Clémentine Madiya Faïk Nzuji est l'auteur de "Puissance du Sacré"
Née à Tshofa (Zaïre) Mme Clémentine Madiya Faïk Nzuji, Docteur D'état ès Lettres et Sciences Humaines de l'Université de Paris III et Professeur de Linguistique, de Littératures orales et de cultures Africaines à L'Université de Louvain en Belgique vient de sortir en mai un livre: "La puissance du sacré". |
Paru dans la collection "voyages intérieurs" édité par Maisonneuve et Larose, il retrace en images les rites et les coutumes d'une cinquantaine de peuples d'Afrique noire par l'étude des symboles rattachés à la vie sociale et religieuse. Amina a rencontré l'auteur, qui est aussi conteur et poète, au cours d'un de ses séjours parisiens.
Comment vous est venue "cette vocation" pour la linguistique et les littératures orales?
Je pense que tout être humain vient au monde avec un penchant qui le pousse un jour à devenir médecin, cantonnier, bûcheron ou écrivain. Disons que, par naissance, j'ai eu la chance de tomber sur des parents cultivés qui m'ont donné l'occasion de faire des études et de dévolopper cette passion du langage. Enfant, j'aimais écouter mon père raconter des contes, des histoires. Nous n'avions pas de télévision. Il avait du talent. C'est ça qui a éveillé en moi cet intérêt pour la linguistique et les littératures orales.
Avez-vous fait toutes vos études au Zaïre?
Oui, j'y ai étudié la philologie, l'anthropologie et l'éthnologie africaine. En même temps j'écrivais des proverbes et des devinettes.
Comment vous est venue l'idée d'écrire ce livre? Avez-vous longtemps travaillé dessus?
J'ai travaillé longtemps sur le sujet mais pas dans l'optique d'écrire un livre. J'ai fait des recherches. Une fois celles-ci suffisamment avançées, je me suis retrouvée avec 500 pages dactylographiées. Des éditeurs m'ont contactée. J'ai divisé mes écrits en deux et deux livres sont nés. Le premier, paru chez Karthala concerne les symboles graphiques. Le second "La puissance du sacré" adapté à un plus large public vient d'être édité par Maisonneuve et Larose.
Comment s'est passée la rédaction du livre?
J'ai rédigé mon livre sans tenir compte de personne. Dans un premier temps j'ai rassemblé mes textes. Mes cinq enfants les ont illustrés à l'encre de Chine. Puis, dans un deuxième temps, j'ai essayé de rassembler l'iconographie pour répondre aux souhaits de mon éditeur. Seulement comme mon texte était déjà achevé, je n'avais plus de place pour intégrer les commentaires de l'iconographie. Or, je ne voulais pas réduire mon livre au genre de guide publicitaire pour les touristes illustré avec de belles photos représentant un soleil couchant, une danse africaine sans fournir d'explications. Il fallait que je commente les photos que mes amis m'avaient apportées. Donc les légendes qui m'ont d'ailleurs pris cinquante pages sont une lecture à part, qui peut être séparée de mes textes.
Comment est-il structuré?
Il y a trois grands chapitres: l'homme, la nature et l'obiet d'art. L'homme se définit à travers le corps, les gestes et la parole, médiateurs privilégiés du sacré pour l'africain. La nature, deuxième source de symboles comprend les astres, l'espace, les végétaux mais aussi les animaux. L'objet d'art est à la fois objet de culte et ustensile usuel. Il peut être utilisé comme message, pour formuler un souhait, un désir.
Qu'avez-vous voulu montrer dans votre livre?
Ma démarche est simplement informative. J'ai choisi de définir de grands ensembles culturels aux travers d'exemples sans jamais essayer de les comparer. Ce que je veux montrer c'est la démarche de l'homme vers la transcendance. La nostalgie de l'origine est inhérente à l'homme, à sa nature d'être imparfait qui fait qu'il a sans cesse le besoin de se rapprocher de quelque chose de plus grand que lui. Chaque peuple l'exprime à sa manière. Les uns par le christianisme, les autres par l'animisme ou le bouddhisme.
Qui a choisi le titre et la couverture du livre?
Le titre a été proposé par Monsieur Léonard Appel, le directeur de la collection "Voyages intérieurs"; tandis que la couverture a été choisie par l'éditeur lui-même, Monsieur Michel de Grand Ry. J'ai estimé qu'ils connaissaient mieux que moi la psychologie du public. Je leur ai fait confiance et je n'ai pas eu à le regretter. Le titre comme la couverture d'un livre sont des phénomènes psychologiques, ils doivent interpeller les lecteurs.
A combien d'exemplaires votre livre a-t-il été tiré?
A 5000 exemplaires pour chaque langue. Il est actuellement disponible en France, au Canada, en Suisse et dans tous les pays africains. L'édition allemande est également déjà sortie.
Avez-vous écrit d'autres livres sur des sujets ou dans des genres différents?
