L'auteur qui vit à Tours, est revenue en Côte-d'Ivoire, et nous avons tenu à faire connaissance avec elle. Elle s'appelle Régina Yaou et est née le 10 juillet 1955 à Dabou. Après des études primaires à Oumé et à Abidjan elle poursuivit ses études secondaires au collège Voltaire et au lycée technique de Cocody. Après quelques années d'activité professionnelle, elle est retournée à l'école en France où elle a préparé un DEUG d'aministration économique et sociale et un DEUG d'anglais; après l'obtention de ce DEUG, elle est entrée dans un IUT pour une formation aux techniques de gestion du personnel, mais pour certaines raisons elle a dû suspendre cette formation. |
A quel moment de votre vie et pourquoi aviez-vous senti le désir d'écrire?
Très tôt, vers l'âge de quinze ans, j'ai commencé par écrire des poèmes. J'ai véritablement commencé à écrire des nouvelles en classe de seconde en 1975. Je ne sais ni comment, ni pourquoi, mais l'écriture s'est imposée à moi.
Que signifie pour vous écrire?
Ecrire, pour moi, c'est d'abord un violon d'Ingres, au même titre que la lecture ou le scrable pour certains. Mais écrire, c'est aussi parler, communiquer, c'est donc un moyen d'attirer l'attention des autres sur certains faits ou simplement de leur faire partager le fruit de mon imagination.
Avant votre premier roman publié, aviez-vous d'autres manuscrits non publiés?
Oui, avant que ne soit publié Lezou Marie, mon premier roman, j'avais déjà plusieurs manuscrits dont la « Citadine», nouvelle qui fut primée au concours littéraire des NEA 1976-77.
Quel effet cela vous fait-il d'avoir votre nom sur la couverture d'un livre ou de voir vos livres dans une librairie?
Le fait de voir mon nom sur des livres en librairie ou même dans certaines bibliothèques privées me fait un drôle d'effet. J'ai l'impression que ce n'est pas de moi qu'il s'agit. Et cela m'amuse beaucoup de constater que le nom «Regina Yaou» commence à ne plus laisser un certain nombre de personnes indifférentes. Pourquoi? Tout simplement parce que je ne mûris aucune ambition sur le plan littéraire et que je ne me suis pas battue pour être connue. J'ai eu beaucoup de chance.
Présentez-nous votre premier roman.
Mon premier roman «Lézou Marie ou les écueils de la vie» (NEA) raconte la pathétique histoire d'une jeune fille qui, parce qu'elle a été abandonnée par son père, va se retrouver comme prise dans un piège infernal et finira par se donner la mort. J'ai écrit cette histoire parce que je voulais interpeller chacun de nous: père, mère, enfant, petit ami, fiancé ou mari.
Que représente pour vous le suicide de Lézou Marie?
Il représente pour moi la seule fin plausible d'une telle vie; c'est aussi le geste qui exprime le mieux le désespoir. Quand on a connu l'enfer de Marie, si aucune main ne vient à la rencontre de celle qu'on tend, on n'a plus envie de vivre.
Votre nouveau roman publié aux NEA est intitulé la révolte d'Affiba. Pourquoi Affiba se révolte-t-elle?
Affiba se révolte contre ses beaux-parents et contre les coutumes. Elle ne pardonne pas à ses beaux-parents d'avoir refusé d'essayer de convaincre son mari de revenir à la maison quand celui-ci avait emménagé chez Mireille sa maîtresse. Elle se révolte aussi contre les pratiques coutumières de chez elle, selon lesquelles dès la mort du mari, les parents doivent récupérer tous les biens de celui-ci, avec occupation effective et préalable de son domicile.
Votre personnage Affiba vit des contradictions au niveau de la culture. Elle se veut Africaine, mais imite mal les Européennes.
Il n'y a aucune contradiction dans le comportement d'Affiba. Presque tous ceux qui ont été à l'école, surtout les jeunes, sont quotidiennement confrontés au problème de la double culture. Nous vivons dans une société qui n'est plus celle d'antan; nous sommes donc obligés de tenir compte de nouvelles données. Il n'y a, je le répète, aucune contradiction à faire un choix parmi nos coutumes et celles de l'occident et d'en faire la synthèse.
Pourquoi Affiba refuse-t-elle de divorcer quand on sait que son mari ne l'aime plus et s'est installé chez une autre?
