Mme Ghislaine Sathoud:
"Les maux du silence"
Un ouvrage qui dénonce les difficultés conjugales de la femme
africaine en Occident...
Mme Ghislaine Sathoud, originaire du Congo-Brazzaville, est établie au
Canada depuis plusieurs années. Elle vient de publier un ouvrage
intitulé "Les maux du silence" qui met en scène les
déboires conjugaux d'une femme africaine martyrisée par son
époux, lui aussi africain.
Mme Sathoud est titulaire d'une Maîtrise en Relations internationales. Elle prépare actuellement un doctorat de Ille cycle en Sciences politiques à l'Université du Québec à Montréal (UQUAM). Elle est également membre de l'Union des Auteurs et Artistes Africains au Canada. Mme Sathoud est mariée et mère de trois enfants. Elle a bien voulu nous parler de son livre. |
De quoi est-il question dans votre ouvrage?
Je parle de la condition des femmes africaines dans les pays occidentaux. Elles recontrent de nombreux problèmes, entre autres la garde des enfants, car alors qu'elles sont très entourées en Afrique, ici c'est une autre histoire. Elles sont également confrontées, pour la plupart, à des problèmes d'emploi, des problèmes financiers et aussi conjugaux... J'essaie donc, dans ce livre, de relater l'histoire d'une femme qui est venue en Occident avec son mari et brusquement ce dernier se transorme en bourreau...
Pourquoi avoir privilégié le genre théâtral pour raconter cette histoire?
Tous simplement parce que je pense qu'après la lecture, on peut également assister à une représentation théâtrale. Le théâtre est vivant et permet de mieux s'imprégner d'une histoire.
Votre héroïne subit des violences psychologiques et mêmes physiques inouïes. N'est-ce pas un peu exagéré et pourquoi choisit-elle de se murer dans le silence?
Sachez qu'il existe des cas comme celui que j'évoque dans de nombreux foyers africains en Occident. Par ailleurs, l'héroïne se confine dans le silence parce qu'elle subit consciemmment ou inconsciemment le poids des traditions africaines, le "qu'en dira-t-on?" d'un éventuel divorce, les réactions de la belle-famille restée en Afrique, sa propre famille qui ignore les difficultés qu'elle vit avec son conjoint en Occident, et puis elle se dit qu'une plainte auprès des autorités ici peut causer des ennuis à son mari. Elle choisit en définitive de subir en silence.
Comment peut-on expliquer que de nombreux couples africains craquent en Occident, alors qu'ils menaient une vie harmonieuse dans leur pays d'origine?
Je pense que les conditions de vie à l'étranger ne sont pas souvent aisées : problèmes financiers chômage, climat, etc. Le problème d'intégration est au facteur négatif. Je prends le cas du Canada où si l'on n'est pas résident permanent, les études, coûtent deux fois plus chères, les garderies... Tous ces problèmes créent généralement des conflits au sein de certains couples africains. On se déchire pour des allocations familiales, des avantages matériels, quelquefois pour des futilités...
Contrairement à votre héroïne qui choisit de rester avec son époux malgré ses déboires, il semblerait que de nombreuses femmes, elles, choisissent de quitter le domicile conjugal...
Oui ! Mais certaines n'ont pas le choix, car c'est dur pour elles. Elles préfèrent s'en remettre à des services sociaux qui existent dans leur ville. Il faut remarquer que cette solution n'arrange pas les conjoints et c'est ce que mon héroïne a voulu éviter à son mari. Elle étudie le moyen de rompre sans avoir un problème avec sa conscience. On accuse souvent les femmes de profiter de leur nouvelle situation en Occident, de leur nouvel environnement pour se rebeller contre leurs maris. Mais n'est-ce pas plutôt le comportement de ces derniers qui est à dénoncer?
Nous nous sommes laissés dire que le fait d'avoir amené leurs conjointes en Occident laisse croire à certains hommes qu'ils ont le pouvoir absolu...
En effet, certains font du chantage. Ils pensent qu'ils ont sorti la femme de la misère et se comportent de façon indécente. C'est dommage de se comporter de cette manière. Ce n'est pas parce qu'on a payé le titre de transport d'une personne qu'il faut être aussi méchant. Cela me révolte surtout quand tout cela débouche sur des tragédies dans certains couples. Il faut que cela cesse. J'espère que les hommes comprendront qu'il n'y a pas de raison de se comporter de la sorte ! Il faut tout de même nuancer pour reconnaître que de nombreux couples africains en Occident réussissent quand même leur vie conjugale. Heureusement!
