Femme écrivain camerounaise
Mme Rabiatou Njoya
a assisté à Nice au 1er congrès international des femmes écrivains.
Mme Rabiatou Njoya nous livre ses impressions sur cette importante réunion à laquelle elle a participé. |
À la veille du 7e Festival du Livre, certaines rumeurs laissaient entendre qu'un malentendu divisait les éditeurs français entre eux, et que la plupart étaient réticents, méfiants à l'idée de tout patronnage politique, donc élastique, et que quelques-unes des grandes maisons d'éditions françaises bouderaient le festival. Par voie de conséquence les éditeurs étrangers montreraient peu d'empressement, et seraient peu nombreux.
En réalité, les choses ne se sont pas présentées aussi mal que cela. S'il y a eu de grands absents ou tout simplement la réserve de quelques-uns, la foire a été une réussite, si tant est qu'un succès peut se mesurer à l'affluence du public, et à la venue des écrivains dont la plupart étaient à ce grand rendez-vous pour dédicacer leurs livres.
1975, nous le savons a été déclaré Année Internationale de la Femme. Si le Festival en soit est une occasion pour les écrivains de se rencontrer et de rencontrer leurs lecteurs, le 7e Festival du Livre a voulu offrir aux femmes écrivains du monde entier, l'occasion de se rencontrer, de se connaître, d'échanger leurs points de vue et de débattre ensemble de leurs problèmes, et de leur méthode de travail.
Cette réunion qui regroupait les femmes écrivains des différents pays du monde se composait de deux parties: un colloque sur «La Femme et le Livre», et le Congrès proprement dit.
Le Colloque était en somme une table ronde qui réunissait les éditeurs, libraires, écrivains, sociologues, bibliothécaires, tous français autour des thèmes tels que: «Les Enfermements juridiques et culturels de la Femme». Ici Mme Gisèle Halimi avocat décrit les cinq enfermements de la femme française tant sur le plan culturel que jurdique:
a) enfermement résidentiel.
b) pouvoir parental: les femmes n'ont qu'un faible pouvoir sur leurs enfants.
c) enfermement de la maternité; selon Me Halimi la maternité n'est pas un choix libre de la femme mais une conséquence de la fatalité.
d) enfermements culturels, car la femme est victime des tabous et des mythes religieux. Il faudrait d'après elle, éliminer l'hypocrisie et séparer le droit de procréer du plaisir.
e) enfermement du foyer: l'homme encourage la femme à rester au foyer; et il n'y a rien de plus sournois et plus répétitif que le travail au foyer.
Ces enfermements sont à la fois causes et conséquences les uns des autres. Ils sont dûs à un certain nombre de mythes (le péché originel). Or la femme autant que l'homme a toujours été créatrice. Cependant, on ne peut pas créer vraiment, si on n'est pas libre; donc la femme n'existe que relativement, c'est-à-dire par rapport à un système, par rapport à une économie toujours discriminatoire. Aussi la femme crée mal ou peu.
Cependant c'est tout le système qui est faussé car comment les femmes peuvent-elles se libérer dans un monde où les hommes restent exploités?
C'est donc une lutte commune, car dans un monde où la force prime le droit (où il n'y a pas d'autre droit que celui de la force), la femme ne peut être autonome. Donc pour que la femme devienne créatrice, il faut libérer le système, car la liberté de la femme c'est aussi celle de l'homme.
Dans son exposé sur la «Femme gardienne de la culture», Mme Pierrette Sartin écrivain a souligné que jusqu'à la dernière décennie, la femme française s'était vue refuser l'accès à la culture, les mères de leur côté empêchent leurs filles de lire, afin qu'elles n'aient pas des idées; aujourd'hui encore les maris ne sont pas favorables à la lecture de leurs épouses. Aussi non seulement la femme ne manifeste pas beaucoup de goût pour la lecture; mais encore, elle se sent coupable lorsqu'elle soustrait quelques minutes à sa vie conjugale. Résultat, 40% de femmes n'utilisent pas leurs diplômes, et très peu sont conscientes de la valeur du livre en tant que moyen de culture.
Ensuite Mme Régine Deforges, éditeur et libraire a traité de l'influence de la mère sur la lecture de ses filles. La mère doit donner le goût de lire à son enfant, l'encourager par des lectures faciles; il est bon que l'enfant vive aussi dans le monde des fées et des rêveries.
