Les "Nouvelles Editions Ivoiriennes" viennent de publier:
"PARFUMS D'ENFANCE"
DE MARIAMA N'DOYE-MBENGUE
Mariama N'Doye-Mbengue vient de publier un recueil de quatorze Nouvelles intitulé "Parfums d'Enfance". Elle est née à Rufisque, au Sénégal, et possède une maîtrise de Lettres classiques (Université de Dakar, 1976) et un doctorat de Lettres modernes (Université de Dakar, 1982). |
Elle a été conservateur au musée de l'Ifan de Dakar (1978-1987), professeur de français au Lycée Sainte-Marie d'Abidjan (1988-1990) et consultante à la BAD de 1991 à mars 1995. Les Nouvelles de "Parfums d'Enfance" sont des tranches de vie que l'auteur dévoile en s'appuyant sur une galerie de portraits soutenus par la sagesse populaire et un humour mordant.
Vous étiez Mariama N'Doye, maintenant vous écrivez Mariama N'Doye-Mbengue. Pourquoi ce changement ?
Ce changement de nom sur mon dernier ouvrage est dû à un heureux hasard. J'avais insisté pour que mon nom d'épouse figure sur la quatrième de couverture, afin que les personnes qui me connaissent sous le nom de Mme Mbengue (mes élèves notamment) sachent que c'est une seule et même personne. Le nom entier s'est retrouvé sur la couverture. Je n'ai pas renoncé à ma décision de faire de Mariama Ndoye mon nom d'auteur, car je suis née avec ce nom et je mourrai avec. Si vous cherchez Mariama Mbengue dans ma société, on vous désignera une autre personne. Donc pour les Sénégalais, je suis Mariama Ndoye et, pour me distinguer d'autres personnes du même nom, on ajoute le prénom de mon père : Thianar. Ceci dit, je suis mariée au même homme depuis bientôt vingt ans. Je suis donc fière que ce hasard qui le réjouit du reste, dévoile au grand public que l'écrivain Mariama Ndoye est aussi Madame El Hadji Mbengue.
Pourquoi les auteurs-femmes préfèrent-elles souvent écrire avec leur nom de jeune fille au détriment du nom du mari ?
J'ai un peu répondu à cette question. Certaines femmes préfèrent écrire avec leur nom de jeune fille par revendication féministe, c'est légitime. Personnellement, c'est pour être plus près de la vérité historique, de la réalité sociologique de mon peuple. Au Sénégal, on n'identifie pas une femme par le nom de son mari. En la saluant on lui dit son nom, c'est-à-dire celui de son père. Ce sont les Blancs qui nous ont collé le nom de nos maris. Je verrai aussi d'un bon oeil qu'en nous épousant, nos conjoints adoptent nos noms. Beaucoup de femmes ont rendu le nom de leur époux célèbre, exemple Maryse Condé, Margaret Thatcher, etc...
Pensez-vous que le couple existe réellement en Afrique ?
Le couple existe en Afrique en milieu urbain. Il est cependant difficile à préserver car la famille nucléaire est inconnue, tout au moins en Afrique occidentale. Il faut du temps pour changer les mentalités et les traditions.
Pourquoi "Parfums d'Enfance" ? Et pourqoi est-il dédié à vos parents?
"Parfums d'Enfance" parce qu'il y a beaucoup de souvenirs d'enfance dans ce livre. Dédié à mon père et ma mère parce que je les aime de tout mon coeur. On enfante et on éduque dans l'espérance et c'est ma manière à moi de combler un tout petit peu leurs espérances. Dédié à Mame Abdoul Aziz Sy, khalife des Tidianes, parce que je l'aime et le respecte. De plus, il a béni, il y a quarante-cinq ans, l'union de mes parents. Je suis très famille. Ma thèse de doctorat était dédiée à mes grands-parents, mon premier recueil de nouvelles à mon mari, mon premier roman à mes enfants, mes neveux et mes nièces, il reste à faire une dédicace à mon petit papa Thianar dit Pépito et à mes frères et soeurs, je la ferai si Dieu me prête vie.
Du roman à la nouvelle, quelle est la principale difficulté ?
Je passe allègrement de la nouvelle au roman et vice-versa (voir mes oeuvres). Je trouve que les nouvelles sont des tranches de vies. Elles ont le mérite de couvrir des sujets très divers. Chaque nouvelle est un tout et on ne reste pas sur sa faim si on n'a pas la possibilité de lire tout le recueil. Plus il y a de sujets, plus il y a d'intérêts soulevés, du moins c'est ce que je pense.
Dans votre livre revient fréquemment l'Islam, la Mecque. Que voulez-vous faire partager à vos lecteurs ?