L'obstination d'Affiba s'explique facilement: quelle femme, à moins qu'elle soit indifférente à tout, peut accepter facilement de se laisser évincer? Quelle preuve avait-on de l'amour qu'éprouvait Mensah Koffi pour Mireille? Pourquoi Mireille ne serait-elle pas un caprice pour Mensah?
Affiba aimait son mari et n'avait pas l'intention de le laisser à une autre. En restant à la maison, elle augmentait ses chances de revoir son mari.
Votre roman, à mon avis, développe davantage la situation difficile d'un couple désuni. Pour vous, à quel moment et dans quelles circonstances naît l'indifférence d'un mari pour son épouse?
Eh oui, ce sont les aléas de l'écriture: on veut dire quelque chose, on croit l'écrire et à l'arrivée, les autres lisent autre chose. Il faut aussi dire que l'écrivain n'est pas toujours maître du jeu lorsqu'il rédige car certains personnages, ou situations secondaires, «piratent» les autres et s'imposent comme sujets principaux. C'est ainsi que les problèmes de couple d'Affiba dominent le roman. Selon moi, à part les premiers temps de la rencontre, l'homme peut à tout moment, «avoir le béguin» pour une autre. Il n'en résulte pas forcément de l'indifférence vis-à-vis de la femme avec qui il vit.
La maîtresse qui «prend» l'époux d'une autre est-elle condamnable? Comment jugez-vous les maîtresses en Afrique?
La maîtresse d'un homme marié est-elle condamnable?
Je ne le pense pas; celles que je condamnerais, ce sont celles qui laissent tomber ceux qui ont quitté femme et enfants pour elles.
Qui suis-je donc pour juger les maîtresses en Afrique? Personnellement, je crois qu'on ne devrait pas mettre tout le monde dans le même panier; car il y a d'un côté les «cocottes»; celles que se font entretenir et qui ne voient les hommes mariés que pour l'argent et autres avantages et les maîtresses par la force des choses que la loi ou la religion empêche d'être des épouses à part entière. En tout cas, le stéréotype de la maîtresse obnubilée par les seules richesses de son amant devrait disparaître des mentalités car la réalité de ce phénomème social en Afrique est beaucoup plus complexe qu'il n'y paraît à première vue.
Les femmes consultent beaucoup les marabouts, les lanceurs de Cauris quand leur mari aime une autre femme. Les Cauris sont-ils positifs?
C'est vrai, dans le désarroi où elles se trouvent, dès que leur homme aime ailleurs, les femmes ont tendance à se tourner vers ceux qui ont le pouvoir de voir ce que les autres ne voient pas. L'action des «lanceurs de cauris» est-elle positive? Difficile d'avoir une réponse tranchée; oui, dans le sens que celles qui sont assaillies par le doute se sentent mieux. Le pire, dans ce cas là, c'est l'incertitude. Mais faut-il systématiquement prendre pour argent comptant toutes leurs prédictions?... Précisons cependant que consulter les clairvoyants n'est pas l'apanage des femmes; les hommes vont aussi les voir; tous ne sont pas heureux en amour, figurez-vous!
Pour ramener leur mari ou se faire aimer comme avant leur mariage ou tout au début de leur mariage que doivent faires les femmes?
Comment puis-je savoir ce qu'il y a lieu de faire pour que l'amour du mari pour sa femme demeure égal à ce qu'il était au début de la vie conjugale? Je ne suis pas mariée. A mon avis, il n'existe pas de recette miracle, c'est d'ailleurs pour cela qu'il y a tant de divorces.
Vos romans négligent les grands thèmes de la littérature africaine, vous préférez les histoires de coeur. Quelle est votre conception de la littérature?
Je n'ai publié que deux romans et déjà vous considérez que je néglige les grands thèmes de la littérature africaine. Tout le monde, de toute façon, ne peut pas parler de la même chose! Je suis un être extrêmement sensible et tout ce qui touche l'âme de quelqu'un, ce qui fait rire ou pleurer a beaucoup d'importance à mes yeux. Justifier la colonisation et le néo-colonialisme, c'est bien, c'est beau, c'est noble; mais dénoncer, par exemple, le fait d'abandonner ou de tuer les dixièmes nés sous prétexte qu'ils portent malheur, ce n'est pas mal non plus. Parce que l'homme est un être de chair et de sang, une âme, avant d'être un peuple opprimé, asservi dont on profite honteusement.