Dans un genre, tout à fait différent, Mme Braun directrice des Editeurs Français Réunis, traitant des obstacles de la lecture des femmes, a souligné que la production française du livre stagne, il y a 400 millions de livres en stock mort. Le livre de poche a baissé de 23% car il se fabrique en 15 jours, et ne vit souvent que 15 jours aussi. Malgré cela le livre de poche n'a pas mordu sur les couches sociales qui ne lisaient pas avant. Contrairement à ce que l'on peut croire le livre ne disparaît pas au profit de l'audio-visuel, bien au contraire, la T.V. fait monter le tirage, aussi n'y a-t-il pas antagonisme, mais complémentarité.
Dans la crise actuelle la lecture reste un luxe culturel, la disponibilité fait défaut: 4/5 des ouvriers ne lisent pas, les travailleurs n'ont pas le temps. Leurs romans se vendent mieux, par contre les poètes et les chercheurs ne sont pas gâtés. Le coût élevé des livres français provient de la spécialité du papier doublé. En outre la fermeture d'imprimeries et les licenciements en sont aussi les causes, la subvention de l'Etat n'étant que de 4%.
Tout ceci fut illustré par des chiffres très éloquents du résultat d'un sondage effectué par les soins de Mme Marie-Thérèse Guinchard, présidente de séance et principale organisactrice du Congrès. On pouvait retenir en substance que 36% de femmes ne lisent pas, et que pour 26% la lecture n'est qu'une évasion. Enfin un sondage de l'I.F.O.P. révélait que la femme consacrait une minute par jour à son éducation.
En somme pour le congressiste étranger que nous étions ce colloque apportait une foule d'informations sur la situation littéraire en France, et il fut d'autant plus intéressant que chaque exposé était suivi d'un débat passionné.
Le mercredi 7 mai le Congrès fut ouvert à 10 h et les travaux débutèrent aussitôt. Les délégations étrangères devaient intervenir par la voix de leurs représentants pour présenter la physionomie de la vie littéraire dans leur pays.
Dans notre intervention, nous avons essayé de sensibiliser les congressistes sur deux points qui à notre avis caractérisent la vie littéraire africaine en général. Tout d'abord les différentes étapes de la démarche intellectuelle de la femme africaine écrivain qui doit comme tout écrivain africain écrire dans une langue qui n'est pas la sienne, donc en quelque sorte interpréter en Français ou en Anglais ce qu'elle conçoit ou pense dans sa langue vernaculaire et ensuite tenter de vaincre sa timidité naturelle née de certains mythes; et surtout essayer de publier; ce qui ne va pas tout seul. Ensuite nous avons attiré l'attention des femmes écrivains du monde sur le fait que si, dans une enterprise comme celle-là, elles pouvaient compter sur notre entière collaboration, cette collaboration ne peut être sincère sans une pénétration réciproque des mentalités; et que si nous les lisons bien volontiers, il faudrait qu'elles fassent aussi l'effort de lire nos oeuvres, de les faire lire et de les faire éditer le cas échéant.
Nous avons été rejointes dans cette position par les représentantes du Chili, du Mexique, et du Zaïre. Il serait donc souhaitable, et c'est là que s'inscrit notre doléance, que les Pouvoirs publics nationaux, prennent cet appel en considération, et fassent un peu plus que d'habitude pour mieux subventionner les publications de nos écrivains.
Les travaux du Congrès devaient se poursuivre encore le lendemain matin. Dans l'après-midi les congressistes ont discuté des Statuts de l'Association internationale des femmes écrivains. Ces statuts ont subi un certain nombre d'amendements, et le comité provisoire a été chargé de convoquer la prochaine Assemblée Générale au plus tard dans un an.
Si le Festival du Livre est l'occasion pour les éditeurs, écrivains et autres artisans de l'industrie du livre de se rencontrer, le Congrès International des Femmes Ecrivains a été pour nous une rencontre riche en enseignements. Il nous a permis de nous rendre compte que le problème de la femme en général, et de la femme écrivain en particulier, n'était pas le même selon les pays. Mais nous y avons surtout déduit que le problème de la femme est solidaire de tous les problèmes de ce monde. Aussi, loin de scinder la société en deux, il faudrait plutôt que nous luttions en rangs serrés pour un meilleur devenir de l'homme, car l'homme ne peut être vraiment heureux dans un monde où la femme n'a pas ses droits.
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