L'Islam revient dans mon livre parce que je parle d'expériences plus ou moins personnelles et je suis de confession musulmane. Ceci dit, je respecte les autres religions car toute foi vraie basée sur la recherche du bien mérite d'être vécue. J'ai fait toutes mes études, de la maternelle au bac, dans des écoles catholiques où on dispense un enseignement et une éducation de qualité. La Sainte Vierge Marie, dont le nom est mentionné dans au moins un verset du Saint Coran, est la marraine de toutes les Marie et Mariama du monde. Les Juifs ont été le peuple élu de Dieu. Je veux dans mes écrits faire partager mes émotions et non pas mes convictions religieuses ou politiques.
Le Sénégal aussi revient. Vous manque-t-il à Abidjan ?
Le pays d'origine fait partie de mon être. Pour moi, le bleu du ciel de mon pays est unique. Je porte le Sénégal en moi. Ceci dit, j'ai voyagé très tôt, et je sais apprécier la beauté, l'amitié partout où je les rencontre. A Abidjan aussi. Je vais vous raconter une anecdote. Un jour, je revenais de Treichville en taxi, puis j'ai vu à côté de moi un monsieur dans une belle voiture qui faisait signe au taxi de s'arrêter. Le chauffeur de taxi refusait, et moi je ne comprenais pas pourquoi le monsieur voulait qu'on s'arrête. Finalement, il a doublé le taxi et l'a obligé à se rabattre sur l'accotement. Il avait remarqué qu'une roue du taxi était dégonflée et qu'en roulant à cette allure, le taximan inconscient me menait tout droit à la mort, tout simplement parce qu'il ne voulait pas perdre le prix d'une longue course. Le monsieur, qui était d'ailleurs avec sa femme, a tenu à me déposer à la maison. J'étais très émue, et je pense toujours à ce couple avec recueillement. Dans mon pays, personne ne s'est jamais soucié de l'état des véhicules que j'empruntais. Le bien est donc universel, il n'est l'apanage d'aucun peuple, seulement il faut bien naître quelque part. Mon rêve est de voir une Afrique unie où il fait bon vivre.
J'aime particulièrement "De l'amitié".
"De l'amitié" relate une histoire populaire sénégalaise, adaptée d'ailleurs au théâtre. Deux amies passent leur enfance ensemble. L'une perd sa virginité avant le mariage, l'autre la remplace pour sa nuit de noces. Bien des années plus tard, la sécheresse sévit. La deuxième qui avait sacrifié sa virginité au nom de l'amitié demande de l'eau à la première. Cette dernière, oublieuse, la rabroue (par sa fille interposée). L'amie déçue dévoile le secret en termes... voilés. La honte submerge la première qui se suicide. Son amie la suit dans la tombe.
Quel message voulez-vous donner ?
Moralité en plusieurs points : il ne faut pas être ingrat, il faut emporter les secrets qu'on vous confie dans la tombe sans jamais les avoir divulgués. L'amitié féminine est fragile. En amitié, c'est "à la vie, à la mort".
L'image de la belle-mère est caricaturale dans "Le Pardon".
Je dirai d'abord que la nouvelle consacrée aux belles-mères est un amalgame de l'expérience de plusieurs femmes. Ma belle-mère à moi est au-dessus de tout soupçon. Ceci dit, une belle-mère, tout comme une épouse, est un être humain. Elle peut donc avoir bon ou mauvais caractère. Sous nos cieux, la rivalité entre belles-mères et belles-filles est connue : elles se diputent les faveurs d'un même homme. Je voudrais dire aux belles-mères de souhaiter à leurs belles-filles le bonheur qu'elles souhaitent à leurs propres filles qui sont en ménage, et aux belles-filles de respecter leurs belles-mères comme leurs propres mères. En Afrique, quand vous épousez un homme, vous épousez en même temps toute sa famille, or les qualités qui vous rendent cet homme estimable ne sont pas forcément innées dans sa famille. Comme a coutume de le dire un exégète très populaire de mon pays : "Yalla daal moy ki xam : Allah est seul détenteur de la connaissance".
Vous parlez aussi du mariage. Comment demande-t-on la main d'une jeune fille chez vous ?
Chez les Lébous de Rufisque, on demande la main d'une fille en envoyant une délégation masculine chez son père. On ne paie rien. Plus tard, une délégation féminine apportera la dot, selon les moyens financiers dont elle dispose. Cette dot ne peut être assimilée à un paiement. On rapporte que le Prophète avait demandé à un prétendant pauvre de vendre la selle de son chameau pour donner un cadeau, même modique, à sa fiancée avant de l'épouser, pour montrer qu'on "attache un prix" à l'engagement que l'on vient de prendre. C'est donc un geste noble, que la convoitise populaire a avili en y associant : montre en or, télévision, machine à coudre, voire voiture, villa et virement ! (les fameux 3 V à la mode chez nous il y a quelque temps). Les Sénégalaises de bonne famille ne coûtent pas plus cher que les autres femmes africaines, mais comme le chante Ismaël Lô, toutes les femmes sont des reines, et rien n'est trop beau pour une reine. Personnellement, on m'a apporté "un peu d'argent", deux cent mille francs si mes souvenirs sont bons (c'était une somme importante en 1976...), et beaucoup d'amour. Cela nous a suffi à mes parents et à moi. Je dois d'ailleurs souligner que mon père apprendra la nouvelle dans... le journal, car il n'a jamais demandé un sou vaillant à personne pour marier ses filles : il ne donne pas, il confie à quelqu'un qui lui inspire confiance.
