Poétesse, nouvelliste, éditrice, journaliste, chercheure-universitaire, Angèle Bassolé-Ouédraogo est une femme plurielle. Sa dernière œuvre, "Les Porteuses d'Afrique" est un hommage vibrant aux femmes, mères et grands-mères d'Afrique, qui portent sur leurs épaules le continent qui a donné la vie à l'Humanité tout entière. Entretien. |
Pourquoi écrivez-vous ?
Pour rester vivante. Pour garder l'espérance. Pour rester debout ! Ecrire m'est vital.
Que peut apporter la littérature à l'Afrique ?
Beaucoup plus qu'on ne le pense. L'âme de l'Afrique est sa culture et elle se manifeste entre autres par sa littérature. Tant que nos décideurs politiques n'auront pas compris que sans les arts, sans la culture et sans la littérature, l'Afrique ne se développera pas, nous serons encore en "voie de sous-développement" pour longtemps. Le développement, ce n'est pas le matériel; l'argent c'est ce qui reste, la culture, la littérature; c'est ce qui fait battre le pouls du continent. Il faut soutenir les écrivains car ils participent au développement de ce continent plongé dans l'habitude du malheur.
Vos sources d'inspiration ?
La vie autour de moi, les actualités mondiales. Je suis interpellée par la souffrance humaine et cette souffrance n'a ni couleur, ni langue, ni frontière, ni sexe, elle est tout simplement humaine.
Que devient votre festival international de poésie ?
Le MAP (Marché africain de la poésie) se porte très bien. La seconde édition aura lieu à Bamako en 2008. Vous y êtes tous conviés.
Nombreuses sont celles qui débutent leur carrière littéraire par la poésie. Pourquoi ?
La littérature africaine est née de la poésie et les femmes n'ont fait que s'inscrire dans ce même courant. Or, la littérature africaine a surgi d'un contexte de violence, la colonisation. C'est par la poésie que les Senghor, Césaire, Damas, tous les Diop (Alioune, Birago, David) ont attiré l'attention du monde occidental sur les exactions qui avaient lieu en Afrique. Et les femmes qui ont pris la plume comme on prendrait les armes pour sortir du silence dans lequel on les avait longtemps maintenues et confondues, ont trouvé dans la poésie le vecteur parfait pour dire leur refus d'être exclues, leur volonté de parler en leurs noms propres.
"Les Porteuses d'Afrique" rend un hommage aux femmes, mères et grands-mères d'Afrique...
Comme leur fille et leur petite-fille, c'était mon devoir de le faire pour elles, ces grandes oubliées de l'histoire africaine. Pour que les filles et les fils de leurs filles transmettent leurs mémoires partout. C'est un devoir de mémoire pour qu'aujourd'hui ne ressemble pas à hier et que demain soit un autre jour.
De quel pays venez-vous? Vous avez répondu : "De toute l'Afrique, l'Afrique est mon pays", pourquoi ?
Parce que je suis panafricaniste, militante et convaincue. Parce que j'ai hérité du rêve d'unité des Kwamé Nkrumah, Patrice Emery Lumumba, Thomas Isidore Noël Sankara. Parce que je ne me sens pas enfermée dans ces frontières artificielles qui nous ont été imposées.
Que faut-il faire pour inciter les jeunes africaines à écrire ?
Il faut inscrire les œuvres dans les programmes scolaires et universitaires.
Vous avez créé Malaïka, une maison d'édition africaine basée au Canada. Pourquoi ?
Pour donner une voix aux auteurs d'Afrique et de la diaspora, promouvoir la littérature africaine au Canada, faire comprendre aux Africains qu'ils peuvent se faire publier ailleurs qu'en France, permettre la libre circulation des mots d'Afrique, parce que ce sont les idées qui dirigent le monde comme le dit si bien notre slogan.
Que manque-t-il aux femmes africaines pour s'épanouir ?
Beaucoup. Il leur faut s'épanouir d'abord comme citoyennes avant de pouvoir s'épanouir comme écrivaines. Il leur manque la liberté, fondamentale pour créer. Or, les femmes en Afrique ne sont pas libres. Elles sont esclaves des pesanteurs sociales, des traditions, de leurs maris et pères. L'écriture est en elle-même un espace de liberté. Comment alors y accéder quand on est enchaîné ?
Vous avez encore du temps pour vos loisirs ?
Le temps, personne ne l'a jamais, mais il faut savoir s'en donner, s'en accorder. J'essaie donc d'en trouver, de m'en accorder. Prier, méditer, lire me repose comme écrire.
Quels sont vos projets ?
Deux documentaires : "Les plumes du silence", sur la venue à l'écriture des femmes africaines et "La Weemba de Goé" pour rendre hommage à l'une des figures politiques marquantes de l'histoire des royaumes mossés, ces royaumes féodaux et patriarcaux mais d'où a pu émerger cette Porteuse d'Afrique qui se trouve être ma tante, la sœur aînée de mon père.
Un dernier mot ?
Je voudrais dire à mes sœurs et mères d'Afrique et de la diaspora d'éliminer de leur vocabulaire le mot "découragement" car il n'est pas africain. Je voudrais leur dire de rester fortes, de tenir le coup, de croire surtout en elles, de ne jamais laisser qui que ce soit les détourner de ce pour quoi elles ont été faites, de ne laisser personne leur faire renoncer à leurs rêves, d'y croire fermement parce que les rêves ne se réalisent vraiment que si l'on y croit fortement. Et enfin, qu'elles restent debout, car comme le disait le regretté professeur Ki Zerbo, "si on reste couché, on est mort".
Propos recueillis
par Tiego Tiemtoré