Angèle Rawiri Ntyugwetondo première femme écrivain du Gabon
Première romancière gabonnaise, Angèle Rawiri Ntyugwetondo a déjà à son actif deux romans, Elonga et G'amérakano, parus en l'espace de deux ans aux Editions Silex, et un troisième, à paraître tout prochainement. |
Très attachée au mysticisme, cette jeune femme svelte au regard malicieux nous brosse, avec une plume sobre, corrosive et non moins savoureuse, un tableau social et culturel d'une Afrique en proie à mille et une contradictions. Résolument réaliste, l'auteur accouche d'un certain nombre de personnages aux destins divers. Comme autrefois sous l'arbre à palabre, elle les installe au carrefour de la tradition et du modernisme et étale leurs forces et leurs faiblesses, leurs espoirs et leurs désespoirs. Tel un peintre, Rawiri, avec une sensibilité particulière, habille ses personnages de couleurs chatoyantes, mais, à l'inverse, les dépouille un à un avant de les conduire vers un idéal collectif.
Installons le décor. Appartement dans le dix-septième arrondissement de Paris. Angèle Rawiri nous reçoit chez elle, le sourire en coin. Durant l'entretien, elle ne cessera, entre deux phrases, de porter un regard attentionné sur Anne-Sophie, sa fille de deux ans qui court dans tous les sens, rythmant ainsi l'atmosphère dans laquelle sa mère se livre au jeu de nos questions.
Le fait d'écrire relève-t-il, pour vous, d'une démarche de dénonciation ou plutôt d'observation de la société africaine?
Dans mes romans transparaît un certain idéal. Au départ, je prends les gens dans leur complexité, dans leur médiocrité. Puis j'essaie, à la fin du roman, de choisir la meilleure voie pour eux. J'envisage d'écrire trois autres ouvrages qui auront une portée philosophique et mystique. Dans ces textes, mes personnages arriveront à s'en sortir grâce à la religion ou au mysticisme. En un mot, ils tendront vers une certaine perfection. Je pense qu'on ne peut plus se contenter de dénoncer ce qui existe. Il faut avant tout que les personnages que l'on met en scène accomplisent un certain idéal. C'est pourquoi je pars des problèmes courants pour montrer que d'autres voies sont possibles.
Est-ce une démarche littéraire que de démarrer par des choses négatives et de terminer sur le postif...?
Quand on veut prodiguer des conseils à quelqu'un, il faut d'abord lui montrer ses faiblesses si l'on veut l'aider à se corriger. La délation, l'hypocrisie, etc..., sont des maux qui retardent l'Afrique. Vous savez, par exemple, que de nombreux universitaires africains n'ont qu'un seul désir: devenir des hauts fonctionnaires. Il est grand temps que l'on comprenne que l'insolente réussite matérielle d'une poignée d'individus au détriment d'une population affamée est une injure à sa dignité.
Est-ce que vous auriez écrit si la société africaine n'était pas ce qu'elle est maintenant?
Forcément. A mon sens, l'acte d'écrire ne saurait être assimilé à aucun calcul. Je pense que l'inspiration vient suivant le milieu dans lequel on vit.
En d'autres termes, qu'est-ce qui vous a finalement poussée à écrire?
J'étais, quelque part, une décracinée. Je ne me sentais pas chez moi en terre africaine et, en même temps, je ne me sentais pas non plus chez moi en Europe. En Afrique, je ne comprenais pas certaines de nos pratiques. J'ai commencé à réfléchir sur certains problèmes et à en parler autour de moi. Ce fut mon frère qui me conseilla d'écrire.
Pendant que vous écriviez votre premier roman, étiez-vous consciente que vous deviendriez la première romancière du Gabon?
Non. Je n'avais pas pensé à cela. J'étais plutôt accaparée par mes réflexions, mes doutes, mes angoisses, mes inquiétudes. Quand le roman est sorti, j'ai appris que j'étais la première romancière...
Avez-vous rencontré des difficultés pour publier?
Non. J'avoue que ça a été plutôt facile. J'ai été aidée par des amis journalistes qui m'ont mise en contact avec un éditeur.
Etre la première romancière de son pays représente certainement une lourde responsabilité...
Certainement. Cependant, après la parution de Elonga, mon premier roman, j'ai éprouvé un sentiment d'échec. Les gens s'attardaient par exemple sur la couverture qu'ils jugeaient trop luxueuse. Mais ce qui me gêna le plus, ce fut le manque d'intérêt manifesté par la plupart à l'égard des problèmes inquiétants que j'abordais. Mais bon, je ne rêvais pas. Je ne croyais pas changer mes concitoyens en écrivant ce roman. J'ai pu constater que les gens allaient chez les sorciers autant qu'avant la parution d'Elonga...
Dans Elonga précisément, votre héroïne Aziza a appris la couture dans une grande école. Est-ce que l'instruction, chez l'Africaine, permet de mieux prendre en compte les valeurs traditionnelles?
