Une citronnelle dans la neige
L'écriture féminine fait son chemin en Afrique, prenant la relève des mémoires de maîtrise, des thèses rédigées par les hommes et jusque-là consacrés à la condition de la femme. Mais cette littérature des femmes écrivains, née du désir légitime de ne plus s'en laisser chanter, demeurera longtemps encore marquée par le ton féministe de dénonciation des injustices passées ou encore subies par les femmes.
«Une citronnelle dans la neige» premier ouvrage de Gisèle Hountondji, jeune Beninoise, interprète de conférence, licenciée en anglais, paru récemment aux Nouvelles éditions africaines et consacré au racisme, rompt avec ce ton féministe de dénonciation en même temps qu'il annonce - nous l'espérons - un renouvellement de l'écriture féminine en Afrique.
Dans notre entretien, Mlle Hountondji nous révèle ses intentions, sa conception de la lutte contre le racisme et pour l'émancipation de la femme.
«Personnellement, dit-elle, j'aurais voulu voir une littérature encore plus abondante contre le racisme, pour obtenir un recul plus rapide du phénomène et une prise de conscience accrue des couches populaires. Voilà pourquoi j'ai adopté dans mon livre une approche au ras des pâquerettes afin d'atteindre le plus grand nombre de jeunes et d'âmes de bonne volonté. Dès l'âge de dix ans, on peut lire «Une citronnelle dans la neige». Je l'ai voulu ainsi, afin d'atteindre le plus de jeunes possible. Car ce sont eux qui constituent l'espoir de demain. La lutte contre le racisme, pour être efficace, doit commencer dès l'enfance.
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Le racime, écrivez-vous, ne risque pas de disparaître de sitôt. Doit-on pour autant comprendre que le racisme est une fatalité, que l'homme est condamné à subir?
Le racisme n'est pas une fatalité. Il n'y a qu'à prendre le cas des Etats-Unis d'Amérique, l'histoire de ce pays, la guerre de sécession, l'abolition de l'esclavage...Le cas des Etats-Unis est très significatif pour l'histoire du racisme et de la ségrégation raciale.
Martin Luther King a lutté et beaucoup d'autres Noirs encore...
Le Kuklux Klan a existé et subsiste, mais au fil des ans, il perd du terrain bien que certains Noirs américains continuent d'être victimes du racisme. La lutte continue. Nous avons connu des ambassadeurs noirs américains...
Pour moi tout cela symbolise en quelque sorte le recul du racisme, un peu plus qu'une lueur d'espoir tout court. Qui sait dans combien de temps l'Afrique du Sud pourra ressembler à un New York où aujourd'hui Blancs et Noirs se côtoient, se mélangent indifféremment?
Votre ouvrage est axé sur le racisme. Il y a un ton inhabituel dans les écrits des femmes africaines qui ont plutôt tendance à dénoncer les injustices dont les femmes sont victimes de la part des hommes. Comment expliquez-vous votre option?
Mon livre est axé sur le racisme, un sujet qui concerne les femmes et les hommes. Il s'adresse à un public plus large que celui restreint des femmes. Les injustices dont les femmes sont victimes pourront faire en partie l'objet de mon prochain ouvrage.
Mais je pense que plutôt que de se plaindre, les femmes feraient mieux d'apprendre à se défendre efficacement et pour cela elles ont besoin d'étudier et de mieux connaître les hommes, leurs points faibles, leurs aspirations, bref..., ce qui se passe dans la tête des hommes.
Dans votre livre, vous n'êtes pas tendre avec vos soeurs analphabètes.
Etant féministe, je ne suis pas tendre avec les femmes qui se reposent sur un homme pour faire leur bonheur. Je veux parler de celles analphabètes ou non, qui prennent leur corps pour une marchandise à vendre et naturellement n'arrêtent pas de poudrer et de saupoudrer leur corps pour que la marchandise soit présentable à l'homme qui veut bien y attribuer quelque valeur et l'acheter.
Je ne veux pas parler uniquement de celles qui, pour une raison ou une autre, sont amenées à faire le trottoir, mais aussi de celles que j'appelle les «prostituées légales» qui, après un mariage non pas d'amour mais de raison, restent à la charge entière de leur mari. J'estime qu'il s'agit là d'une insulte à la dignité de la femme. Car un corps, ça ne se vend pas, ça se partage et les enfants ne se font pas seuls: ils se font à deux. On ne se fait pas mettre enceinte dans l'espoir d'obtenir de l'argent pour la nourriture. Cette mentalité est hélas! trop ancrée dans la tête de certaines... C'est très avilissant. Le mariage n'est pas un commerce. La femme a des potentialités d'épanouissement plus grandes. Moi j'y crois. Je ne la conçois pas comme une éternelle assistée. Elle peut et doit se prendre en charge et être responsable de ses actes. Il y a des jours où cela pèse à un homme de devoir donner tout son salaire pour nourrir une famille entière. Néanmoins, certains hommes se laissent prendre au piège: ils supportent tout ce poids économique pour montrer qu'ils sont grands, forts et puissants. Que la femme se libère, je crois qu'il y va tout à fait de l'intérêt des hommes!