"Nous avons une tradition de scolarisation
des femmes qui date du XIXe siècle..."
Michèle Rakotoson vit en France depuis 1983. Comme de nombreuses malgaches, elle est venue y finir ses études. Son DEA en Sociologie en poche, elle décide de se consacrer à l'écriture. Journaliste-écrivain, Michèle Rakotoson écrit en français et en malgache depuis 1975. Son troisième roman, "Elle, au printemps", vient de paraître. A travers les yeux de Sahondra, une jeune malgache d'une vingtaine d'années, l'auteur évoque la douloureuse expérience de l'exil. Un roman pour adolescents, écrit avec beaucoup de sensibilité. |
" Elle, au printemps " est-il un roman autobiographique?
Non, je suis venue en France dans de bonnes conditions. J'étais mariée et mes enfants sont venus me rejoindre un an après. Après mes études, j'ai commencé à être journaliste. Je ne connaissais rien à la France: il fallait que je comprenne ce pays. Au lieu de faire le chemin classique qui consistait à travailler sur ma communauté africaine, j'ai travaillé sur la France. J'ai sillonné quasiment toute la France. C'est comme cela que j'ai vu de près la réalité de l'immigration. Ce roman est nourri des enquêtes que j'ai faites à cette époque. J'ai écrit ce roman il y a six ans environ, mais il est resté dans mon tiroir. J'étais persuadée qu'il était mauvais. Je l'ai retravaillé parce que j'en avais assez d'entendre parler de l'immigration en termes négatifs. D'autant que, lorsque l'on est jeune, il faut être extrêmement courageux, intelligent et décidé pour quitter son pays. J'ai rencontré de nombreux jeunes de 19 à 25 ans qui avaient un courage rare. C'est en réaction contre l'immigration et les sans-papiers, que j'ai "retravaillé" cette jeune fille que, finalement, j'aime beaucoup.
Justement, pourquoi avoir plutôt choisi une jeune femme?
Parce que l'on ne parle pas souvent des jeunes femmes. Or, il y a tellement de petites jeunes filles qui débarquent en France pour faire des études. Elles viennent en ayant soi-disant des parents qui peuvent assurer derrière. Alors que justement, on sait qu'à un moment donné les parents ne peuvent plus assurer en Afrique. Alors il faut qu'elles se débrouillent et ce sont souvent elles qui réussissent brillamment.
Y a-t-il, toutefois, des éléments de votre expérience de l'exil que vous reprenez dans votre livre?
Oui, matériellement, mon expérience a été un peu plus facile. Mais psychologiquement, c'était difficile de me retrouver seule avec ma famille. Ne connaissant personne, je me retrouvais toujours face à des portes fermées. Il y a le racisme violent vis-à-vis des hommes, mais on ne parle pas de celui vis-à-vis des femmes. Que vous le vouliez ou non, à un moment donné vous êtes une belle gueule noire. Une belle gueule noire ne peut pas être intelligente! De même, j'ai été scandalisée de voir les adultes qui vieillissent seuls et que personne n'aide dans la rue quand il leur arrive de tomber, par exemple! Ce qui m'agace le plus, c'est l'image qui est donnée de la communauté noire. On a envie de taper sur la table et de dire que chez nous il y a des ingénieurs, des avocats, etc... Il y a des gens qui créent des emplois dans le secteur informel parce qu'ils sont pleins de diplômes, mais qu'ils n'arrivent pas à trouver d'emploi. De plus en plus de jeunes sont aussi décidés que Sahondra à s'en sortir. Ils créent leur propre entreprise, c'est grâce à eux que le sous-développement disparaîtra. Il est vrai que dans ce livre, il y a un peu de ce que j'ai vécu ainsi que les rencontres extraordinaires que j'ai pu faire.
Vous avez l'air admirative devant cette nouvelle génération de jeunes qui en veulent...
Je suis éperdue d'admiration devant eux. Je pense qu'il y a une génération de 30-35 ans qui est extraordinaire. Ils agissent et travaillent. Ceux qui, comme moi, ont entre 40 et 50 ans se sont perdus dans les discours idéologiques. Il faut vraiment être intelligent pour arriver à survivre aux crises qui surviennent sur le continent et à Madagascar.
On aurait tendance à penser qu'une famille malgache ne laisserait pas facilement partir sa fille. Or cela se passe bien dans le cas de Sahondra.
Nous avons une tradition de scolarisation des femmes qui date du XIXe siècle. Il y a beaucoup de filles malgaches qui partent comme cela. En principe, elles ont toujours une adresse, un parent chez qui aller. Il y en a quelques-unes qui, comme Sahondra, débarquent.
C'est à partir des années 40 que les femmes malgaches ont commencé à travailler. Par exemple, en 1950, nous avons eu la première femme malgache avocate.
Il est également surprenant de voir que la famille de Sahondra vend ses terres afin que la jeune femme puisse partir. Ce sont le plus souvent des jeunes femmes moins démunies.
En principe ce sont des jeunes filles de familles aisées que l'on envoie. Cela dit, la démocratisation de l'école a fait que de nombreuses filles de familles pauvres sont arrivées à faire leurs études. C'est le cas de cette jeune qui a la licence et qui est particulièrement intelligente et têtue. Elle a négocié avant avec ses parents. Ils se sont peut-être dit que c'était plus facile pour une fille. Beaucoup pensent comme cela, mais on ne parle pas de ces nombreuses femmes qui partent seules.
Vous avez fait des études sociologiques. Savez-vous ce que ces femmes deviennent une fois qu'elles ont fait leurs études en France?
Certaines se marient et repartent au pays où elles trouvent ou ne trouvent pas de travail. De plus en plus, les jeunes essaient de retourner. Mais c'est tellement dur qu'il y a un mouvement de va-et-vient. D'autres femmes restent ici et finissent plus ou moins bien.
Vous parlez finalement très peu des aspects politiques de votre pays.
J'ai parlé de Madagascar dans "Le bain des reliques" et surtout dans mes pièces de théâtre qui sont extrêmement politisées. Par exemple, j'ai écrit une trilogie qui est une longue réflexion sur la dictature, la prise de pouvoir et ses aberrations. Cette fois-ci, j'ai voulu faire un livre pour adolescents. Un livre plein d'espoir, qui se lit bien. Je crois que l'on s'attache à Sahondra.
Elle ne verra jamais son amie Marie. Est-ce une métaphore de ses illusions perdues?
Oui, elle ne verra peut-être jamais Marie. C'est l'image de son rêve de jeune fille. Sahondra va continuer sa route.
La dernière phrase du roman donne l'impression qu'il y aura un second livre sur les aventures de Sahondra. Y a-t-il une suite à "Elle, au printemps"?
Non, j'ai voulu faire une non-fin. C'est à chacun d'imaginer le second livre. Il y a plusieurs issues: elle peut se payer la loi Pasqua, revenir se marier avec le beau jeune homme, ou rester avec Véro. J'ai voulu laisser aux gens la liberté de rêver.
Pourquoi le titre "Elle, au printemps"?
Parce que je l'ai écrit au printemps, à Valenciennes.
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