Depuis son départ du gouvernement, Aimée Gnali se partage entre ses cours dans un institut de Pointe-Noire, l'écriture et ses lectures. De taille moyenne, le teint chocolat, l'ancienne fonctionnaire de l'Unesco vit au quartier Mpita. Chez elle, pas de gardien. La maîtresse" de maison vous accueille elle-même avec une gentillesse et une simplicité déconcertantes et vous installe dans son agréable salon entièrement meublé et décoré à l'Africaine. La villa, bâtie au milieu d'une petite forêt, est paisible. On se croirait coupé de la grouillante Pointe-Noire. C'est ici que l'écrivain Aimé Gnali nous a donné les raisons de son départ du gouvernement et nous a parlé de son récit Beto na Beto, une oeuvre tour à tour intime et historique. |
Vous n'êtes plus ministre, vous n'êtes plus députée. Quel sentiment vous anime en ce moment ?
Je suis bien parce que c'est moi qui ai demandé à partir et j'avais annoncé avant mon départ que je n'étais plus candidate à rien. C'est vrai que quand en est en dehors du système, on n'a aucune prise sur les événements, mais quand on est à l'intérieur, on n'en a pas davantage.
On croit qu'on peut faire des choses mais en fait on est très limité. Je suis contente parce que j'ai maintenant du temps libre pour réfléchir et mettre par écrit le fruit de mon expérience. Je ne suis plus sous pression comme je l'étais et je me porte mieux physiquement.
Avez-vous des regrets... Des projets qui n'ont pas abouti ?
Oui. Mais je crois que même en restant, ces projets n'auraient pas abouti ; c'est d'ailleurs pour cela que je suis partie. Quand on a l'espoir qu'avec un peu de temps les choses vont s'arranger, ça vaut la peine de rester. Je suis partie et je constate que les mêmes erreurs se répètent. Prenons le cas du FESPAM : c'est un événement qui a lieu tous les deux ans mais on en parle seulement un mois avant; et un mois après, c'est fini ; or le FESPAM n'est pas ponctuel. C'est un festival qui devrait même être intégré dans l'économie du pays. En France, le festival de Cannes ne se prépare pas au mois de mai de l'année où il a lieu ! Le Fespaco non plus ! Vous voyez... Partout où il y a des festivals, il y a des activités permanentes avec des spectacles, des réunions, des séminaires etc., bref, c'est une activité continue. Chez nous, ça viendra peut-être avec le temps. Remarquez, nous sortions de la guerre au moment où je suis arrivée au gouvernement.
Tout le temps que j'ai passé au ministère de la culture, je me suis plainte du fait qu'il n'y avait pas assez d'infrastructures d'accueil, pas assez d'hôtels dans le pays, pas de maison de la culture, pas de salle de fêtes.
Jusqu'à quand va-t-on continuer à tenir le FESPAM sans une maison de la culture sans musée ? Et je n'ai pas ouï-dire qu'il y avait une première pierre qui avait été posée quelque part pour commencer quelque chose. Donc vous voyez tout ce que je déplorais, on continue à le déplorer ! Alors je me dis que même si j'étais restée, qu'est-ce que cela aurait changé? Mon successeur, je le connais bien, c'est un homme compétent qui aime ce qu'il fait et je suppose que s'il y a des choses qu'il n'a pas encore pu faire, il n'y a pas d'espoir pour l'instant.
Pensez-vous qu'on ne puisse réaliser quelque chose que si l'on est Président de la République ?
Tout dépend du domaine où on se situe. Moi je n'ai pas pu réaliser tout ce que je voulais pour des raisons budgétaires. D'ailleurs, on se demande ce qui est prioritaire chez nous. Pour moi, dans un contexte de lutte contre la pauvreté, l'éducation devrait être prioritaire mais apparemment ce n'est pas le cas. En principe, si on présente un dossier bien ficelé qui reçoit l'aval de tout le monde, on doit pouvoir dégager des moyens.
Et si nous parlions de Beto na Beto, votre récit ? Le fait d'écrire, pour vous, relève-t-il d'une démarche de dénonciation ou plutôt d'observation de la société congolaise ?
Je vais vous dire comment est né le récitBeto na Beto. En fait, je l'avais en tête depuis longtemps, j'y songeais de temps en temps et je jetais quelques notes sur papier, mais le déclic s'est fait lors de la conférence nationale, quand j'ai vu comment les Congolais parlaient de certaines choses sans les connaître. J'ai donc voulu témoigner de la bonne foi, des bons sentiments de quelqu'un - Lazare Matsocota - qui s'était lancé dans la lutte et ce qu'il en était advenu.
J'avais commencé mollement et je ne me suis vraiment décidée qu'après la guerre de 1993, lorsque je me suis rendu compte que les mêmes stupidités et les mêmes erreurs se répétaient avec les milices. J'ai vraiment eu peur. Je me suis dit qu'il fallait aller au bout de ce récit et montrer que les origines de cette situation se trouvent dans les événements de 1965. L'impunité qui a accompagné le manque d'élucidation des événements à ce moment là fait que les Congolais se sont dit qu'après tout on pouvait faire ce qu'on voulait, tuer qui l'on veut sans être inquiété. Beto na Beto est en fait un témoignage personnel, un devoir de mémoire car vous savez, on n'a jamais parlé des événements de 1965. Les jeunes nés en 1970 n'en savent rien et c'est grave, cette espèce de silence qu'on jette comme ça sur des événements qui ont marqué l'histoire du Congo. Il y a quand même trois personnalités qui ont été tuées, mais on n'en parle pas.
