Marie Léontine Tsibinda:
une voix qui promet
"Il me suffit de fermer les yeux pour retrouver le coin secret de mon enfance, coin qui me donne un autre souffle..." nous a déclaré Marie Léontine Tsibinda; cette jeune femme qui vient de publier son quatrième recueil de poèmes intitulé: Demain, un autre jour, aux Editions Silex à Paris. Elle marque vraiment la conscience littéraire de son temps en ayant confiance en soi et en son verbe poétique, car elle est la seule femme qui jusqu'alors essaie un peu de tenir parole devant l'homme. |
Marie Léontine Tsibinda, votre nom aujourd'hui s'affirme en occupant une bonne place dans la littérature congolaise, pouvez-vous nous parler de vos débuts littéraires?
Mes débuts datent des années 60, où j'allais au collège. A cette époque nous lisions Rousseau, Hugo, Lamartine et j'en passe. Quelques extraits de textes des pages dites "Pages Africaines" où l'on présentait des textes d'écrivains africains.
J'écrivais sur du papier volant et bien entendu les feuilles se sont éparpillées aux quatre vents. C'est à l'université que j'ai vraiment pris conscience de ma création littéraire. La rencontre avec le Pr Eugène N'Goma donna une vie réelle à ma poésie. En effet, il publia mes premiers poèmes dans la revue universitaire. "La saison des pluies", en 1978.
Année 1978, année de départ?
Oui dans la mesure où le public prit connaissance de mes écrits. La critique salue de manière flatteuse la première Congolaise qui ose au Congo marcher sur les plates bandes littéraires jusque-là tenues avec maestra par des hommes. Le recueil que salue cette critique s'intitule "Poèmes de la Terre".
La recontre avec le Pr Eugène N'Goma a-t-elle appelé d'autres rencontres?
Exact. C'est à partir de cette période que j'ai rencontré des écrivains comme Sylvain Bemba, Sony Labou Tansi, Dominique Ngoie Ngalla, et les critiques tels que Arlette Chemain Degrange qui est professeur de littérature africaine, actuellement en poste à l'université de Nice. Rappelons que le Pr Eugène N'Goma, angliciste de carrière esthète de renom. Depuis, le cercle s'est agrandi.
Mais Girard, votre village, revient toujours dans vos écrits...?
Girard et le Mayombe. Le poète Tati-Loutard chante le mer, Ngoie Ngalla loue son village Kimvembe. Il faut s'accrocher à quelque chose pour ne pas bâtir sur du sable mouvant. Il est normal que pour moi tout parte de Girard, du Mayombe. Ils sont porteurs de magie. Il me suffit de fermer les yeux pour retrouver le coin secret de mon enfance, coin qui me donne un autre souffle, qui me permet de gérer l'espace - mon autre espace: Brazzaville - Il serait mon lac d'inspiration, ma terre magique où je puiserais une ration créatrice à ma mesure. C'est comme quand on est en exil volontaire ou pas. Il y a un coin de votre pays qui vous habite. Il s'établit un dialogue, interminable, amoureux. Dans cet univers magique je retrouve un père semi-lettré et une mère parfaitement analphabète, des cousins, des frères, des soeurs, des tantes. La famille bantou dans sa dimension réelle.
Et le Mayombe?
Il renferme le silence troublant des choses merveilleuses. Il est avant tout la terre des hommes qui n'ont pas besoin de slogans pour aimer la terre. C'est une alliance séculaire. De la terre, les hommes tirent leurs substances vivrières. Le Mayombe est aussi la pénétration de la civilsation du fer, de l'échange. Avec la construction du chemin de fer par exemple, les distances sont réduites de l'Océan au Congo. Terre des légendes, des rivières aux safoutiers maléfiques, aux rivières tombales où de nombreux africains et étrangers ont donné leur vie pour la construction du chemin de fer. Le Mayombe est un poumon économique: il offre des possibilités humaines et économiques très intéressantes. C'est un terrain ouvert à de nombreuses interrogations littéraires, sociologiques, culturelles, religieuses et autres. Mayombe c'est encore le titre de mon deuxième recueil de poèmes publié aux Editions St-Germain-des-Prés en 1980.
En lisant "Demain un autre jour", votre plus récent ouvrage publié aux Editions Silex en septembre 87, on note que ce titre est tiré d'un vers qui termine votre recueil "Poèmes de la terre".
Ce vers dit exactement ceci: "Etale ta natte et dors, car demain est un autre jour". Je m'explique: les jours passent mais ne se ressemblent pas. Les peines et les joies du passé se diluent dans les normes du temps. Quand arrive le soir, la rétrospective du vécu quotidien s'impose. On se dit, ferai-je mieux demain? Les enfants de la bombe verront-ils naître des soleils porteurs d'espoir? Etancheront-ils leur soif d'aimer?
Demain un autre jour chante l'amour et crie l'espoir?
Un amour universel, un espoir humain.
Etes-vous désespérée quant à l'avenir de l'Afrique? Vous dites "L'Afrique saigne l'Afrique au printemps de sa vie".
On ne parlera jamais assez de l'Afrique. De cette Afrique qui mange ses propres entrailles. Partout où point l'espoir, des coups de canon explosent, des chars prennent les corps humains pour du macadam. L'Afrique tue l'Afrique, entr'ouvre ainsi la porte à n'importe quelle catastrophe. L'artiste criera tant que durera le massacre.
Et l'enfant dans vos écrits?
Un trésor qui me donne la force de bâtir un autre futur. En fait l'un des mes recueils de poèmes "Une lèvre naissant d'une autre" est un hymne à l'enfant et j'aimerais écrire de nombreaux textes concernant les enfants.
Ce qui est intéressant chez vous, c'est cette diversité thématique que l'on retrouve à travers votre oeuvre: la forêt, la maternité, le monde en ébulition, la terre natale.
La nature oeuvre de Dieu est changeante elle-même. Comment pouvez-vous imaginer un artiste prisonnier d'un rêve donné? Il est le conteur de plusieurs rêves.
La poésie reste-t-elle pour vous un choix personnel?
Disons que c'est elle qui m'a fait signe et depuis nous ne nous quittons plus.
Que pensez-vous des critiques?
Les critiques donnent une seconde vie à l'art. Elles sont le deuxième oeil de l'artiste. Elles apportent une vision différente à l'oeuvre d'un auteur donné. Elles tuent le silence qui peut noyer une oeuvre.
Aimez-vous vos textes?
Il m'est difficile de répondre à cette question. Chaque publication est une respiration vitale de l'auteur. L'espace créatif est différent. Il est des créations agréables comme il existe des créations qui vous font frémir d'angoisse. Un créatif satisfait n'existe pratiquement pas. Il se remet en question à chaque instant. Il y a un texte que j'aime, aveuglément. Il n'est pas de moi. C'est "Prière d'être enterré à Mandou" de Dominique Ngoie Ngalla.
Comment Organisez-vous votre temps?
La gestion du temps est très importante. Il faut savoir le gérer, pour réussir ce que j'ai à faire. Le plaisir doit être de la partie pour que tout me paraisse zéphir.
Des projets?
M'essayer à la prose en publiant d'ici à l'an 2000 mon premier roman.
Pouvez-vous nous dresser un bilan de votre création?
Existe-t-il un bilan dans le domaine de la création? Personnellement, je ne vois pas comment le commencer.
Et le théâtre?
C'est une bonne école où la vie prend une dimension autre. Au théâtre vous vivez tous les rêves possibles en jouant les personnages les plus divers.