Oui, plus que jamais. A mon avis, la Connaissance passe par l'instruction. Je n'affirme pas que les gens qui n'ont pas fait de hautes études n'ont pas le sens de l'analyse, loin de là. Mais il faut reconnaître qu'ils sont, quelque part, terriblement handicapés.
Dans votre second roman, Toula, le personnage central, est habitée par une contradiction : en même temps qu'elle aspire à une vie meilleure, elle s'attache à son modeste environnement...
Je pense que chaque homme a ses contradictions. Il peut aspirer à une vie meilleure tout en étant bloqué. Il ne suffit pas de désirer quelque chose pour l'obtenir. Encore faut-il se préparer mentalement à assumer ses nouveaux besoins...
Grâce à l'appui de son oncle, Toula se fait embaucher comme secrétaire dactylographe. On a l'impression qu'elle est obligée d'utiliser cette relation pour arriver à ses fins...
Elle n'a vraiment pas le choix. Elle est incapable d'accéder à la vie qu'elle convoite pour elle-même. Elle est obligée de recourir à des astuces. C'est malheureusement le cas de beaucoup de femmes dans nos pays. La plupart du temps, elles n'obtiennent rien sans mettre en avant des relations, sans se déguiser.
Parce qu'elle manque de diplôme, Toula souffre énormément. Pensez-vous que la valeur d'une femme africaine se mesure également au nombre de ses "parchemins"?
Actuellement, la femme africaine ne peut se mettre en valeur que grâce à un certain bagage intellectuel. En même temps, l'intellectuelle africaine se contredit, car ses diplômes ne lui suffisent pas. Pour accéder à une vie meilleure, elle a besoin de l'appui d'un homme. Ce comportement relève ou résulte sûrement de traditions inadaptées au monde moderne.
Ekata, un autre personnage de votre second roman, ne ressemble pas du tout à Toula. Elle se lie pourtant d'amitié avec elle, simplement parce qu'elle voudrait s'attirer l'attention de l'oncle de son amie. Est-ce à dire que dans nos sociétés, toute relation est intéressée?
En vivant en Afrique, j'ai constaté que les rapports entre les individus sont toujours intéressés. On va vers quelqu'un parce qu'on espère obtenir de lui quelque chose.
Moussiliki, la mère de Toula, voudrait que sa fille se prostitue pour le bien de toute la famille. Représenterait-elle une Afrique qui s'est négativement métamorphosée?
L'Afrique est en effet négative. C'est vrai que cette femme incarne parfaitement les qualités et les défauts d'une Afrique qui croit que la résussite se limite à l'acquisition effrénée de biens matériels. Moussiliki considère en fait que sa fille devrait contribuer à son ascension sociale. Je ne sais pas si sa fille passe avant elle. Une chose est sûre, elle ne deviendra que ce que sa fille lui aura permis de devenir.
Elle considère alors sa fille comme un investissement?
Absolument. De telles pratiques sont courantes sur le continent.
Heureusement qu'il y a Yaya Okassa, la grand-mère de Toula, qui représente en quelque sorte la tradition. A-t-elle vraiment sa place dans cet univers?
Ah oui ! Il est important qu'il y ait des gens comme elle pour essayer de rééquilibrer un certain jeu de forces. Elle représente la voix de la sagesse. Plus que jamais, l'Afrique a besoin de personnes influentes capables de guider les jeunes. Ce peuvent être des intellectuels ou des mystiques, ou les deux à la fois. En tout cas, il faut qu'il y ait des gens qui dénoncent nos travers et proposent un mode de vie positif.
Malheureusement, Okassa n'a pas voix au chapitre...
Si, à la fin du roman. Et c'est cela qui importe.
Pensez-vous que les Africains soient favorables à un quelconque changement?
Je pense que dans son ensemble, le peuple africain n'est pas conscient de ces errements. Ceux qui réfléchissent un tant soit peu passent leur temps à écrire des ouvrages sur l'économie, la sociologie politique, etc... A mon avis, le problème crucial qui se pose est tout autre, c'est celui de notre relation avec le divin. Je veux dire que l'Africain ne se connaît pas, ne se comprend pas et ne se cherche pas. De là viennent les maux ahurissants qui nous accablent. Il nous faut revenir vers Dieu, mais pas forcément à travers les religions importées. Car Dieu est en nous.
Que représente, pour vous, la notion de Dieu?
Dieu est le créateur de toutes choses. Il est dans la matière et dans l'espace. Il est l'énergie universelle en nous et autour de nous. Il est ces vibrations qui coordonnent nos pensées et nos mouvements.
L'instabilité des Africains serait-elle due à une certaine incohérence vis-à-vis de Dieu?
On ne colonise que celui qui est déjà affaibli. Il a fallu que nous soyions faibles pour que le colon nous asservisse autant qu'il le souhaitait. L'espèce humaine, c'est comme le mental: elle a horreur du vide.
Vous poursuivez une recherche sur la notion de Dieu et sur la culture. Estimez-vous que la culture africaine a été faible à cause du manque d'un seul et unique Dieu?