La nuit des noces, quels sont les conseils que l'épouse reçoit des "badiènes" ?
Avant la nuit de noces, les badiènes (tantes paternelles) demandent d'abord à la jeune mariée si elle est vierge avant d'entreprendre toute préparation. Ensuite elles lui font prendre des bains rituels, la couvrent d'un pagne immaculé, la couchent sur sa natte, la rassurent, chantent ses louanges et sa généalogie pour l'exhorter dans ce passage initiatique. Puis elles annoncent au mari que sa femme est prête et attendent dans la cour ou... derrière la porte le pagne maculé, honneur de leur fille et de leur famille.
L'écriture exige une grande part de solitude. La femme-écrivain peut-elle remplir les conditions d'une bonne épouse ?
Mon mari ne se plaint pas trop (Rires). La femme-épouse tout comme l'homme-époux doit pouvoir pratiquer les activités où (il ou elle) trouve son épanouissement (cuisine, ménage, musique, sport, écriture, théâtre, etc...). La femme au foyer n'est pas toujours absorbée par les tâches ménagères, elle peut être écrivain si elle le désire. Elle a cependant besoin, si elle est mère de famille nombreuse, d'une aide domestique, ou d'un grand sens de l'organisation. Elle a surtout besoin d'être soutenue pas sa famille, et dans ce cas, elle peut accomplir des exploits qu'elle soit écrivain, ingénieur, comédienne ou autre. La notion de bonne épouse est sujette à variations. Pour les uns, une bonne épouse est une femme-esclave qui se livre à tous vos caprices au détriment de sa personnalité, pour les autres, c'est une femme épanouie, aimante mais ouverte au monde moderne.
En dehors de l'écriture, qu'est-ce qui vous passionne ?
En dehors de l'écriture, ma famille me passionne. Je rêve au bonheur de chacun et j'essaye d'y oeuvrer. J'ai d'autres amours. J'adore la musique, l'écouter, la danser. J'ai joué du piano quand j'étais jeune. J'aime lire, ça va de pair avec l'écriture. J'aime les travaux d'aiguille. J'aime rester chez moi, j'aime le... finalement, j'aime beaucoup de choses. Faire la cuisine n'est pas ma tasse de thé et je n'ai aucune gêne à l'avouer. J'aime cependant mettre la main à la pâte pour gâter les miens, mais seulement quand je le désire. Tout ce qui est obligatoire m'agace. Pendant mon séjour en France, j'ai dû cuisiner presque chaque jour et faire le ménage et le linge. C'est pas la joie.
Pour nos lectrices, donnez-nous une recette d'un plat sénégalais que votre mari aime manger ?
Je recommande à mes soeurs d'AMINA le "lakhou thiakhane" au poulet. Mon mari l'apprécie. Voilà comment on le prépare. On dore le poulet dans l'huile, on ajoute la purée de tomates, les tomates-cerises, les oignons, les épices. Après quelques minutes on ajoute de l'eau, assez pour faire cuire les légumes, du "ketiakh" (sardinelles séchées), de la pâte d'arachide. Quand les légumes sont cuits, on les met dans un plat à part. On lave le "sankhal" (farine épaisse à base de mil), on le met dans le bouillon, en tournant pour qu'il n'y ait pas de grumeaux. On laisse cuire en évitant de se brûler les doigts, car les brûlures sont d'autant plus douloureuses. Quand les grains de mil s'écrasent facilement sous les doigts, c'est prêt. On sert en mettant les légumes au milieu et en saupoudrant de gruyère râpé. ça c'est le plus "familial". On peut servir auparavant une salade de niébés (haricots noirs) et de noix de coco râpée. En l'absence de hors-d'oeuvre, on peut aussi mettre les harcicots dans le lakhou thiakhane, comme on le fait traditionnellement. Ma recette est à l'origine un plat modeste qui ne nécessite ni viande, ni poisson frais, mais seulement du poisson sec. Je l'ai améliorée. J'avoue que mon mari préfère cependant le thiof mayonnaise, surtout quand ma maman le prépare...
Pour terminer, qu'avez-vous à ajouter ?
Je remercie AMINA, je lui souhaite longue vie, c'est ma revue, j'y ai collaboré en tant que mannequin (Salon du prêt-à-porter parisien, avec Tara Boutique, j'en ai même fait la couverture une fois), intervieweuse, rédactrice occasionnelle d'articles. Je demeure fidèle lectrice. Je demande à toutes mes soeurs lectrices d'AMINA d'être aussi lectrices de Mariama Ndoye.
"Parfums d'Enfance", recueil de nouvelles de Mariama N'Doye-Mbengue, publié aux Nouvelles Editions Ivoiriennes.
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