Thsiala, authentique représentante de l'élite locale
post-coloniale portugaise de Luanda, cette jeune et coquette femme se voit dans
l'obligation de quitter son pays mis à feu et à sang par
l'armée cubaine --au moment précis où ironie du sort -
celui-ci accède à l'indépendance...
Réfugiée au Zalire voisin, elle assiste impuissante aux exactions d'une armée zaïroise affamée, s'attaquant à une population civile angolaise sans défense. C'est là que commence en réalité le véritable destin d'une femme meurtrie dans son âme et sa chair, agissant sous assistance d'un génie protecteur qui se présente sous l'appellation de "Ivi". C'est son histoire que retrace le quatrième ouvrage de cette talentueuse écrivain angolaise, qui a fait le choix délibéré de n'écrire que dans la langue de Molière. Elle met pour la première fois en évidence le traumatisme collectif des femmes angolaises à cause d'une guerre interminable qui a laissé sur son passage des millions d'orphelins et de veuves inconsolables, à l'instar de l'héroïne de ce roman écrit au vitriol dans un style incisif. |
Pourquoi dénoncez-vous l'absence de solidarité du peuple zaïrois en franchissant la frontière à Songolo?
Les militaires zaïrois ont en effet dépouillé les civils angolais (bijoux, argent montres, voitures .. ). Thsiala pense avoir échappé à la vigilance de l'armée zaïroise grâce à son génie protecteur. Je vous rappelle que la majorité de femmes ont été violées et que d'autres ont eu un sort encore plus dramatique. Elles ont disparu.
Au moment où le délégué de la Croix-Rouge française retrouve ses traces au Zaïre et vient la chercher pour lui donner des nouvelles de son mari réfugié en Fance, pourquoi Thsiala est-elle en état de choc ?
Elle est désespérée et n'y croit presque plus. Ils se sont séparés à Mbanza-Kongo (Capitale du royaume du Kongo), situé à 60 km de la frontière. Tout a été bombardé. Tout le monde a été tué. Pendant deux ans, elle est sans nouvelle de lui. Elle n'a plus aucun espoir. Elle se préparait à rentrer en Angola quand on vient lui annoncer que son mari souhaite qu'elle puisse la rejoindre en France. Elle est traumatisée par les événements qu'elle a traversés.
On note chez elle un réel septicisme en arrivant en France où elle retrouve une certaine sécurité.
Elle a toujours vécu dans de superbes maisons aux toitures imposantes avec une immense cour et un jardin. Elle se sent étouffée dans un studio. Son mari et elle ne s'aiment plus, mais se sentent solidaires d'un passé commun. Heureusement que leurs quatre enfants sont du voyage pour leur rappeler une union qui n'existe plus que de nom. Ils vont y rester quelque temps avant d'être bernés par un Algérien qui leur avait promis un logement décent
Le fait pour votre héroïne de commencer du études d'infirmière à 33 ans ne la place-t-elle pas en décalage par rapport à ses collègues stagiaires plus jeunes. Une partie des difficultés qu'elle rencontre à ce moment précis ne découle-t-elle pas de cette situation particulière ?
Dans certaines occasions, oui. Elle a été professeur de collège, mais elle a du mal à suivre parcequ'elle se trouve face à un nouveau système de langage. Elle est différente parce qu'elle s'exprime avec un accent très prononcé. Elle est timide et ne comprend pas tout. Il faut rappeler que Thsiala est issue d'un système colonial de cinq siècles d'apartheid. Le système colonial portugais était encore plus dangereux que le système d'Afrique-du-Sud, parce qu'il ne disait pas son nom. La classification entre la couleur de la peau régissait les rapports sociaux et entre les individus. Les Noirs ou (Indigena) étaient en bas de l'échelle, suivis de près par les Cafuso (Noirs à la peau claire), puis par les Métis (enfants issus d'un mélange entre Blanc et Noir), les Cabrito Métis et Blanc) et Pardo (Cabrito et Blanc). Les Portugais Blancs se sont hissés au sommet de la pyramide. La scolarité des enfants se faisant en fonction de la couleur de la peau, les Noirs n'avaient pas le droit d'aller à l'école officielle. On leur apprenait à se renier et à prier. Bref, à être un peuple de soumis.
Connaissant l'univers professionnel dans lequel elle allait évoluer après sa formation d'infirmière, les agissements de Mme Caléto (la responsable des stages) ne sont-ils pas dans une certaine mesure des attitudes pédagogiques. ? Pourquoi refuse-t-elle de signer le rapport de fin de stage de la jeune Africaine?
Elle affirme ne l'avoir pas vu travailler, alors qu'elle lui a demandé d'effectuer des tâches ménagères, de s'occuper de son chien, tout cela pour ne pas lui donner une note en rapport avec ses compétences. Je vous rappelle que nous étions trois stagiaires, deux Blanches et une Noire, toutes élèves infirmières. Heureusement que mes collègues ont pris ma défense ...
Tshiala signifie un langue kimbundu 'témoin oculaire de toutes tribulations'. Croyez-vous à l'influence du nom dans la vie de celui qui le porte ?
Le nom en Afrique centrale est un acte d'identité. Si j'affirme que je suis Banda Dia Kassembé devant un observateur averti, ce dernier saura tout de suite que j'aurai ainsi décliné: ma région d'origine, ma ligne sociale et l'histoire de ma famille...
Les Jaunes, les Blancs, les Noirs ont tous une odeur caractéristique. Pourquoi la collègue infirmière de Thsiala déclare-t-elle qu'elle pue?
C'est une méchante collègue jalouse, parce les malades apprécient la douceur et la gentillesse de Thsiala.
Pourquoi cette dernière va-t-elle s'en prendre à son mari?
Parce que c'est une femme malade. Elle est en pleine dépression et tant qu'elle va évoluer clans l'univers hospitalier, elle va rester dépressive. C'est à la retraite qu'elle pourra entamer son véritable projet de vie.
Thsiala, l'enracinée (2001)
Contact Actions Cultures Croisées: 1, avenue
Maurice-de-Vlaminck, 77680 Roissy-en-Brie.
Propos recueillis
par Florence Dini