Eugénie Mouayéné, épouse Opou, est française d'origine congolaise. Elle vit à Lyon depuis vingt ans déjà. Responsable associatif depuis une quinzaine d'années, elle est la présidente d'un collectif d'associations africaines de la région Rhône-Alpes. Dans son combat pour la revalorisation de la communauté issue de l'immigration, elle a fini par se poser des questions sur ses racines, ses valeurs, sa destinée. Pour donner réponse à ses interrogations, elle repart dans le passé de notre Afrique à travers l'histoire du royaume Téké, siège, aujourd'hui, du Congo-Kinshasa. Elle découvre une grande civilisation qui, malheureusement, est méconnue de ses propres fils. Elle décide de lui dédier un livre restaurateur et d'honneur. |
Avez-vous l'impression d'avoir abandonné le Congo ?
Formée en stomatologie, j'ai travaillé à l'hôpital militaire de Kinshasa avant de partir en France grâce à une bourse d'étude. Au lieu de sept ans d'études, j'ai opté, au bout de deux ans, pour une formation de prothésiste dentaire. Ensuite, j'ai voulu retourner au Congo pour y ouvrir un cabinet dentaire. J'ai contracté un prêt et engagé les démarches nécessaires. Mais, en 1993, une première guerre civile a éclaté dans le pays. J'ai alors sursis à mon projet, en attendant plus de stabilité politique. Pour combler mon attente, j'ai suivi une formation de délégué médical puis travaillé un an en tant que tel. Mais l'envie de repartir au Congo était pressante. En mai 1997, je suis repartie au Congo où la stabilité semblait s'être réinstallée. Malheureusement, une autre guerre civile est survenue à cette période. A croire que le pays ne voulait plus de moi (rires). Alors je suis revenue définitivement en France.
Quelles sont vos activités actuelles ?
J'ai créé une petite structure que j'ai nommé Eurl Elle et Ebène. C'est une boutique de vente de produits afro-cosmétiques. Avec mes compétences de déléguée médicale, je maîtrise les propriétés et la nature des produits que je mets en vente. Je conseille ma clientèle sur de réelles bases m'engageant ainsi dans la lutte contre l'utilisation arbitraire de produits pouvant nuire à la peau et aux cheveux. Elle Ebène est aussi un salon de coiffure ainsi qu'un centre d'accueil et d'écoute qui est ouvert dans un cadre associatif aux personnes en situation précaire de la communauté africaine. J'ai reçu dernièrement une jeune Guinéo-Malienne ramenée en France par un Belge sous prétexte de l'aider. Elle s'est retrouvée enfermée et violée pendant des mois. Il prévoyait de la mettre sur le trottoir mais elle s'est enfuie avant. Je l'ai recueillie jusqu'à ce que ses parents la récupèrent Malheureusement, son gourou l'a retrouvée et défenestrée. Son histoire, je l'ai écrite et intitulée "Samana au croisement des Gourous". Le roman sortira bientôt.
Etes-vous au cœur des débats sur la diaspora africaine ?
Je suis responsable d'un collectif associatif et je fais beaucoup de colloques. J'ai commencé à militer dans les associations en 1991. Les deux derniers colloques que j'ai animés avaient respectivement pour thème, "La femme face à l'esclavage moderne" et "Les anciens combattants africains". Au premier, Mme Mitterrand nous avait fait l'honneur de sa présence. Nous n'avons pas toujours l'opportunité d'être présent dans les débats qui nous concernent. Et notre absence crée de grands vides, très déterminants dans le maintien de nos pays en sous-développement.
Qu'appelez-vous "esclavage moderne" ?
L'esclavage moderne est vu sous trois angles: domestique, sexuel et
économique.
* Domestique : on va chercher des filles en Afrique qu'on ramène ici
dans le cadre d'un mariage ou autre, et on en fait tout simplement des bonnes
à tout faire.
* Sexuel : les filles sont mises dans les rues pour prostitution.
* Economique: ça concerne une grande majorité de personnes issues
de l'immigration. Nous arrivons en France avec des compétences et des
diplômes importants. Mais nous sommes forcés pour plusieurs
raisons de nous diriger vers de petits boulots qui souvent n'ont rien à voir avec nos formations et encore moins nos ambitions. Le temps d'avoir des papiers
qui nous autorisent à travailler et de connaître les
possibilités d'évolutions professionnelles du terrain, nos
diplômes perdent de la valeur... quand ils sont reconnus. Nous perdons
confiance en nous. C'est ainsi que beaucoup de femmes ayant des diplômes
sont réduites, par exemple, à s'occuper de personnes âgées.
