TITA MANDELEAU
"LA FEMME SENEGALAISE JOUIT DE SA FEMINITE AVEC UN ART CONSOMME"
AVEC SON LIVRE "SIGNARE ANNA" TITA MANDELEAU MONTRE QU'ELLE CONNAIT BIEN LA VILLE ET LES HABITANTS DE SAINT-LOUIS AINSI, D'AILLEURS, QUE LA FEMME SENEGALAISE. C'EST SUR CES SUJETS QUE NOUS AVONS OBTENU D'EXCELLENTES REPONSES DE L'AUTEUR. |
En lisant "Signare ANNA", on se prend à regretter que Saint-Louis ne grouille pas aujourd'hui de cette vie qu'elle a connue et que vous décrivez. Ce livre vise-t-il à réveiller les vieilles familles Saint-Louisiennes afin qu'elles redonnent une âme à une ville qui se meurt?
Si vous n'allez à Saint-Louis qu'en période de week-end vous ne pouvez juger la ville qu'agonisante (Dakar produit d'ailleurs le même effet) parce que tout le temps le Saint-Lousien a su goûter au "farniente" dominical. Mais la ville grouille d'animation pendant la semaine en revanche. En ce moment, elle grouille plutôt du bruit des marteaux piqueurs et de la bétonneuse. Elle est devenue un chantier cacophonique avec ses trottoirs avec leurs jolies bordures de briques rouges. Ce sera déjà "un grand pas d'accompli".
Les habitants ont pris conscience de la nécessité de réveiller la Belle-au-bois-dormant demeurée trop longtemps sous le choc du fameux "transfert" de 1958. Traumatisée, Saint-Louis était une ville sinistrée qui ne distinguait plus son univers que sous deux aspects: avant le transfert et après le transfert. Celle-ci n'avait pas compris que depuis la construction du premier gouvernement de la loi-cadre, elle n'était plus qu'une capitale en sursis.
Il ne faut pas oublier que Saint-Louis abritait à la fois le gouvernement du Sénégal et celui de la Mauritanie; qu'elle était à la fois la capitale du Sénégal et le chef-lieu de la Mauritanie (Nouackchott était encore en gestation sous les sables). Rendu responsable de ce désastre, Mamadou Dia recevra d'ailleurs de la part des "Enfants de NDAR" un accueil qui n'avait plus rien de commun avec la traditionnelle Téranga sénégalaise. (NDAR est le nom traditionnel de Saint-Louis.)
Bon gré, mal gré, les fonctionnaires furent contraints de se repositionner sur Dakar, la nouvelle capitale du Sénégal avec tous les drames et les conséquences qu'une émigration d'une pareille ampleur a pu entraîner au sein de familles brutalement atomisées.
Emportant avec eux la nostalgie du bon vieux temps, la majeure partie de ces "dakarois nouveaux" continua à transmettre à sa progéniture, l'image persistant à la considérer comme la vraie capitale du Sénégal, et, par extrapolation typiquement Saint-Louisienne, comme le vrai centre de l'Univers. Aujourd'hui les enfants de ces exilés d'hier s'appliquent à retrouver le temps perdu et restaurent la maison familiale (s'il n'y a pas trop d'héritiers!) ou achètent une nouvelle maison dans la "capitale de l'élégance et du bon goût", titre qu'on ne peut pas lui enlever.
Cette prise de conscience fait des émules et commence à stimuler le "diom" (l'honneur) de ceux qui se morfondaient depuis plus de 30 ans dans le fatalisme et la désillusion. C'est ainsi qu'aujourd'hui vous voyez les gens de Ndar ravaler au moins la façade de leurs maisons ou de leur concessio avec les moyens du bord.
Vous constaterez que ma contribution - si contribution il y a - au réveil de Saint-Louis et de ses vieilles familles n'est qu'une pincée de sel jetée dans la marmite où mijotait déjà la sauce aux gombos du "lao-lao".
Je fais cependant des voeux pour qu'une société de voirie vienne enfin au secours des femmes qui balaient consciencieusement le devant de leur porte jusqu'au bord de leur trottoir en vain?
La Signare de votre livre ressemble à celle de la légende: belle, nonchalente, sensuelle, amoureuse à souhait et "rouée" sur les bords. Est-ce que pour vous la Saint-Lousienne d'aujourd'hui a totalement changé?
