Il y a quarante ans, l'agronome René Dumont nous disait dans un livre célèbre : "L'Afrique est mal partie." Hélas, la prophétie s'est réalisée, le continent noir a tout connu et continue à tout connaître : des guerres, des famines, des corruptions, des coups d'État qui mettent la démocratie en berne, des situations compliquées de la Corne de l'Afrique jusqu'à la Côte d'Ivoire, sans oublier les tentatives de déstabilisation par l'islamisme radical.
Pourtant, pour la première fois depuis des décennies, l'Afrique nous envoie des signes positifs, des signes tangibles de son démarrage : 5 % de croissance en 2004 et 2005, une inflation à peu près maîtrisée, des classes moyennes en développement, des conflits qui se règlent, des pays qui se reconstruisent. C'est le cas du Liberia et de la Somaliland ; la démocratie et la liberté d'expression qui gagnent du terrain, c'est le cas du Mali.
Au Forum social de Bamako, auquel je participais au sein de la délégation socialiste conduite par Harlem Désir, nous avons constaté un bouillonnement incroyable d'initiatives portées par une jeunesse qui n'a absolument rien à perdre et tout à gagner, une jeunesse qui utilise Internet pour s'affranchir des organisations internationales, des acteurs de projets ne se payant pas de nous, mais soucieux de réalisations concrètes.
Ce premier forum sur le continent nous a démontré l'amorce d'un processus de démocratie participative, et celui du Kenya en janvier 2007 aura, je suis persuadée, un impact plus grand sur la structuration de la société civile africaine engagée qui a les mêmes revendications et les mêmes espoirs, c'est-à-dire arriver tout simplement à vivre libre avec un travail décent, de maîtriser leur avenir et leur destin chez eux.
Or, le constat aujourd'hui est que tous les partis politiques, pour ne pas dire progressistes africains, ne sont pas en mesure de prendre part à cet élan parce que tout simplement leurs structures ne sont plus adaptées au contexte politique actuel. Elles sont trop peu performantes pour permettre l'émergence d'une pensée politique de gauche à l'échelle du continent noir où les riches sont de plus en plus riches et protégés et les pauvres de plus en plus pauvres et non protégés. Qu'il s'agisse aussi de la construction de l'union africaine, d'une réponse simplement proprement africaine ou politique du développement, force est de constater aussi que les partis progressistes de gauche ne sont pas en mesure de développer un discours commun solide et suffisamment audible pour peser ensemble et de façon forte sur cette évolution.
Au vu de notre expérience et du lien étroit historique que nous avons avec les partis progressistes de gauche, quel rôle le Parti socialiste français peut jouer pour participer à l'émergence d'une pensée socialiste à l'échelle de ce continent ?
Je le dis d'abord, cette mise en place que je juge utile et nécessaire d'un socialisme sur ce continent ne peut l'être que par la volonté de ce parti frère, mais cela ne nous empêche pas de le stimuler et de l'accompagner. L'intégration régionale de l'Afrique engagée à travers l'unité africaine peut justement donner à la gauche africaine l'occasion d'entamer une phase inédite de régionalisation en politique à l'instar du PSE dans les années 80.
En l'absence d'une telle évolution, les partis progressistes de gauche en resteraient à la situation actuelle qui est réduite à un comité international socialiste Afrique dont l'intérêt politique et le rôle qu'il joue face aux défis régionaux est on ne peut plus dérisoire et insignifiant.
Je terminerai en disant que cet échange d'expériences ne peut être efficace qu'à condition que le Parti socialiste français, et les hommes et les femmes qui le représentent, changent d'état d'esprit et de vision sur ce continent, qu'il modifie sa manière de se comporter sans être agressif. Je dirai qu'il y va de notre intérêt, qu'on essaie d'oublier un peu ce parfum "néocoloniaIiste" et paternaliste qui nous colle aux semelles. Voilà un continent qui a connu l'esclavage il y a cent ans, s'en est libéré pour subir la colonisation et les travaux forcés. Même si la dictature subsiste encore dans certains pays, le continent africain va petit à petit dans le sens de la liberté, et mon devoir à double titre, en tant qu'enfant immigrée de l'Afrique et en qualité de socialiste est, justement, d'être à ses côtés pour cette nouvelle étape.