En 1992, Monique Ilboudo publie son premier roman, "Le Mal de Peau". Sans le
savoir, elle devenait ainsi la première romancière du Burkina-Faso.
Réédité en 2001 par "Le Serpent à Plumes", ce roman
met en parallèle le destin peu commun de Sibila et de sa fille Cathy,
née d'un viol. A travers ses héroïnes, Monique
Ilboudo symbolise les relations conflictuelles entre Africains et
Européens. La société africaine, les
préjugés et le métissage sont autant de thèmes
traités avec sensibilité. De passage à Paris, cette juriste de formation, sous-secrétaire d'État chargée de la promotion des droits de l'Homme et enseignante à l'Université de Ouagadougou nous a accordé un entretien. Rencontre avec une féministe engagée. |
Vous êtes juriste de formation, pourtant vous avez écrit aussi bien des articles que des romans. Qu'est-ce qui vous a donné envie décrire ?
L'écriture m'a toujours habitée. Dès que j'ai su lire, je me suis adonnée à la lecture. Ensuite, j'ai eu envie de raconter des histoires. J'ai fait du Droit par amour de la justice sociale. Je voulais devenir avocate pour défendre les plus faibles. De la même façon, j'écris pour arriver à un idéal de vie.
'Le Mal de Peau' a été publié au Burkina-Faso en 1992 pour la première fois. Pourquoi a-t-il été primé?
J'espère que ce sont pour ses qualités littéraires et esthétiques. Mais je crois aussi que c'est pour la thématique du livre.
Comment expliquez-vous que ce ne soit qu'en 1992, qu'un livre écrit par une femme a été publié au Burkina-Faso ?
C'est vrai, j'ai été la première surprise et attristée. Quand le livre a été primé, j'ouvrais de grands yeux en lisant dans la presse que j'étais la première romancière burkinabé ! Même si je n'avais pas lu de romans de femmes burkinabé je croyais que cela existait. En fait, nous n'avions que des poétesses qui avaient publié des recueils de poésie. Pourquoi pas de romans ? Peut-être pour des questions d'entraves sociales, de conditions de vie qui ne permettent pas de s'adonner à des activités considérées comme ludiques ? Pour moi, il s'agit au contraire d'un besoin vital. Peut-être même que des talents de romancières ont été ensevelis par des tâches ménagères fastidieuses.
En revanche, des femmes africaines écrivaines, nous en avons un certain nombre. Quelles sont celles qui vous ont inspirée ?
Sans hésiter Mariama Bâ: "Une si longue lettre". C'est de loin l'un des romans qui m'a le plus marquée. Mais j'aimais écrire bien avant d'avoir lu les femmes africaines. J'ai commencé par des poèmes, des nouvelles.
Existe-t-il un trait commun, une constance dans la littérature écrite par les femmes africaines ?
Peut-être dans la thématique parce que les conditions de vie sont telles qu'elles vivent les mêmes problèmes. Sinon, je crois que chaque écrivain a son style.
Si l'on prend votre livre par exemple, il n'aurait pas pu être écrit par une autre personne qu'une femme africaine ?
Vous savez, quand le jury m'a décerné ce prix, il était persuadé que j'étais une métisse. Pour vous dire que l'imagination peut concevoir beaucoup de choses. Je peux comprendre que même dans ma thématique, une femme européenne puisse traiter de sujets qui m'intéressent. Je me retrouve souvent dans les écrits de femmes occidentales.
Qu'est-ce qui est à l'origine du "Mal de Peau" ?
C'est vrai que l'imagination se nourrit du réel. C'est vraiment mon imagination, même si elle se nourrit de mon vécu et des personnes qui m'entourent. Mais il n'y a pas une histoire précise qui soit à l'origine du livre.
Parlez-moi de Sibila ?
C'est une jeune fille africaine avec toutes les contingences, mariage forcé, etc... Ce qui lui arrive va bouleverser sa vie, même si ce n'est pas si exceptionnel que cela. Il y a des femmes qui ont eu des maternités hors mariage - peut-être pas par le viol - et qui ont été exclues par leur communauté. Le fait que l'enfant de Sibila soit métis complique un peu plus sa situation. Les unions mixtes n'étaient pas du tout acceptées. Et le viol rend l'union encore plus inacceptable.
