Interview de
Pascale Quao-Gaudens par Assiatou Bah Diallo
publiée dans Amina en 1989.
Poète et peintre par passion
Elle a 26 ans. Mais déjà a accompli l'oeuvre de plusieurs vies. Poète et peintre par passion, Pascale Quao-Gaudens est coordinatrice dans une grande maison d'édition française. Ivoirienne, elle adore son pays, mais n'étant pas délimitée par le problème de patrie, elle a choisi de vivre en France où elle peut profiter des possibilités que lui offre l'Occident. Mais elle est prête à retourner à tout instant. Elle a visité beaucoup de pays d'Afrique, d'Europe, et d'Amérique latine. Et comme elle a des yeux pour voir, elle s'imprègne de tout, et le restitue dans ses créations. D'où l'originalité de sa peinture. De passage à Paris, elle nous a rendu visite. |
Pascale Quao-Gaudens, Karité est le premier volume d'une trilogie poétique dites-vous. Mais qui est vraiment Karité ? Le choix du nom doit-il être perçu comme un symbole ?
J'ai choisi Karité en effet, pour montrer cette femme à travers l'Essence. Or le karité chez nous est une essence, une huile qui permet à la femme d'être en même temps belle, et de nourrir sa famille.
Karité est une femme dans tous les sens du terme, qui au cours de son parcours initiatique va subir plusieurs naissances et plusieurs morts. Une mutation permanente qui lui permet d'avoir un regard sur le monde et d'avancer dans la recherche intérieure pour l'aboutissement d'elle-même. Eprise de ses vies en haut le coeur, elle se rend compte qu'on puise toute sa substance vitale, et créative et qu'elle est loin d'être le fardeau qu'on prétend puisqu'elle arrive à survivre. Mère, chargée de l'éducation de l'enfant, elle transporte en elle toute sa conscience africaine. Mais Karité se situe dans l'espace, tantôt africaine, tantôt européenne, sans barrière, libre de choisir. Donc elle est représentative de toutes les femmes... de l'Etre.
Comment peut-on vivre sept morts et sept vies à travers une seule ? Quel est le message ?
Lorsqu'on va au bout de soi, à certains moments, il y a une rupture et on a besoin de se renouveler. La rupture nous oblige à prendre conscience. Nous devons soit évoluer ou changer de direction, ce qui dans tous les cas est une mort.
Chacun a des déceptions et des victoires : on ne naît pas et on ne termine pas sa vie de la même façon : ce n'est qu'une évolution. Et pour évoluer, il faut faire un bilan. Qu'est-ce que la vie, sinon l'échelonnement, et le brassage de plusieurs bilans.
Pour faire un bilan, il faut que quelque chose que l'on peut rerpésenter par la mort, nous ait fortement marqué.
Comment cultivez-vous, sur le plan personnel, cette vie intérieure qui semble être pour vous d'une grande importance ?
Je la cultive déjà par la rigueur, et en même temps, par la recherche de l'Amour dans tous les sens du terme. Karité dans sa démarche fait une recherche sur elle-même, et c'est ainsi qu'elle va goûter à tous ses sens, tout ce qui est matière, palpable (goût, odorat, etc...).
Dans ce deuxième volet de la trilogie, je fais intervenir la peinture, la perception du réalisme à toutes les réalités qui s'entrechoquent, qui s'interpellent. Dans le 3ème volet, elle va enfin arriver à l'Essence, une phase spirituelle, où elle va rechercher l'aboutissement d'elle-même, l'absolu. Or l'absolu c'est l'Amour, et avec l'amour on réussit tout.
L'amour est-elle une panacée ? Quelle est votre propre définition ?
La recherche de l'Amour nous conduit à la recherche de la justice : cela équivaut à être bien avec soi-même. Et automatiquement, lorsqu'on est bien avec soi, on n'est pas en désaccord avec l'autre. C'est une espèce de symbiose, une sérénité qu'on transmet. On porte en soi, mais on ne le développe pas assez.
Que préconisez-vous pour nous aider dans cette quête d'amour ?
Il n'y a absolument pas d'apport extérieur; chacun doit y arriver par lui-même, en développant sa conscience des choses.
Comment expliquez-vous votre goût pour la poésie à une époque où celle-ci est en perte de vitesse ?
En Afrique on lit beaucoup la poésie, même si en Europe c'est passé de mode. En ce qui me concerne, la poésie est un art majeur. C'est celui du mot, du verbe, de l'intérieur... la poésie interpelle beaucoup le lecteur dans sa démarche intérieure, contrairement au roman où l'on s'identifie à un héros qui déambule dans un univers autre.
Comme votre héroïne, il y a en vous Pascale, plusieurs femmes. Vous êtes poète, peintre, illustratrice, secrétaire de rédaction, épouse, mère, etc... Comment y arrivez-vous ?
J'y arrive parce que je vis en province, et que je consacre 14 h de mon temps au travail. Je fais de la peinture, parce que ça me passionne. J'adore l'écriture. Ce qui est drôle dans ce recueil, c'est de donner un autre sens au mot, je fais d'un nom un verbe, je change la situation des mots pour leur donner un autre rythme. Et ce qui m'intéresse dans la peinture, c'est tout le réalisme, le merveilleux, la représentation picturale d'une réalité africaine : c'est-à-dire la non-scission entre le monde matériel et celui de l'au-delà : donc tout le monde des ancêtres, de la sorcellerie colle à la réalité quotidienne. Et c'est ce que j'essaie de montrer.
Ce ne sont pas des couleurs gratuites, mais celles de la réalité du quotidien. Il y a des représentations, des scènes typiquement africaines telles les fanicos. A l'origine, tous ces petits métiers de laveurs de linge étaient féminins, mais les hommes ont fini par s'en approprier. Et j'ai voulu montrer ce dédoublement, ne serait-ce qu'au niveau du geste... Dans ma peinture, l'intervention de la force qu'elle soit physique, intérieure, ou spirituelle est importante, tout comme sont omniprésentes les couleurs verte et sable. Et la terre devient un patchwork de plusieurs couleurs de pagne.
Croyez-vous à l'Amour avec un grand A ?
Je crois à la notion d'Amour. Et l'amour dont je parlais plus haut est unique et universel. Il est assexué, on le porte sur soi... Il faut se donner les possibilités de le cultiver, mais aussi de le donner.
Quel est le chemin qui mène à soi ?
On peut avoir l'aide de la terre entière, mais si on ne croit pas en soi, on n'y arrivera jamais. La démarche à suivre est de ne pas se laisser bouleverser par les autres, ne pas avoir de complexes.
Assiatou Bah Diallo. «Pascale Quao-Gaudens: Poète et peintre par passion», Amina (Avril 1989).
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The The University of Western Australia/French
Created: 19 Nov 96
Last modified: 17 June 99
Archived: 12 October 2016
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