Oui, j'ai écrit beaucoup de plaquettes de poésie quand j'étais jeune. Je rédige aussi des nouvelles quand j'en ressens le besoin. C'est pour moi un moyen d'allier le récit et la poésie. Il y a un livre de linguistique et un autre sur les symboles graphiques qui viennent de paraître.
Pouvez-vous nous parler des cours que vous dispensez à l'Université de Louvain?
Il s'agit d'un cours de linguistique et d'un cours sur les cultures africaines. La linguistique représente la description des langues de façon technique, c'est l'analyse de la langue sur le plan morphologie, c'est-à-dire découpée en syllabes. Les langues africaines se divisent en familles linguistiques. Pour ma part, je me limite à la famille des langues bantoues ce qui représente quand-même les trois quarts de l'Afrique noire. Ces langues ont la même nature étymologique. Sinon j'enseigne les littératures orales, c'est-à-dire les proverbes, les contes, les épopées, les mythes mais aussi les cultures, les croyances.
Combien de langues parlez-vous?
Trois, mais en Afrique il y a des gens qui en connaissent sept.
Qu'est-ce qui vous passionne dans les langues?
Je trouve qu'à travers les langues on peut connaître la façon de penser des gens, leur manière de segmenter l'univers et l'expérience existentielle. Malheureusement comme on a peu de temps pour vivre on ne peut s'intéresser à toutes.
Avez-vous des confrères et consoeurs qui exercent dans le même domaine que vous?
Dans mon Université, je n'ai pas beaucoup de contacts parce que ma démarche est très personnelle donc différente, je n'aime pas beaucoup la mentalité universitaire; les professeurs se donnent trop d'importance. Trop souvent ils écrivent dans un langage compliqué que peu de personnes comprennent. En revanche, j'ai beaucoup d'étudiants qui parallèlement à leur doctorat viennent faire des recherches dans mon centre, le CILTADE*.
S'agit-il du centre de civilisation africaine que vous avez fondé en 1986?
Oui, toutes mes recherches sont faites chez moi dans ce cadre distinct de l'Université.
Aimez-vous le sport?
Le sport me laisse indifférente. Marcher est ma seule activité sportive. En revanche j'adore la cuisine. Quand on a eu cinq enfants on ne peut pas bricoler et puis c'est une satisfaction tellement immense quand à l'heure du repas les enfants arrivent et demandent "Maman quand est-ce qu'on mange? Maman ça sent bon". C'est aussi agréable que de vous parler de mon livre.
Comment expliquez-vous cette dualité que l'on trouve chez vous, à la fois très ordonnée et de temps en temps artiste?
Je pense que c'est peut-être un élément d'équilibre.
Comment réussissez-vous à concilier toutes vos activités?
Je crois que je suis très organisée, et puis j'aime l'ordre. Je trouve que c'est une qualité divine qui fait gagner du temps. De ce côté-là j'ai un effort particulier à faire car je suis par nature un peu artiste. De plus, quand je fais quelque chose que j'apprécie énormément je n'ai plus le sentiment de travailler, le monde n'existe plus tellement je suis absorbée.
Retournez-vous souvent en Afrique?
Oui, réguilèrement pour les moines bénédictins à qui j'enseigne les cultures africaines. Je donne également des cours sur la rencontre des cultures, à Bruxelles, dans un Institut de jésuites.
Comment avez-vous eu cette opportunité?
Après avoir écouté une de mes conférences, ils m'ont écrit pour me demander de leur dispenser des cours. C'est un très bon public, varié puisqu'il s'agit d'une communauté mixte, de différentes nationalités. J'adapte le sujet en fonction de la demande.
Y-a-t-il des choses que vous n'avez pas faites et que vous auriez aimé faire?
Oui, j'aimerais pouvoir approfondir un domaine. Quand je travaille sur un sujet les autres sont mis en veilleuse. Ma nature veut que je termine toujours ce que j'ai commencé. Ça me sauve souvent. Un roman non terminé me dérange, c'est pour cela que j'écris des petits livres. Le problème est que nous manquons matériellement de temps. Il n'y a que 24 heures par jour et une fois les heures de sommeil, les heures pour se nourrir et se laver décomptées, que nous reste-t-il?
Un conseil à donner à nos lectrices?
Il est important de se réaliser dans ses dons car ce que l'on fait bien pour soi peut servir d'une manière ou d'une autre les autres. Aucun être humain ne peut commencer sa vie en dehors de lui-même. C'est suspect de voir quelqu'un négliger sa maison pour aller s'occuper d'oeuvres caritatives. Quand j'écris quelque chose qui me satisfait j'espère que mon voisin ou mes amis auront envie de le lire, et c'est comme cela que ça se passe.
La Puissance du Sacré est vendu 355 Francs.
* Centre International des langues, littératures et traditions d'Afrique au service du développement (CILTADE), avenue des clos 30, B-1348 Louvain-la-Neuve. Belgique.
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