Selon moi, la littérature est un mode de communication et à ce titre, elle doit servir à tout, même à faire rêver, car l'homme a parfois besoin de rêver. On me reproche d'aimer le mélo, de faire de la littérature teintée à l'eau de rose. Je considère cela comme un compliment car les romans à l'eau de rose sucitent un engouement incroyable chez les jeunes et les moins jeunes; parce que les gens ont besoin de lire quelque chose dans lequelle ils puissent se reconnaître. Peut-être que je me trompe. Mais je crois que le public a, jusque à présent, réservé un accueil chaleureux à mes romans parce qu'ils racontent la vie de chaque jour.
A quel moment écrivez-vous et comment procédez-vous jusqu'à la remise de votre manuscrit?
J'écris généralement entre deux et six heures du matin. Quand j'étais en France, je passais quelque-fois la journée du dimanche à cela; mais ici, avec l'environnement bruyant, ce n'est pas possible. Quand j'ai une idée j'essaie de bâtir mentalement une histoire, puis j'en fais un petit résumé sur papier; à partir de là, les choses deviennent plus coriaces: je cherche le plan de déroulement de mon histoire; une fois le plan trouvé, je commence à rédiger. En cours de route, il y a des modifications qui s'imposent, mais en gros, je suis mon plan initial; vient ensuite la dactylographie de l'ouvrage. C'est après cela que je peux le remettre à l'éditeur; la décision d'aller présenter le manuscrit à l'éditeur peut tarder à être prise: c'est ainsi que «Lézou Marie», écrit in 1977 n'a été présenté aux NEA qu'en 80-81 et publié en 1982.
Quels sont les écrivains que vous aimez?
Aussi étrange que cela puisse paraître, il faut que je le confesse je n'aime pas particulièrement tel ou tel écrivain; j'ai peut-être été boulimique en matière de lecture et n'ai pas encore eu le temps de connaître les auteurs à fond.
Cependant, certains livres m'ont enthousiasmée ou marquée surtout lorsque l'accent est mis sur le côté psychologique des personnages, plutôt que sur leur physique; «la Tricheuse »(Guy des Cars), «La lettre écarlate» (Nathaniel Hawthorne), «Le portrait de Dorian Gray» (Oscar Wilde) «Le chant du bourreau» (Norman Mailer) et «Jusqu'au seuil de l'irréel» (Amadou Koné).
Revenons à Affiba. Pourquoi sa belle famille veut-elle récupérer les biens acquis par le couple?
Parce que, selon la coutume, la femme et les enfants n'héritent pas de leur époux et père; les gens se sentent d'autant plus dans leur bon droit qu'ils continuent à croire que seul l'argent gagné par le mari a permis l'acquisition des dits biens.
Vous êtes romancière, instruite, enviée, vous devriez avoir l'embarras du choix pour vous fiancer, et pourtant vous êtes encore célibataire.
Pensez-vous qu'il suffise d'être romancière et d'avoir fait de bonnes études pour que les demandes en mariage affluent au point qu'on ne sache plus au bras de qui sortir du célibat? Personnellement, je crois que lorsque l'homme auquel le ciel vous destine vous rencontre, cela se fait tout seul. Je crois donc que je n'ai pas encore trouvé celui qui doit m'épouser. Qu'est-ce que j'ai comme critère de choix? Voilà ce que je recherche principalement chez un homme: l'apparence soignée, correct, une bonne éducation, de la tendresse - pas seulement au lit, de la générosité, pas uniquement financière et une grande maîtrise de soi. Je suis plutôt nerveuse, j'ai besoin de quelqu'un qui puisse me pondérer. Physiquement, j'aime qu'il soit grand ou moyen, mais pas petit. Mais pour moi le plus important, c'est que l'homme qui doit partager ma vie, m'aime; qu'il m'aime énormément parce que je sais que je l'aimerai un peu trop.
Pour terminer, quel sera le titre de votre prochain roman?
Le prochain roman? Il est prévu pour cette année et a pour titre provisoire «Anka». En toile de fond, la malédiction qui pèse dans certaines contrées, sur ceux qui se construisent une maison « en dur», tandis que les autres dorment dans une case. Anka va donc braver les sorciers et construire une maison. Je n'en dis pas plus pour le moment.
J'aimerais tirer une petite série télévisée de «Lézou Marie» et un long métrage d'Affiba, mais je n'en ai pas les moyens. Si certaines lectrices connaissent un «tuyau» à ce sujet, qu'elles me contactent aux NEA à Abidjan 01, BP 3525, Abidjan 01. Je les remercie d'avance.
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