Quelles sont les armes pour sortir de ces nouvelles formes d'esclavage ?
Une façon d'en sortir est d'abord d'en parler. Nous qui sommes sur le terrain et qui en connaissons les réalités avons le devoir d'informer nos frères, en Afrique, qui rêvent de venir ici-même. Ce n'est qu'une fois arrivés ici qu'ils se rendent compte de la situation, mais c'est trop tard. Ils ont délaissé de bonnes carrières et tout vendu avant de s'envoler pour leur rêve. Plus rien ne les attend là-bas. Ils sont condamnés à rester.
Parlons du Royaume Téké...
Le Royaume Téké a été fondé par un esprit. Avant la colonisation, il s'étendait encore sur le Gabon, les deux Congo, l'Angola, la Centrafrique et le Cameroun... Il n'y avait pas de frontière. Tous ces peuples étaient soudés autour du même roi jusqu'à l'arrivée des blancs et leurs frontières. Mais malgré ces frontières, les gens sont restés liés et viennent des quatre coins du Royaume lors de certains événements ou quand le roi décède.
Qui peut être roi, si le royaume est scindé par des frontières ?
Le cœur du Royaume a toujours été un
village nommé Mbe au Congo Brazzaville.
Quel que soit le pays où est nommé le roi, il réside
à Mbe. L'actuel roi s'appelle Nguempio. Il existe un conseil de douze personnes - les "Akombi" - qui est habilité à
attraper le roi et à l'introniser. La succession n'est pas dynastique.
Le roi est désigné au sein de certaines familles bien
précises. Les "Akombi" connaissent la descendance de chaque
lignée et ils sont prévenus de leur destinée.
Mais personne n'est averti quant on cherche un nouveau roi. Et surtout personne
ne sait dans quelle famille il sera désigné.
Chaque "Akombi" détient un pouvoir qui se transmet de père en
fils. L'un peut avoir le don de l'invisibilité et l'autre celui de la
foudre... Par contre, le roi est une divinité. Il est l'esprit de
Nkoue-Mbali (Dieu) sur Terre. Le nouveau roi prend sa puissance de chacun des
"Akombi". Il subit une initiation au cours de laquelle les douze "Akombi" lui
transmettent individuellement leurs secrets. Le roi est le seul à
connaître les douze secrets. Il devient ainsi l'homme le plus important
sur Terre. Même nos présidents craignent sa puissance. Les
Tékés se reconnaissent parfois par la langue mais beaucoup par
leurs coutumes et leur dieu - Nkoue-Mbali - quel que soit l'endroit où
ils se trouvent.
Quel accueil reçoit votre œuvre ?
Le livre sur le Royaume Téké a suscité beaucoup d'intérêt. L'histoire se limitait à la rencontre du roi avec Savorgna de Brazza. Elle n'abordait jamais la civilisation Téké telle qu'elle était avec ses richesses, ses mœurs avant l'arrivée des blancs. Le livre s'achète déjà bien. Je l'ai présenté au cours d'une conférence que j'ai tenue le 3 septembre dernier au Centre Culturel de Brazzaville, dans le cadre de la 4e édition du Festival de la culture Téké. J'avais reçu la commande de 30 kg de livres pour le festival. Il a lieu tous les deux ans à Menkao sous l'organisation de l'abbé Nganputu. Bien souvent, la colonisation est assimilée à la civilisation de l'Afrique comme si l'Afrique n'avait pas de civilisation du tout. Mais même parlant de Dieu, les esprits qui sont descendus sur terre pour tous les hommes sont aussi venus en Afrique. Pourquoi nous auraient-ils oubliés ? Et pourquoi ne pouvons-nous pas parler des nôtres ? C'est à nous de le dire. Nous ne devons pas laisser le droit aux autres d'écrire notre histoire, ils l'écrivent toujours en fonction de leur regard et surtout de leurs intérêts, au détriment des nôtres.
Contact: [email protected]
Propos recueillis
par C. Dandjoa
"Le Royaume Téké", Paris: Editions L'Harmattan.