le bénévolat à l'instar du droit humanitaire constitue l'avenir de nos pays en dévloppement. J'ai voulu modestement servir d'exemple. Je disposais déjà de locaux, reçus en héritage de mon grand père. Dans ma démarche, il y avait aussi le souci d'exercer une activité qui dépasse les problèmes de carrière. Avec cette fondation, j'ai atteint cet objectif. J'emploie une vingtaine d'enseignants (tous bénévoles), dont le niveau d'études est remarquable. Ils reçoivent une faible rémunération, que je considère plus comme une allocation. Ma fondation est en somme une organisation, destinée à fournir un enseignement de qualité, moyennant une pension symbolique de 20 000 F CFA par an. Pour l'instant, nous avons une école maternelle, une école primaire et un collège comportant le premier cycle et le secondaire. Je projette aussi de mettre en place un internat. Hélas, les mécènes sont de plus en plus rares. Je dois vous avouer que j'écris aussi pour la fondation, afin de financer ses projets. Je lance ici un appel à toutes les bonnes volontés afin qu'elles viennent découvrir notre fondation sise au zoo de Mvog-Betsi près du marché de Melen à Yaoundé.
Pourquoi avoir préféré le genre historique pour votre première parution?
J'ai écrit à ce jour plusieurs romans inédits dans des genres différents. Mon problème se situe au niveau des éditeurs. Vont-ils suivre? Je ne pourrai pas tout publier à compte d'auteur. J'attends des propositions des maisons d'édition.
Si la dynastie d'Awono Ko Manga avait survécu, quel rang occuperiez-vous? Et regrettez-vous cette appartenance à la royauté?
Les blancs ont bien raison de dire: "Bonne renommée vaut mieux que ceinture dorée..." Je suis issue d'une grande dynastie qui demeure présente malgré les vicissitudes. Au demeurant, on naît princesse envers et contre tous. Cependant cela n'est pas une fin en soi. Seul le mérite personnel compte en définitive.
A quand la suite "d'un siècle d'agonie"?
Bientôt, car elle est déjà sous presse.
Retour à la page de Madame Engama | Autres interviews publiées par AMINA | Retour à la liste générale des auteurs | Retour à la page d'accueil | Retour au haut de la page