Ah! Que les clichés ont la vie dure. Mais il n'y a pas de fumée sans feu, hélas! Je vais vous raconter à ce propos une petite "historiette comme le disait la Marquise de Sévigné qui est drôle et qui m'aura divertie". Après l'annonce des résultats du Grand Prix du Président de la République pour les lettres, quelques amies sénégalaises m'ont invitée à un "MBOTAYE" (réception à la sénégalaise) où nous avons beaucoup parlé de la femme de Ndar évidemment. Si les Saint-Louisiennes présentes stigmatisaient leurs redoutables talents, les autres manifestaient plus de méfiance que de sympathie envers la femme de Ndar.
Parmi celles-ci, une très belle femme d'une parfaite élégance et qui semblait très sûre d'elle même, s'est soudain déchaînée: son mari, fonctionnaire de haut rang, avait été nommé à Saint-Louis. Catastrophe! Bien entendu, elle avait tenu à l'accompagner dans cette ville pleine de "houris" le jour de son départ de Dakar et ne l'avait pas lâché un seul jour jusqu'à sa nouvelle mutation à Dakar.
"En tout cas, je voudrais vous dire que pas une fois au cours de ces trois années passées à Saint-Louis, je n'ai accepté de recevoir une femme de Ndar dans mon intimité. Pas une seule fois, vous m'entendez? Non mais... qui est fou ici, comme disent les Ivoiriens?"
Au-delà des attributs classiques de séductrice invétérée dévolus à la Signare dans la littérature dite "exotique", j'ai cherché à montrer que, quoique "gueuse" en apparence, elle avait déjà à cette époque un sens aigu du rôle qu'elle avait à jouer dans la société de cette ville de garnison qu'était Saint-Louis, et surtout une présence de sa position future au sein de la classe bourgeoise qui émergeait.
La Saint-Lousienne a toujours été politicienne dans l'âme, et la Signare, qui n'était pas obligatoirement métisse, mais qui se devait de posséder le label "femme aisée" avait la tête aussi bien faite que le corps.
En page 150, vous écrivez à propos de l'infidélité: "En définitive, une Signare était davantage captive de ses esclaves que le contraire." Qu'avez-vous voulu dire?
Doublement captive de ses esclaves, la Signare l'était d'un point de vue économique et d'un point de vue sociologique.
A) Les signes extérieurs de richesse étaient basés, avant tout, sur le nombre d'esclaves dénombré dans une concession. La femme en vue, ambitieuse, entretenue par un de ceux qui détenaient le pouvoir économique, c'est-à-dire par un blanc, devait mériter son titre de Signare.
Elle habitait, de fait plutôt que de droit, une tapade clôturée qui devait être pleine comme un oeuf, de captifs de case. Ceux-ci se satisfaisaient fort bien de cette vie d'autant plus agréable qu'ils étaient assurés d'avoir le gîte et le couvert gratuits, d'autant plus sécurisante que leur progéniture faisait partie intégrante de la famille des maîtres.
Lors d'événements heureux, comme un mariage, ils pouvaient faire partie de la dot et rejoindre la fille ou le fils de la Signare auxquel(le) ils étaient attachés depuis l'enfance. Lors d'événements tristes, comme le décès de la Signare, il était traditionnel d'affranchir quelques-uns de ses esclaves: celui qu'elle préférait, celui qui avait fait preuve de fidélité et de loyauté envers elle, ou encore celui qui était devenu trop vieux pour assumer encore des charges.
Les "enfants de Ndar" avaient la réputation de ne jamais revendre leurs captifs. Aussi cette charge qui pesait lourdement sur les épaules de la Signare, l'enfermait irrémédiablement dans le cycle infernal richesse = nombre d'esclaves = entretien des esclaves = maintien du rang social = richesse... etc.
B) La domesticité qui gravitait dans l'entourage familier et l'intimité de la Signare, formait en apparence un groupe dévoué soit par conviction, soit par opportunisme. La Signare était enfermée dans une atmosphère de médisances ramenées de l'extérieur par ces captifs qui allaient et venaient à travers l'Ile.
Les rapports insidieux et souvent perfides que lui fournissaient également sa domesticité sur les moindres faits et gestes des habitants de sa propre concession, l'obligeaient à vivre dans un climat permanent de soupçons et de méfiance. Constamment dans une relation ambigüe de dominant/dominé, elle devenait peu à peu paranoïaque et une proie facile pour ceux qui, parmi ses captifs, avaient le génie de la manipulation.
Dans votre livre, si les catholiques n'aiment pas les Anglais protestants, si les musulmans restent farouchement mahométans, tous se retrouvent pour continuer à invoquer les esprits du fleuve, de la mer, de la terre. A quoi cela est-il dû, car il me semble que cela continue en 1992?
