Dix ans après son premier roman "Le dard du secret", Sokhna Benga a reçu à Dakar le 28 novembre 2000, le Grand Prix du Président de la République pour les Lettres, pour son deuxième roman auto-édité "La balade du sabador". Agée de 33 ans, cet écrivain, juriste de formation, qui partage son temps entre Paris et Dakar, va nous expliquer, au cours de l'interview qu'elle a accordée à AMINA, comment elle anime les ateliers d'écriture qui lui sont confiés et enfin les améliorations qu'elle compte apporter à son roman. |
Comment êtes-vous venue à l'écriture ?
J'ai sorti Le Dard du secret il y a plus de dix ans, maintenant. A l'époque, j'ai été très encouragée par mon père, journaliste, qui à la lecture de ce qui devait devenir mon premier roman m'a dit: "La littérature est ta voie, ma fille. Continue, tu vas réussir!" J'ai suivi ses conseils et je ne le regrette pas.
Et en tant qu'écrivain, avez-vous été amenée à animer des ateliers d'écriture ?
J'anime des ateliers d'écriture depuis quatre ans auprès de personnes en difficulté, dans les écoles primaires, les maisons de la jeunesse et de la culture et dans les prisons pour femmes. C'est une activité que j'ai développée parce qu'on me l'a demandé. Je me suis rapidement rendue compte qu'elle était bien perçue par toutes ces personnes à l'itinéraire tortueux.
Comptez-vous beaucoup de femmes africaines aux ateliers que vous animez à la prison pour femmes ?
Des Algériennes, des Marocaines et une Zaïroise.
Comment se passent-vos ateliers ?
Je leur apprends à écrire des contes, surtout. Le conte nous permet de mieux nous connaître et nous aide à découvrir l'autre communauté. C'est une façon de combattre les préjugés, le racisme et d'encourager une universalité.
Combien de temps durent vos ateliers ?
C'est variable : un an, six mois, trois mois, mais pour les prisons, jamais moins d'un mois.
Avez vous noté un changement d'attitude au niveau des détenues ?
Au départ, elles étaient très renfermées sur elles-mêmes et manquaient de confiance en elles. Avec les ateliers, elles ont enfin une personne pour les écouter, une interlocutrice. Elles parlent d'elles, de leur vie, pourquoi elles sont en prison. Elles sont perçues en tant qu'êtres humains à part entière et c'est très important pour elles. D'ailleurs, souvent à la fin du premier atelier, elles rient dans les couloirs, à la grande surprise des gardiennes qui ne comprennent pas cette métamorphose.
Qui vous a soufflé l'idée d'animer des ateliers de lecture dans les prisons ?
Les ateliers que j'avais avec les enfants, les adultes et les marginaux se déroulaient bien. L'administration m'a demandé de reconduire cette expérience, mais avec les femmes détenues.
Vous avez développé les ateliers d'écriture en France. Pourquoi pas dans votre pays, le Sénégal ?
J'y pense. J'ai reçu des propositions pour les écoles primaires.
Etes-vous rémunérée pour ces ateliers ?
Oui, bien sûr.
Qu'est-ce qu'un sabador? Pouvez-vous expliquer le titre de votre roman ?
Le sabador est une tenue que les Sénégalais aiment porter le vendredi de préférence. Elle est composée d'une tunique et d'un pantalon. Le sabador s'enlève facilement. C'est une tenue qui peut être pleine de dignité mais qui peut avoir aussi un côté très coquin. J'ai choisi cet habit pour une promenade aussi bien mystique que réelle.
Dans votre roman, le sabador est plus qu'un habit, il est un homme.
Oui, mais n'importe qui ne peut pas être sabador. Le sabador confère l'autorité. Maintenant, l'homme qui porte ce vêtement a-t-il vraiment cette autorité ou agit-il comme s'il avait cette autorité? C'est la question que l'on se pose pendant tout le roman. Comment est perçue l'autorité de l'homme.
Quelle est l'histoire que raconte votre roman ?
Il s'agit de deux jumelles Maye et Ngoye qui essaient de tirer leur épingle du jeu établi par le sabador et par la société. Ngoye a appris à se conformer à la société pour ne pas faire mal à son entourage. Mayé, elle, est complètement révoltée et pense que le sabador ne mérite pas cette reconnaissance multi-séculaire. C'est une femme moderne qui veut se faire respecter, après avoir essayé de se comporter en homme pour leur ressembler.
Encore une approche féministe, n'est-ce pas ?
On découvre effectivement dans ce roman l'évolution du féminisme: l'anti-féminisme qui est incarné par Ngoyé,le féminisme représenté par Mayé qui avait commis l'erreur de croire qu'il suffisait de singer les hommes pour leur ressembler et enfin le post-féminisme qui pousse les femmes à se faire respecter en tant que femmes.
Ce roman cache-t-il des expériences personnelles ?
J'ai toujours été une battante. Je veux bien faire plaisir, mais pas à mon détriment. Je ne mâche pas mes mots et j'ai toujours refusé la promotion-canapé. Je me suis toujours bagarrée et ma réussite est l'aboutissement normal de mon travail et de ma rigueur.
Vous avez reçu en novembre 2000, le Grand Prix du Président de la République pour les Lettres. Comment avez-vous perçu cette récompense?
J'étais émue et surprise parce qu'il y avait d'autres romans en compétition que je n'avais pas lus, mais qui avaient été édités par des maisons prestigieuses telles que Gallimard, Présence-Africaine, les Nouvelles Editions Africaines et c'était pour moi un label de qualité.
Cette récompense a provoqué une vive controverse. Pensez-vous que malgré toutes les fautes qui jalonnent votre roman, vous méritez ce Prix ?
Bien sûr, parce que c'est un roman de qualité. Je l'ai fait lire à des critiques littéraires, des écrivains, des ménagères et à beaucoup d'autres personnes et tous étaient unanimes pour dire que ce roman était bon. Je mérite ce Prix. Les fautes, pour le jury, n'étaient pas un handicap, à la qualité de mon roman.
Les reproches formulés concernent plus la forme que le fond de votre roman. Y a-t-il eu ce travail de relecture indispensable quand on veut offrir un produit de qualité ?
Il n'y a pas eu de Comité de lecture. Je vais soumettre mon roman à des relecteurs avant sa prochaine ré-édition. Il est vrai que beaucoup de coquilles auraient pu être évitées. J'accepte cette critique parce qu'elle est fondée, mais je ne suis pas pour les mises à mort.
Mais comment un roman qui a été primé et qui doit être la vitrine littéraire d'un pays peut-il comporter également de grosses fautes de langage ?
Je maîtrise le français. Mais j'ai écrit 384 pages et j'ai publié mon roman avec mes fonds propres. J'ai droit à quelques erreurs. Personne ne m'a aidée, même pas au niveau de la correction. Je veux que les gens qui critiquent me renvoient mon roman corrigé et je suis prête à payer pour le republier. Il y a eu, dans tous les cas, une volonté de présenter un livre de qualité.
Votre roman a-t-il une dimension internationale ?
Par les thèmes abordés, naturellement. L'infidélité masculine n'est pas propre au Sénégal, me semble-t-il.
Et deviendra-t-il un roman de références ?
S'il est corrigé oui. Et il le sera. Je vous le promets.
Propos recueillis
par Véronique Ahyi.