Werewere-Liking
Elle a 33 ans. Peintre (plusieurs expositions internationales). Ecrivain (huit textes parus à ce jour). Chercheur à l'institut de littérature et d'esthétique négro-africaines à l'université d'Abidjan. |
Si l'on vous demandait de vous définir, que diriez-vous?
Je calerais... Et si l'on insiste, j'invoquerais les définitions des autres qui m'ont plu, pour me faire bien voir... Tenez: Senen Andriarmirado de Jeune Afrique disait récemment pour me définir: « Quand vous parlez, on sent que vous pensez et on est obligé de penser. Quand vous écrivez, on voit que vous agissez et on a envie d'agir... ». J'aimerais que ce soit vrai...
Vos activités sont diverses: théâtre, musique, peinture, écriture, qu'est-ce qui vous donne le plus d'angoisse?
C'est l'art où tout ne dépend pas que de soi: le théâtre. Là, l'aboutissement dépend de trop de monde à la fois et malheureusement, tout le monde n'a pas la même exigence, le même désir de perfection. Il s'ensuit qu'on partage plus souvent les résultats de la complaisance et des faiblesses des uns et des autres que la victoire. Le théâtre dans l'Afrique actuelle n'est pas encore l'art le plus convaincant et pour cause: il est encore trop pratiqué comme une bouffonnerie. Toutefois, je crois que c'est l'art qui pourrait être le plus efficace en matière de prise de conscience et de participation aux problèmes africains, pour peu que nous soyons un peu rigoureux et je suis convaincue que nous en avons besoin.
Le public ivoirien vous reconnaît désormais comme l'une des promotrices du théâre rituel. Pour nos lectrices, voudriez-vous bien nous expliquer ce qu'est le théâtre rituel?
Le théâtre rituel que nous défendons est une esthétique qui s'inspire de l'utilisation traditionnelle de certains mécanismes de communication dans les rituels négro-africains. Vous savez l'efficacité des rituels sur les communautés qui les pratiquent: on réussit toujours à nommer le mal, à poser les questions primordiales et à créer un consensus capable de susciter des réponses. Et surtout, on responsabilise tout un chacun. Interrogés et réadaptés, nous pensons que ces mécanismes peuvent encore atteindre les mêmes résultats en cette période de démission généralisée. Le théâtre rituel est donc cette quête d'une communication aussi bien sur le plan subjectif qu'objectif qui élargit la conscience, responsabilise l'individu face à la société, et qui refuse la manipulation et le bouc émissaire...
Quand vous préparez une mise en scène du théâtre rituel, quelles sont les différentes étapes avant la présentation au public.?
Nous n'en sommes qu'à notre sixième mise en scène et nous n'avons pas encore figé nos méthodes... Pour l'instant, comme vous le savez, M.-J. Hourantier a monté « les Mains veulent dire », « La Rougeole arc-en-ciel », inédits, « Une nouvelle terre » et « Du sommeil d'injuste », publiés aux NEA ainsi que « la Puissance de Um » publié aux CEDA, des rituels écrits par moi-même. Et moi, je n'en suis qu'à ma permière mise en scène avec la pièce de Manuna Ma Njock, « Orphée d'Afrique » publiée par l'Harmattan... Généralement, nous procédons ainsi:
- Lecture approfondie du texte: Les différents problèmes soulevés, les positions idéologiques défendues, les niveaux de langue utilisés...
- Choix des orientations à privilégier par rapport aux problèmes actuels. Nous tenons à apporter notre quote-part de réflexion à l'actualité et à prendre nos responsabilités.
- Le repérage des différentes séquences rituelles dans le texte et la création d'images par une série d'improvisations psychodramatiques pendant lesquelles les acteurs s'affirmeront mieux dans un rôle.
- Début de la mise en scène à proprement parler: la mise au point des tons des différents personnages, la définition des espaces et des musiques en tant que langage, le travail gestuel avec les costumes et autres accessoires qui doivent être exploités dès les premières répétitions afin d'être maîtrisés comme un langage à part entière. On suppose alors que les acteurs ont bien compris les rôles et leurs interrelations et qu'ils peuvent apporter un maximum de créativité personnelle pour rendre les personnages aussi lisibles que possible. C'est à partir de ce qu'ils peuvent apporter que la fin de la pièce sera décidée. Parfois, c'est à quelques jours du spectacle! Le dernier travail est l'ajustement des rythmes définitifs qui suppose des ponçages et des remaniements permanents...