La religion traditionnelle, je veux dire de base, a perduré à travers les siècles et possédé des racines profondes conservées à travers le continent noir. Cela en dépit des religions importées que sont l'islam d'abord et le christianisme plus tard.
Les gris-gris où sont gravés les paroles du Coran, l'eau avec laquelle est lavée la table couverte de versets du livre, rappellent les médailles pieuses, les scapulaires appelant la protection de l'Esprit-Saint ou de la Vierge Marie sur ses ouailles pécheresses par nature. Le bâptême du nouveau chrétien avec l'emploi d'eau et de sel ressemble étrangement aux offrandes des esprits tutélaires, la dévotion aux grands masques, l'eau versée sur la terre des ancêtres, la nourriture dispersée avec humilité aux génies de la nature glorifiée depuis l'aube des temps.
Il suffit de voir la ferveur avec laquelle le Pape a été reçu par la population chrétienne et le respect avec lequel les musulmans l'ont accueilli pour comprendre que l'oecuménisme est établi dans le oeur des sénégalais sous le vocable de tolérance. Il est donc naturel qu'il y ait ce phénomène d'osmose entre ces croyances fondamentales (qualifiées d'animisme ici, de fétichisme ailleurs) et les religions adoptées puis adaptées.
Comment jugez-vous la femme sénégalaise?
Voilà une bonne question (comme disent les américains devant une question-piège). Aussi vais-je répondre alors que je voudrais être impartiale et sévère, critique et laudative à la fois.
Avez-vous un autre ouvrage en chantier ou prêt à être publié?
J'en ai deux sous le coude. Le premier est une série d'anecdotes autobiographiques sur mon enfance à Fort-de-France et à Saint-Louis. On dit que le premier ouvrage écrit est toujours anecdotique. Cela permet sans doute de se faire la main plus facilement. Je n'ai donc pas failli à la tradition. Le second est un recueil de contes ramenés d'Abidjan dans mes bagages. Quant à la suite de SIGNARE ANNA... Dieu est Grand.
Tita Mandeleau est née à Fort-de-France. Son père, étant magistrat de la France d'outre mer, est nommé président du tribunal de Saint-Louis en 1947. Elle y arrive donc avec son père et fait ses études au "petit lycée" de Saint-Louis qui n'est autre que l'annexe du lycée Faidherbe. C'est là qu'elle passe le concours des bourses. Son père étant nommé à la cour d'appel de Dakar, elle vient y suivre les cours du lycée ex-Van-Vollenoven (aujourd'hui Lamine Gueye). Son père est nommé président de la cour d'appel de Bamako et elle étudie au lycée Terrason de Fougères de cette ville. Son père prend sa retraite et la famille part pour Paris. Elle entre à l'école de Secrétariat de Direction à Paris et se marie avec "un Saint-Louisien pur jus". Ils ont 3 enfants en France et reviennent à Saint-Louis en 1962. Le quatrième enfant naîtra à Abidjan.
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Je commencerai par une la palissade en disant que la femme sénégalaise représente... la Femme dans toute l'acceptation du terme.
1) Elle a un sens pointu de sa féminité et en joue avec un art consommé (démarche, élégance, grâce du geste, sourire à damner n'importe qui, parfums et autres "gongo".)
2) Maternelle, ensuite. Pouvez-vous me citer une sénégalaise qui ne parle pas de sa "Yaay" (mère) sans trémolo dans la voix?
3) Elle possède enfin une grande force de caractère qui lui permet de surmonter la malchance ou l'adversité.
- Son instinct maternel peut dévier et la rendre possessive, dominatrice voire castatrice, lorsque par malheur ses fils lui amènent des brus... adieu la vie à deux et bonjour l'enfer!
- Sa combativité peut se transformer en agressivité rentrée et la voilà endossant le vêtement répugnant de la manipulation sournoise.
- Son agressivité affichée qui se révèlera auto-destructrice au bout du compte. Mais en fait... est-ce uniquement la femme sénégalaise que je décris-là?
N'est-ce pas le prototype du caractère dit "féminin"...?
Comme elle a du temps libre, elle se met à écrire. Aujourd'hui, elle vit à New-York et continue d'écrire pour notre plaisir.
Simon Kiba; «La femme sénégalaise jouit de sa féminité avec un art consommé», Amina266 (1992), pp.18-20.
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Editor ([email protected])
The The University of Western Australia/French
Created: 17 June 96
Last modified: 17 June 99
Archived: 12 October 2016
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