Pensez-vous que les couples africains qui viennent s'établir en Occident préparent véritablement leur projet avant le voyage?
C'est sûr qu'on ne peut recenser tous les problèmes, certains voyages sont préparés, d'autres pas. Il faut dans tous les cas savoir s'adapter très rapidement pour ne pas sombrer. Ici, je pense que le couple doit être complémentaire, car il y a d'autres réalités. Il faut se donner la main, le mari doit laisser de côté son orgueil et s'impliquer un peu plus dans les tâches de la maison. De toutes façons, il demeure le chef de famille. La femme a besoin de plus d'attention de sa part, car ici la famille est réduite.
L'histoire contenue dans cette pièce théâtrale vous concerne-t-elle personnellement?
Pas du tout ! Mais je suis inspirée de certains faits vécus par d'autres personnes. De nombreux exemples existent.
A un certain moment de votre ouvrage, l'époux jusque-là irrascible et cynique, revient à de meilleurs sentiments lorsque sa femme trouve un emploi. Pourquoi ce virage à 180 degrés ?
Oui ! Il a peur de perdre le contrôle. Il redoute l'indépendance financière de son épouse qui a trouvé un emploi. Il pense qu'elle a maintenant les moyens de quitter le domicile conjugal, donc il est obligé d'être gentil. Le conjoint "désarmé" tente de l'amadouer.
Avez-vous personnellement l'impression d'avoir réussi votre intégration au Canada ?
Je pense être sur cette voie. J'essaie de mettre tous les atouts de mon côté pour réussir cette adaptation puisque de toute façon c'est le pays que j'ai choisi pour vivre et cela malgré les difficultés de tous ordres liés à la langue, au climat, à la garde des enfants, aux frais de scolarité, etc... Pour affronter tout cela, il faut avoir un moral d'acier.
Vos projets en matière d'écriture?
J'ai d'autres ouvrages en chantier. Je dois vous signaler aussi que le thème de mon livre a fait l'objet d'une représentation lors des festivités entourant la Marche mondiale des femmes à Sherbrooke au Canada. Ma pièce a représenté l'Afrique. C'est un honneur que je n'oublierai pas de sitôt. Je souhaiterais aussi que cette pièce soit jouée en Afrique. Ce serait une façon de donner l'information aux femmes là-bas qui ignorent souvent les réalités de la vie en Occident.
Vous avez trois enfants. Comment concevez-vous leur éducation dans un contexte différent de l'Afrique ?
J'aimerais que mes enfants soient imprégnés de la tradition africaine et avec l'aide de mon mari, je mettrais tout en oeuvre pour qu'ils aillent régulièrement en Afrique en "stage" (rires). Mais cela dit, puisqu'ils vivent ici au Canada, il faut réussir un melting-pot entre culture africaine et occidentale. C'est un pari que je souhaite réussir.
Quels sont vos auteurs préférés ?
J'en ai plusieurs, mais je vous citerai au passage, Maryse Condé, Calixthe Beyala, etc...
Vos loisirs?
Écouter de la musique africaine : Aïcha Koné, Monique Séka, Pembé, Marnïe Claudia...
Quelle est votre senteur préférée ?
"Ysatis" de Givenchy, une fragrance qui me fait rêver...
Que doivent retenir les lectrices d'AMINA ?
J'aimerais qu'elles retiennent que l'indépendance intellectuelle, financière et matérielle est très importante. Dans la vie d'une femme, l'un de ces points permet à celle-ci de garder une certaine dignité. Je retiens, pour ma part, tout ce que me disait mon père quand j'étais gamine: "Le premier mari d'une femme c'est d'abord l'école et puis son travail plus tard...".
"Les maux du silence" de Ghislain Sathoud est publié aux Éditions Maison Culturelle "Les Ancêtres".
|
Contact: Ghislain Sathoud: 8852 - 2e Avenue - Montréal (QC) - H1Z 2S4 - Canada - E-mail: [email protected]
Propos recueillis
par Jacques Bilé