Durant vos différentes expositions de tableaux, le public remarque leur prix élevé. La peinture est-elle un art pour bourgeois?
La peinture est un art pour les gens qui ont le privilège de connaître le plaisir esthétique et la contemplation, et qui savent que cela mérite un sacrifice. Ils sont malheureusement peu nombreux. Ce n'est pas une question de bourgeoisie mais d'état d'esprit. Vous seriez étonné par l'origine diverse de ceux qui se donnent la peine d'acquérir un tableau...
Votre roman intitulé « A la recontre de... » a été jugé difficile par le grand public. Résumez-nous ce livre et donnez-nous aussi le message qu'il contient.
Je n'ai jamais entendu un lecteur se plaindre de la difficulté de ce texte. Au contraire, les gens ont trouvé que c'était notre publication la plus agréable, la plus facile à lire: les mêmes histoires sont racontées par deux personnes différentes (M.J. Hourantier et moi-même) avec des styles et des approches différentes, se complétant et facilitant la compréhension du lecteur. Il s'agit de deux jeunes gens (dans mon texte deux femmes et dans celui de mon amie un homme et une femme) symbolisant deux blocs de civilisations: l'Africain et l'Occidental. Deux jeunes gens qui se rendent compte qu'ils ne peuvent pas vivre l'un sans l'autre. Or, la différence entre eux est telle que l'approche pour pouvoir vivre ensemble devient une véritable initiation. Et d'aventure en aventure, d'épreuve en épreuve, les deux jeunes gens vont accéder à un élargissement de leur conscience et ils comprennent que personne, aucune civilisation, si puissante soit-elle, ne s'en sortira seule, et qu'un effort de compréhension mutuelle sera le moindre des tributs à payer.
Votre amie inséparable est une Blanche, Marie-José Hourantier. Comment expliquez-vous cette amité fécondante?
C'est une amitié qui correspond tout à fait à l'esprit de « A la rencontre de... » c'est-à-dire à l'obstination, ce désir très fort de comprendre ce qui est différent, difficile, et loin dans nos propres ressources, avec rigueur, jusqu'à la « révélation »... Voilà pourquoi une telle amitié ne peut qu'être fécondante... au niveau des individus, comme au niveau des civilisations.
Que pensez-vous de la politique africaine? Et avez-vous des ambitions politiques?
Je pense qu'en général elle est une « autruche » trés complaisante avec elle-même. Pour moi, la politique africaine n'en sera réellement une qu'à partir du moment où elle regardera ses réalités en face et les prendra en compte à bras le corps... Par exemple pourquoi les dirigeants africains se gargarisent-ils de mots, multipliant les « organisations interrégionales » qui ne sont que des « gouffres à prendre des résolutions » alors qu'il savent tous ce qu'il y aurait à faire ... ? et Sékou Touré l'a dit, il faut créer réellement des grands ensembles si on veut peser dans la balance des nations. Mais qui se décidera à abolir des frontières aberrantes ne servant que les petites ambitions et les intérêts étrangers? Bien sûr que j'ai des ambitions politiques mais pas de n'importe quelle politique...
La femme intellectuelle africaine vous préoccupe-t-elle dans vos réalisations?
La femme en général me préoccupe. Et la femme africaine en particulier, intellectuelle ou non. Je rêve de trouver une astuce, un mot, un ton, quelque chose qui la choque et pourfende sa légèreté et sa démission actuelles... Je crois que s'il y a de moins en moins de « grands hommes » dans cette Afrique-là, c'est parce que la femme n'y joue plus son rôle. Si elle refusait la médiocrité, si elle n'acceptait pas les rampeurs, les traîtres, les lâches, si les larves n'étaient pas investies rois dans sa couche, on n'assisterait pas à leur prolifération comme c'est le cas de nos jours... Dans la plupart de mes réalisations, la femme est la première cible.
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