Les Nouvelles Editions Africaines viennent de publier dans la collection "Vies d'Afrique" le premier livre de Adja Ndeye Boury Ndiaye, une femme d'une cinquantaine d'années qui a bien connu le Dakar des petites gens, honnêtes, braves, travailleurs et pieux du temps de l'AOF. Elle raconte en effet la vie d'une famille d'un quartier du "Plateau " dakarois à quelques mètres du palais du gouverneur général de ce temps.
Après avoir lu le livre on se demande si on a vu la vie de tante Lika, incontestablement l'héroïne du livre, ou si l'on a suivi le cheminement des "neveux" de tante Lika, neveux au sens large: Mamadou, Alphonse et Jean. Tante Lika, c'est "le vrai patron" de la maison qui appartenait d'ailleurs à son père. Son mari a eu beau prendre deux autres femmes qui lui firent des enfants, il ne peut les garder bien que tante Lika n'ait pas d'enfant. Ici l'auteur saute ce qui a bien pu faire partir ces femmes, mais on le devine. C'est entre 37 et 40 ans que Lika aura deux filles et un garçon.
A cause de l'amité avec Alphonse et Jean nous vivons les fastes du Gorée de ce temps. Puis la vie continue et les fêtes et le travail. Et tante Lika qui porte un collier à la cheville dont elle refusera de dire le secret jusqu'à sa mort. Et la mer qui baigne tout et attire tout, surtout les enfants et les pêcheurs.
Le trio des "neveux" grandira, on subira les bombardements anglais sur Dakar puis ils seront mobilisés. Mamadou reviendra avec une jambe en moins, Alphonse sera traumatisé moralement et Jean sera porté disparu. On sent que tante Lika n'est plus à son affaire et un jour elle s'endort pour toujours à l'heure de la sieste, sans témoin. Elle est partie en emportant le secret de son collier de cheville.
Mme Adja Ndeye Boury Ndiaye est sage-femme d'Etat et exerce ce métier depuis qu'elle est sortie de l'école des sages-femmes, si bien qu'elle est "principale de classe exceptionnelle". Elle a bien voulu nous accorder l'interview que voici:
En écrivant "Le Collier de cheville" avez-vous surtout voulu rendre hommage à tante Lika ou bien avez vous désiré montrer aux jeunes générations, la vie à Dakar telle qu'elle était au temps de votre adolescence?
Cette période de mon enfance est demeurée pour moi une bouffée d'air frais, iodée comme la brise marine. Elle me réconforte, m'égaye. J'éprouve aujourd'hui le besoin d'en faire part.
S'il y a eu des changements dans la ville, il y en a aussi dans les mentalités. Ainsi les jeunes gens d'aujourd'hui ne sont plus aussi sages que les "neveux" de tante Lika. Qu'en pensez-vous?
Si à l'âge où il est le plus réceptif et où son personnage se forme, l'enfant n'entend pas des écarts de langage, ne constate pas des inconduites chez les adultes, il ne peut que "s'épanouir" en droit fil. Aujourd'hui les mentalités changent avec les brassages d'individus, les apports de toutes sortes dans une capitale surpeuplée, les progrès techniques, les parents souvent pris par leur travail à l'extérieur et menacés par le stress.
Ayant vécu l'expérience de ce milieu, que pensez-vous de la polygamie?
Il faut connaître une question pour se permettre d'en donner un point de vue. Bien qu'étant de famille musulmane, je me suis épanouie entre un père et une seule mère, mes frères et soeurs, une grand-mère, quelques cousins et cousines. J'ai grandi dans cette ambiance "restreinte". Je n'en connais point d'autre, d'autant plus qu'étant mariée depuis 22 ans, mon époux reste monogame. Dans ces conditions, la polygamie, qu'en penserais-je?
Il y a beaucoup de tolérance religieuse dans votre livre où catholiques et musulmans vivent sans aucun problème. En est-il toujours ainsi dans les milieux que vous connaissez?
Je me rends compte que la tolérance religieuse est d'une harmonieuse rigueur au Sénégal.
On a l'impression en vous lisant que Dakar n'était pas encombrée de mendiants il y a 40 ans. Est-ce vrai?
Dakar, il y a quarante ans, n'était pas du tout encombré, encore moins par des mendiants. Ces derniers se sont fait remarquer avec le rush que connaissent les grandes villes, surtout depuis nos indépendances.
Avez-vous un appel à lancer aux jeunes filles qui vous liront?
Un appel? Il n'en est pas besoin je pense. Les jeunes filles qui auront choisi de me lire savent qu'elles ont chacune des choses à léguer aux générations futures, qui, par elles surtout, doivent devenir fortes et toujours meilleures Inch Allah!
Nous souhaitons que beaucoup de jeunes filles suivent les traces de Mme Ndiaye.
Retour à la page d'Adja Ndeye Boury Ndiaye | Autres interviews publiées par AMINA | Retour à la liste générale des auteurs | Retour à la page d'accueil | Retour au haut de la page