Pourquoi avoir choisi de faire que Cathy naisse d'un viol ?
Parce que j'ai voulu faire un parallèle avec la rencontre violente entre l'Occident et l'Afrique. Ce n'est pas que je sois contre le métissage, car je crois que l'on peut changer cette relation violente en une autre plus amicale.
Pourquoi ce mélange entre le viol et l'amour ?
Parce que même si on ne peut changer cette rencontre violente entre l'Afrique et l'Occident, peut-être est-il possible de changer aujourd'hui ce type de relation. Et avoir une relation moins violente. Car la colonisation ne doit pas nous empêcher de créer d'autres relations. Bien sûr, cette scène déroute le lecteur. Il y a eu viol, c'est certain.
Vous le minimisez par la scène "d'amour" ... et le "gémissement de plaisir" qui s'ensuit. La lecture de cette scène gêne...
Je ne pense pas car les deux choses sont différentes. Même l'auteur du viol se le reprochera toute sa vie. Sans être passéiste, je crois que jusqu'à aujourd'hui nous n'avons pas soldé ce passé. Tant que nous n'arriverons pas à avoir un autre type de relations,nous aurons du mal à avancer. C'est tout le débat actuel autour de la reconnaissance de l'esclavage comme crime contre l'humanité et des torts faits à l'Afrique. Cette reconnaissance va nous aider à mieux assumer et à aller de l'avant.
Vous situez "Tanga", le pays de votre imagination, quelque part en Afrique de l'Ouest..
Oui, parce que je crois que cela aurait pu se passer dans n'importe lequel de ces pays. J'ai voulu que cela soit une histoire africaine.
Comment se fait-il que Cathy ait "ce mal de peau" et pourtant tombe amoureuse d'un Blanc ?
C'est dans la même logique. Elle ne veut pas se fermer au monde et être plus disponible. C'est le besoin de vivre avec les autres. Tout en étant amoureuse, elle se pose beaucoup de questions. Surtout, elle a beaucoup de problèmes avec la famille de son ami qui vit avec des idées du passé. Mais j'ai voulu montrer qu'il faut reconstruire et dépasser les entraves du passé.
Pendant toute la période estudiantine, au fur et à mesure que leur amour grandit, il y a de l'espoir. Mais pourquoi tronquer cet espoir si tôt ?
Je crois qu'au moment où j'écrivais la fin du livre, j'étais dans un état assez pessimiste sur l'issue de ces relations entre Africains et Européens. J'ai écrit ce livre en Europe, entre l'Allemagne et la France, alors que j'étais un peu déprimée. Je ne rêvais que de rentrer chez moi. C'est vrai que je vivais des moments très durs. Cela a peut-être influencé mon écriture. Mais je sais que les relations entre Africains et Européens peuvent s'améliorer. Mais elles ne sont pas encore aussi franches et claires que je le voudrais.
Les étudiants que vous décrivez dans le livre ont une conscience aiguë du racisme. Un d'entre eux dit même que chaque Blanc est raciste que ce soit consciemment ou non. Avez-vous vous-même vécu les situations que vous décrivez ?
Oui, bien sûr, souvent même avec des amis, on surprend parfois des réactions, des regards ou des mots qui quelque part vous blessent sans que les gens s'en rendent compte.
Personnellement, aimeriez-vous avoir un enfant métis ? Pensez-vous qu'il puisse avoir le même épanouissement qu'un enfant de père et de mère noirs ?
S'il est élevé à deux, peut-être. Et qu'il reçoit de part et d'autre. Mais je sais que c'est une identité beaucoup plus difficile à vivre. C'est peut-être plus riche, mais tout ce qui est plus complexe est plus difficile à vivre.
Votre Cathy a-t-elle plus "le mal de peau " parce qu'elle est issue d'un viol ou parce qu'elle est issue d'un couple mixte ?
Chez elle, c'est encore plus grave, parce qu'il y a tout cela. C'est à la fois moins grave, parce qu'elle n'a pas du tout reçu de culture occidentale. Elle a reçu l'éducation d'une Africaine. Mais elle a quand même vécu cette double appartenance puisqu'elle était rejetée à l'école. Les autres lui renvoyaient une autre image d'elle.
Propos recueillis
par Renée Mendy-Ongoundou.