Comment vos collègues ministres ont-ils accueilli votre livre ?
Je n'ai pas eu de réactions de la part de mes collègues. Il faut dire que je ne l'ai pas offert à tout le monde, mais je sais qu'il y en a qui l'ont acheté parce que j'ai fait des dédicaces. Au Congo, on ne commente pas tellement les livres. On vous dit tout simplement que c'est bien et vous ne savez pas si c'est par gentillesse ou si c'est par politesse.
N'est-ce pas une lourde responsabilité d'être la première femme politique à dénoncer des faits comme vous l'avez fait ?
J'estime que tout intellectuel devrait avoir le courage de dénoncer des faits. Le Congo compte de nombreux écrivains qui relatent la réalité sous forme humoristique ou sous forme de fiction. Mon récit est un témoignage historique et je ne pouvais pas user de la fiction ou utiliser des noms d'emprunt. Ce n'est pas sans danger d'écrire comme je l'ai fait car on s'expose à des droits de réponse et des contestations, mais chaque auteur est libre de choisir le style qui lui convient.
Auriez-vous écrit si le Congo n'avait pas connu de guerres ?
Je crois effectivement que je n'aurais pas écrit en dépit de ma dette vis-à-vis de Matsocota parce qu'il y avait une histoire personnelle.
Le tribalisme est la gangrène de votre récit, que pensez-vous personnellement de ce fléau ?
Je crois que le tribalisme au Congo passerait inaperçu s'il n'était pas le fait de la lutte politique. Ce sont les hommes politiques qui, lorsque ça les arrange, montent les Congolais les uns contre les autres. Chez nous, autrefois, quand un match était gagné, on ne cherchait pas à connaître l'appartenance tribale de tel ou tel footballeur. Ici les Congolais sont fiers de leurs écrivains, de leurs peintres et de leurs musiciens indépendamment de leur région d'origine. Il y a des tribus où il n'y a pas d'artistes mais cela ne gêne personne. Le tribalisme a commencé au Congo au moment où certains Congolais ont commencé à s'enrichir. Jusque dans les années 70 nous étions tous à peu près égaux mais à partir du moment où le pétrole s'est mis à couler, certains ont commencé à s'enrichir on ne sait pas trop comment, de grosses fortunes ont commencé à cohabiter avec une extrême pauvreté. Le tribalisme a connu une certaine recrudescence. Le tribalisme est quelque chose d'artificiel qui a été exploité. A un certain moment, il fallait être de la tribu du Président pour obtenir une bourse.
Pensez-vous comme certains que l'Afrique a besoin de mystiques, pour guider les jeunes ?
Non, pas du tout mais cela vient du désespoir, de la pauvreté. L'avenir est bouché et les gens se réfugient dans la religion. C'est un phénomène qui naît avec la misère. Autrefois, on avait deux grandes communautés : les catholiques et les protestants. Maintenant, il y a des tas d'autres communautés. On promet du travail pour les chômeurs, la santé pour les malades qu'on sort parfois de l'hôpital et qu'on traîne dans des veillées de prières, des maris et des enfants pour les célibataires...
Parlant de mariage, la femme africaine se met en valeur grâce à un lourd bagage intellectuel mais on a l'impression que ses diplômes ne lui suffisent pas car elle a besoin d'un homme pour une vie meilleure. Que pensez-vous de ce comportement ?
En Afrique, ne pas être mariée pour une femme, c'est très difficile. C'est mal vu. Il y a des femmes qui sont persuadées qu'effectivement pour leur protection, pour leur avenir, pour pouvoir être reconnue dans la société, il leur faut être affublée d'un mari. C'est vrai que pour faire des enfants, il en faut un. Moi, je n'ai qu'une fille et je n'ai pas voulu en faire d'autres parce que j'étais célibataire. Mais aujourd'hui les choses ont évolué et on rencontre des mères célibataires avec quatre ou cinq enfants de pères différents. Personnellement, cela ne me gêne pas, mais les hommes finissent par ne pas vous prendre au sérieux. C'est cette situation que j'ai voulu éviter.
Les Congolaises pensent qu'il leur est difficile de percer en politique parce qu'elles n'ont pas les moyens de mener à bien leur campagne. Etes-vous de cet avis ?
Les femmes doivent se battre pour que les campagnes se fassent autrement. Nous avons des campagnes qui ne correspondent pas à notre niveau de vie. Des candidats ont dépensé des millions et ça n'est pas normal ! Il faut voter une loi qui limite les dépenses électorales sinon ne passeront que ceux qui ont de l'argent ; le gouvernement sera fait uniquement de personnes nanties et nous aurons les mêmes ! En ce moment, on parle de promouvoir les jeunes, mais quels sont ces jeunes qui trouveront 500.000 francs CFA ou un million à mettre dans une campagne? C'est dur pour les femmes, mais je crois qu'elles doivent se situer sur un autre terrain. Le problème, c'est qu'il n'y a pas de solidarité entre les femmes et sans quotas, elles ne s'en sortiront pas.
Si on vous rappelait dans le gouvernement, que feriez-vous ?
Je ne pense pas qu'on ait besoin de moi et même si on me rappelait, je poserais des conditions.
Propos recueillis
par Nicole Mikolo