Thèrèse Kuoh relit avec nous
Rencontres essentielles
Mme Thérèse Kuoh est une femme qui échappe à toute définition parce qu'elle est débordante. Et c'est ce qu'elle a cherché à être dans la vie. |
L'auteur de deux livres et de plusieurs articles parus dans des ouvrages de collaboration, elle est arrivée à l'écriture par le biais de la poésie. Elle reconnaît volontiers que dans la vie courante, elle a une certaine propension au rêve. Elle écrit surtout pour se faire plaisir et non pour un public donné. Elle pense d'ailleurs qu'un livre naît toujours du désir qu'on éprouve de s'écrire, du plaisir qu'on a d'écrire soi-même et de communiquer.
«Rencontres essentielles» est son premier roman, un texte fait en 1956, abandonné puis repris. Lorsqu'elle a voulu l'éditer en 1960, elle n'a trouvé personne, le monde de l'édition lui étant alors inconnu. Ce n'est qu'en 1968 que la maison Adamaou l'a édité.
Mme Kuoh, chez-vous, les titres ne sont jamais choisis au hasard. Alors pourquoi «Rencontres essentielles»?
Parce que c'est une rencontre de plusieurs images de femmes que j'ai connues, rêvées, imaginées... C'est ce qui explique que 'Rencontres' soit au pluriel. Essentielles parce que j'ai longtemps vécu avec ces personnages, pratiquement de 1958 à 1968. Vous savez, chaque être a des amis qui sont les personnages qu'il se crée dans son lit, sa salle de bains, etc... On sait par exemple qu'il y a des attitudes, des mots qu'on n'adopte que lorsqu'on est tout seul. On revit souvent des scènes vécues parfois pendant l'adolescence où existaient des amis avec lesquels on sympathisait ou avec qui on était toujours en concurrence. On les retrouve beaucoup plus tard et chaque fois que l'on fait quelque chose, c'est toujours avec eux. La psychanalyse a bien mis en évidence que ces personnes que l'on transporte avec soi et qui vous collent à la peau jouent un rôle qui n'est pas néglibeable dans vos échecs ou vos succès.
Avec «Les couples dominos» vous avez surtout traité de la sexualité. Qu'avez-vous voulu faire avec «Rencontres essentielles», quel sens avez-vous voulu donner à l'ouvrage?
J'ai fait une création avec mes idées de l'époque sur la jeune fille, la femme, le mariage, le couple, etc...; les chances et les malchances des femmes de cette époque, sur leurs responsablilités, les contraintes qui pesaient sur elles. Tous ces éléments sont suffisamment effleurés dans ce petit roman pour provoquer un dialogue.
Comment se traduisaient concrètement les contraintes des filles il y a 20 ans et plus?
A cette époque, nous faisions des études: notre chemin était tout tracé. Notre vie était sans doute meilleure que celle des femmes qui nous ont précédées parce qu'il me semble que nous avions plus de possibilités. En 1956, on n'empêchait aucune fille de passer des examens comme les garçons, alors que nos soeurs aînées et nos mères n'avaient pas eu cette chance,. Nous pouvions espérer au bout de notre route, rencontrer un prince charmant, l'épouser... Le mariage était une ouverture aussi bien sur le plan matériel que sur le plan moral: un idéal plus rêvé que vécu. C'était tout ce qu'une femme pourrait investir aujourd'hui sur le mariage, plus encore que les données de l'époque.
Vous pensez qu'au 20ème siècle on rêve encore au prince charmant?
Oui, et je remercie Dieu que les femmes puissent encore rêver au prince charmant. Je crois que ce qui différencie la femme de mon époque de la jeune fille de 18 ans d'aujourd'hui est que cette dernière est plus réaliste face au romantisme de l'époque.
Nous étions des filles issues le plus souvent de ménages polygames. Beaucoup, même si elles n'osaient pas l'exprimer, rêvaient de couples monogames. La polygamie était pour nous un problème alors que ce n'est plus le cas aujourd'hui.
Il y avait aussi le choix des métiers: On se cantonnait aux métiers dits spécifiquement féminins qui ont d'ailleurs leur mérite (et qui ont été pour nos pays de véritables soubassements) alors qu'aujourd'hui la femme peut devenir médecin, ingénieur, tout ce qu'elle veut, parce que dès le départ, elle a la possibilité matérielle et tout l'équipement social qui lui permet d'avoir des bourses etc...
Les rapports hommes-femmes ayant beaucoup changé, il y a plus d'ouverture pour ces dernières. Autrefois, il n'était pas rare que les jeunes femmes appellent leurs époux «Monsieur», elles avaient un respect, une déférence en s'adressant à eux, tandis que maintenant les garçons sont autant leurs copains que les filles.
L'ideal était, lorsqu'on était sage-femme par exemple, d'épouser un médecin parce qu'on se sentait plus protégée par quelqu'un qui avait un niveau d'instruction plus élevé que soi; mais surtout parce qu'on ne pouvait épouser quelqu'un d'un niveau inférieur à soi... sans tenir compte de ces éléments. De mon temps on se mariait dans son clan ethnique, sa tribu. Aujourd'hui les couples se forment de manière plus libre, ils s'acceptent avec leurs différences. En général, nous étions plus à l'écoute de nos parents, de la société, du qu'en-dira-t-on, que les jeunes filles de maintenant qui ont pris en main leurs destins. Pour elles, l'individu semble compter davantage.
La définition des libertés a changé. Les libertés qu'on se donne ne rencontrent plus la même opposition sociale, qu'il y a 20 ans. Il y a comme une plus grande exigence de bonheur. Les enfants de mon époque étaient plus serrés, plus vissés, plus moulés. Les parents et les éducateurs sont devenus plus tolérants.
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