Prenons l'exemple du peuple juif. Sa force à travers les âges et le monde est fondé sur la religion: c'est en grande partie grâce à elle que le judaïsme constitue un incroyable pouvoir social et économique, même et surtout lorsque les juifs sont minoritaires et pourchassés. Nous les Noirs, nous sommes individualistes malgré l'apparente notion de communauté qui semble nous lier les uns aux autres. Les religions occidentales nous ont fait beaucoup de mal. Les prêtres et les pasteurs nous disaient à peu près ceci: "Priez un seul Dieu, le nôtre, mais acceptez votre condition d'êtres inférieurs. Si nous sommes les maîtres, c'est parce qu'il en a voulu ainsi". Avec un acharnement déroutant et incompréhensible, les Noirs ont cherché à s'identifier aux Blancs. Ils se sont dit: "Pour que Dieu nous apprécie et nous accepte, il nous faut imiter les maîtres par tous les moyens". Ils ignoraient que Dieu considère tous ses enfants sur un même pied d'égalité.
A votre avis, à quoi est due cette faiblesse au niveau de la croyance en Dieu?
Cette faiblesse est principalement due à la dilapidation de nos forces. Un homme qui ne canalise pas son énergie se meurt. La force de l'homme est intérieure. Il faut d'abord retourner en soi, puiser ses forces à l'intérieur de soi avant de les extérioriser. Quelque part, le Noir a perdu cette sagesse-là. Elle n'a pas été transmise aux nouvelles générations. Il y a donc eu rupture. Dans chaque civilsation, il y a toujours eu un noyau d'individus qui formaient la force spirituelle. En Egypte, il y a eu Osiris. En Inde, il y a eu Bouddha. Aujourd'hui, en Occident, il y a le pape, etc... Seules des personnes de cette envergure arrivent à inspirer et à drainer des masses entières. Ce type de personne nous a manqué et nous manque encore. L'idéal dont je parle permettrait, entre autres choses, de faire en sorte que tout le monde mange à sa faim, et que les hommes se rapprochent ou se sentent solidaires au lieu de se combattre et de se détruire.
Que proposez-vous alors concrètement?
Il faut attendre mon quatrième ouvrage qui est d'ailleurs déjà en chantier. Toute pensée positive est constructive. Lorsque j'écrivais mon premier roman, je visais un idéal. Je dénonçais des comportements particuliers sans les rattacher consciemment à des attitudes particulières à l'égard de Dieu. Mais à mesure que je mûris, je me dis qu'il est notre seul salut. C'est pour cela que mes romans nécessitent des suites. Et je continue à déplorer le fait qu'il n'y ait pas, en Afrique, de leaders spirituels. Ils sont pourtant nécessaires!
Seriez-vous d'accord avec l'écrivain Sony Labou Tansi qui assimile la jeunesse africaine à un volcan qui s'endort et dont on attend l'éruption à un moment ou à un autre?
Ah oui! Pour plusieurs raisons, seuls les jeunes peuvent remettre en question certaines choses. Vingt ans, c'est l'âge où l'on idéalise le monde et où l'on voudrait le refaire. De plus, les jeunes sont instruits. Ils voyagent, lisent, et sont au courant de ce qui se passe dans le monde. C'est vrai qu'en Afrique, il y a trente ans, il y a eu de grands et éphémères espoirs. Il y a eu le "Non" historique de la Guinée à la France, et diverses autres choses. Mais après! Qu'est-ce qui s'est passé? Que se passe-t-il? Il faut aujourd'hui des gens intègres. Les jeunes ont besoin de personnages qui incarnent un idéal de vie. Seulement, voilà, ils n'en trouvent pas! Sankara nous a été enlevé trop vite... Le pire, au bout du compte, c'est que beaucoup de jeunes finissent par se résigner parce qu'ils ne peuvent pas lutter désespérément toute leur vie durant.
Quels sont les écrivains qui ont influencé ou influencent vos réalisations?
Baudelaire, Victor Hugo, Stendhal. Mais je ne peux pas dire que ce soient là mes seuls points de repère. Parmi les écrivains contemporains, je lis avec plaisir Yourcenar, Duras, Sony Labou Tansi. En fait, je lis très peu depuis quelque temps. Actuellement, je suis attentive à certains ouvrages philosophiques. J'aime beaucoup ce que fait Sony Labou Tansi, il y a dans ses écrits de multiples reflets du divin. Et puis, last but not least, je lis la Bible parce que j'essaie de comprendre certains de ses passages à la lueur de mes lectures ésotériques. La Bible est le seul livre au monde qui cite plusieurs fois Dieu à toutes les pages. D'où sa force, dit-on.
Depuis quelques années, vous vivez en France. Ne souffrez-vous pas de devoir dépeindre une société dans laquelle vous ne vivez pas?
J'ai écrit mes deux premiers romans au Gabon. Je crois que pour l'instant, tout Africain qui s'exile ici n'a pas sa place en Afrique.
Le jour s'achève, le décilic du magnétophone abrège notre jeu, Anne-Sophie vient d'écraser ses biscuits. Quant à sa mère, elle n'a pas envie de s'arrêter, elle voudrait encore parler. Elle parlera encore...
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