Aihui Anka de Régina Yaou
"la maison qui tue"
Secrétaire de direction de formation, la romancière ivoirienne Régina Yaou vient de publier aux Nouvelles Editions Africaines d'Abidjan son 3ème livre intitulé "Aihui Anka", l'homme qui meurt pour avoir construit une maison. Notre correspondant à Abidjan, Isaïe Biton Koulibaly, romancier également, interroge pour vous Régina Yaou. |
Vous venez de publier votre 3ème livre. Vous êtes heureuse certainement surtout parce que le livre est beau. N'est-ce pas?
Je suis effectivement heureuse, mais pas surtout parce que le livre est beau. Publier un roman, c'est comme mettre au monde un enfant. Alors toute mère, devant son enfant, éprouve un sentiment de fierté et de bonheur, même si l'enfant n'est pas beau.
Qui est Aihui Anka?
Aihui Anka est le personnage central du roman qui porte son nom. Celui-ci, face à la mort de presque tous ceux qui construisent une maison en dur dans la région dont il est originaire, décide d'essayer de savoir si ce sont effectivement des sorciers qui suppriment ces gens. Même au péril de sa vie.
Pourquoi avoir décidé d'écrire ce roman à votre père et à votre mère?
Je n'ai pas décidé d'écrire ce roman spécialement pour le dédier à mon père et à ma mère. Je voulais déjà leur dédier "La révolte d'Affiba", mais cela n'avait pas été possible parce que je ne l'avais pas précisé lors de l'édition. Cela dit, je leur ai dédié ce roman parce que tout ce que je sais de la culture alladian, groupe ethnique auquel j'appartiens, c'est à eux essentiellement que je le dois.
Sincèrement, croyez-vous en la sorcellerie? Avez-vous des faits ou des événements précis se rapportant à la sorcellerie pour justifier votre croyance en cette pratique?
Oui, je crois à la sorcellerie. Il y a des faits auxquels on ne trouve aucune explication cartésienne: des morts inexplicables, etc. De plus, j'ai été témoin d'aveux faits par des personnes accusées de sorcellerie.
Avez-vous été victime personnellement de la sorcellerie?
Oui, je pense. En 1977, à mon retour d'Angleterre, j'ai été très malade. A Paris, j'avais consulté plusieurs médecins et ici à Abidjan aussi, sans succès. C'est un guérisseur qui m'a sortie de là. De ce jour, j'ai commencé à voir ces choses-là d'un autre oeil.
On dit souvent que X a été "mangé" par les sorciers. Comment mange-t-on en sorcellerie?
Comment voulez-vous que je le sache? Je ne suis pas moi-même initiée à la sorcellerie! Dieu m'en garde d'ailleurs. Personnellement, je pense que c'est sur l'âme que ceux qui ont le "troisième oeil" agissent pour supprimer ceux qu'il veulent.
Pour vous, qui est sorcier et qui ne l'est pas? Les femmes sont-elles plus aptes à faire partie d'une confrérie?
Je considère comme sorciers ceux qui ont des pouvoirs supra-naturels, ceux dont les yeux voient ce que les autres ne voient pas et qui ont la possiblité d'agir à distance. Je ne sais pas si les femmes sont plus aptes à faire partie d'une confrérie. Mais dans le cas précis de cette confrérie, un peu spéciale, on compte beaucoup de femmes âgées.
Pourquoi décide-t-on de faire partie des sorciers et quels sont les mobiles qui poussent à tuer en dehors du cas d'Ahui Anka?
Est-ce que l'on décide vraiment de devenir sorcier? J'ai entendu dire, en tout cas, qu'il y a des gens qui achètent ce pouvoir tant cela leur plaît. Les motifs qui peuvent pousser les sorciers à tuer, ce sont principalement la jalousie (tel est riche, tel a beaucoup d'enfants) et l'envie de nuire. On dit aussi qu'à l'intérieur de la confrérie, chaque membre doit "donner" quelqu'un comme quote-part. Et quand vient le tour d'un tel ou d'une telle, il ou elle ne peut se dérober sous peine d'être soi même "mangé".
Comment expliquez-vous l'entêtement d'Aihui Anka qui décide de braver les sorciers, à ses risques et périls?
L'entêtement d'Aihui Anka est l'expression d'un ras-le-bol. Il fallait tirer les choses au clair et dénoncer le mal si les rumeurs quant à ces morts étaient fondées. Au début, Aihui Anka était vraiment le maître du jeu, mais petit à petit, il va se trouver pris dans un engrenage. Auquel il n'essayera pas d'échapper parce que convaincu de la nécessité d'aller jusqu'au bout de ce qu'il considérait comme sa mission.
Est-ce pour demain la fin de la sorcellerie ou comment voyez-vous les conditions indispensables pour freiner cette pratique d'un autre âge?
La fin de la sorcellerie dites-vous? Je ne crois pas que ce soit demain la veille. Cependant, on peut espérer qu'avec l'alphabétisation, l'industrialisation et l'urbanisation, les choses se tassent. Je reste quand-même sceptique là-dessus quand je pense que même aux Etats-Unis, prototype du pays industrialisé et de savants, la sorcellerie demeure un phénomène très vivace. En Allemagne aussi, d'ailleurs, on constate une recrudescence des rites sataniques en général et de la sorcellerie en particulier.
En attendant, comment éviter d'être victime des sorciers?
On dit qu'il y a des âmes fortes qui sont naturellement protégées contre les sorciers; les autres, les âmes faibles, doivent chercher à se protéger par des amulettes, des talismans ou simplement par la prière. Je crois à la sorcellerie, mais pas à la protection par talisman.
Et le prochain livre?
Le prochain livre c'est peut être "Affiba jour après jour" (tome 2 de la "Révolte d'Affiba") qui est à l'étude depuis quelques mois chez N.E.A. à Abidjan ou "Les germes de la mort" (l'étrange histoire d'un homme dont toutes les épouses sont mortes par suicide), manuscrit que je viens de terminer. Je continue à écrire et je viens d'entamer mon 12ème titre inédit: "Ebonia". Ce roman raconte la vie d'une jeune jacquevilloise de la basse Côte d'Ivoire dont le teint noir d'ébène avait séduit un colon français. Ce livre couvre la période de 1891 à 1954. C'est un roman d'époque qui demande un énorme travail de documentation et une grande disponibilité. L'écrire et le bien écrire, est un défi que je me suis lancé et j'espère pouvoir le relever.
Vous êtes encore célibataire. Cela ne commence-t-il pas à vous peser dêtre toujours seule?
Oui, je suis encore célibataire. Mais tout le monde le sait, célibat n'est pas synonyme de solitude. On peut être marié, mais être seul. Ainsi, il y a des femmes qui, malgré la présence du mari et des enfants, sont seules parce qu'entre elles et leur conjoint, il n'y a pas communication, il n'y a pas communion. Et même s'il n'y avait personne dans ma vie, je ne me sentirais pas seule: la création littéraire m'occupe tellement!
Quels sont vos voeux en ce qui concerne la littérature dans laquelle vous semblez vous investir plus qu'autrefois?
A l'heure actuelle, je souhaite plusieurs choses: trouver un moyen de subsistance autre que le secrétariat de direction afin de pouvoir me consacrer davantage à ma carrière littéraire, que les N.E.A. acceptent de me publier un ou deux romans par an, trouver aussi un sponsor ou un mécène qui puisse financer mes activités et réalisations littéraires (voyages à l'étranger, traductions de mes oeuvres etc.).