La Guinéenne Binta Ann se définit comme une militante pacifique. Avec une plume ironique, elle dénonce l'excision, les mariages précoces et les difficultés de la scolarisation des filles africaines. La jeune femme de 28 ans a grandi en Sierra Léone et vit en France depuis sept ans. Après avoir travaillé dans le tourisme, elle intègre plusieurs troupes de théâtre en Guinée, ce qui l'aide à vaincre sa timidité et à parfaire son français. AMINA l'a rencontrée à l'occasion de la sortie de son nouveau roman, "Le Mariage par colis". |
Qu'est-ce que le "mariage par colis " ?
C'est un mariage arrangé qui cache un piège. L'homme qui est à l'extérieur de la Guinée est piégé par sa famille qui lui dit d'aller chercher un colis à l'aéroport. Mais au lieu de trouver un carton rempli de vivres, c'est une femme qu'on lui a choisie au pays, qui l'attend. La femme aussi peut être piégée. Sous prétexte de faire des études supérieures en Occident, sa famille la marie en douce. Quand elle arrive sur place, elle se retrouve enchaînée à un mari qu'elle ne connaît même pas. On lui confisque son passeport et elle n'a pas beaucoup de recours à cause du chantage qu'on lui fait.
Pourquoi avoir choisi ce sujet ?
J'ai voulu parler du mariage par colis car j'ai une cousine pour qui ça s'est très mal passé. Elle a connu son mari à travers les cartes postales qu'il lui envoyait. Moi-même, j'ai failli être mariée à un cousin et, en arrivant sur place, je me suis rendu compte que la place était déjà prise. J'ai voulu dénoncer ce genre de situation pour que les parents comprennent qu'il y a quelque chose qui ne va pas dans ces mariages arrangés. Il faut qu'ils laissent une liberté de choix à leurs enfants. C'est un combat qui n'en est qu'à son début.
Les adeptes de ces mariages arrangés prétendent faire des alliances entre "bonnes familles"... Qu'est-ce que vous leur répondez ?
Mon objectif est de faire évoluer les mentalités chez nous. Faire comprendre à nos parents qu'il existe ailleurs une vérité qui n'est pas la leur, tout en y mettant les formes. Dans le livre, je me sers de l'humour pour mieux faire passer la pilule. Le mariage arrangé peut être une très bonne chose quand les futurs époux sont au courant de ce qui arrive et qu'ils sont d'accord. Le problème, c'est quand ils se font piéger. Mais, attention, je respecte nos traditions et je ne veux pas porter de jugement, juste faire un constat.
Comment allez-vous faire pour sensibiliser ceux qui ne savent pas lire ?
L'Afrique est basée sur l'oralité, alors nous allons faire avec. Avec l'équipe de l'Harmattan, nous avons décidé de ne pas cibler seulement les écoles. Nous comptons aller dans les villages les plus reculés pour faire passer le message. J'ai voulu aller vers les gens mais pas en leur faisant la lecture. "Le Mariage par colis" va donc être adapté au théâtre et au cinéma pour mieux faire passer le message auprès d'un grand nombre de personnes.
Les marabouts et autres féticheurs sont présents dans votre livre... Y croyez vous ?
Oui j'y crois, ce sont des choses qui existent, c'est un héritage culturel. Maintenant, que ça marche ou pas, c'est une autre histoire. Toutefois, il faut faire une différence entre le marabout et le féticheur. Le marabout se base sur le Coran et doit normalement utiliser son don pour faire le bien. Le second passe par les fétiches comme les cauris par exemple et peut les utiliser pour faire le mal. Aujourd'hui, c'est devenu commercial : on ne sait plus qui fait quoi et pourquoi.
Le personnage principal du roman quitte son pays pour réussir en France... Mais ça se passe plutôt mal.. Que conseillez-vous à ceux qui sont tentés par cette aventure ?
Les jeunes sont attirés par l'Occident. Les médias ne montrent que les côtés positifs, alors ils pensent que c'est l'Eldorado. Mais la vie est difficile partout Je leur conseille de quitter leur pays en connaissance de cause et d'être préparé. Malheureusement, ils essaient par tous les moyens de partir et souvent y laissent leur vie. Il faut que les jeunes se disent qu'ils peuvent aussi réussir chez eux, en Afrique.
Vous êtes une amoureuse des mots... Quels sont les écrivains ou personnages qui vous inspirent?
J'aime bien feu Ahmadou Kourouma parce qu'il écrit comme il parle le malinké. Cette façon d'écrire a l'avantage de coller le plus possible à la réalité. Moi aussi, j'essaie de faire en sorte que mon écriture soit simple et accessible à tous pour que les lecteurs n'aient pas à plonger tout le temps dans le dictionnaire en lisant le livre.
Il n'y a pas beaucoup de femmes écrivains en Guinée... Comment vos compatriotes ont-ils accueilli vos livres ?
Je n'ai pas été prise au sérieux par mes compatriotes. A l'occasion d'une dédicace, des médias étrangers se sont déplacés mais aucun membre de l'ambassade de Guinée, qui avaient pourtant été invités. On m'a aussi souvent demandé si j'avais été aidée par un homme. Comme si une femme n'était pas capable de mener un projet à terme toute seule. Je ne suis pas féministe mais je n'accepte pas qu'on chosifie la femme. Nous sommes capables de faire tout ce qu'un homme peut faire. En Afrique, on dit que l'homme est le chef de famille mais, en pratique, c'est la femme qui fait tout. Elle nourrit l'homme, surtout dans un foyer polygame. La femme africaine se lève tôt pour aller travailler, elle fait du commerce et est très débrouillarde. Alors je pense qu'il est temps qu'elle reprenne sa place de chef de famille en Afrique.
Vous n'avez pas peur de choquer en disant ça ?
(Elle rit) Non, pas du tout parce que je le dis de la façon la plus courtoise possible, en leur disant qu'on ne peut pas se passer d'eux non plus.
Quels sont vos projets ?
J'ai reçu des demandes pour en faire un film ici, en France, et on le met en scène pour le Salon du Livre en Guinée au mois de novembre. J'ai commencé à rédiger le deuxième livre qui a comme thème le métissage culturel. Le roman parlera d'un mariage mixte dans la bourgeoisie new-yorkaise.
Vous êtes mère d'une petite fille... Comment voyez vous l'avenir de la femme africaine ?
Elle doit surtout avoir confiance en elle et se dire qu'elle est capable de tout faire à condition d'être organisée. Cependant, elle ne doit pas écarter les hommes car ce sont nos compagnons de vie. Nous devons nous entraider et leur en faire prendre conscience de la façon la plus courtoise possible, j'insiste là-dessus.
Propos recueillis
par Kadiatou Bah