En voilà une qui ne mâche pas ses mots... Dame Beyala revient sur les lieux qui fondent ses inspirations, ses combats sociaux... En femme et mère de famille, elle (s') interroge (sur) les jeunes issus de l'immigration, via Pantin, sa chère banlieue du "9-3" son nouveau titre : "Le roman de Pauline". De quoi gratifier, par cette interview, le magazine AMINA d'une primeur par rapport à la presse française et internationale. |
D'où vous est venue l'idée, la motivation d'écrire ce livre ?
J'ai rencontré la Pauline du roman en réalité. Elle était en désespérance et en errance. Au début, j'ai eu un mouvement de rejet, car elle était dans la rue. Mais j'ai ensuite appris à la reconnaître, c'était quelqu'un de respectueux, de sérieux. Ca m'a donné envie de donner une autre image de la banlieue. Quand on y vit, on se rend compte qu'on vit dans une sorte de village où les gens se connaissent entre eux. J'ai voulu montrer cette banlieue telle que je la connaissais, telle que je la vis; montrer aussi quels sont les repères pour certaines filles qui cherchent à grandir...
Le roman nous plonge dans la crise multiforme de la banlieue française ?
Il y a plusieurs facteurs dans cette crise. D'abord le facteur identitaire. Les
jeunes se retrouvent dans une société sans aucune
représentation pour eux; leur histoire est cachée, celle de la
colonisation et celle de l'esclavage. Cela explique bien des choses mais ne
justifie pas la violence. Il y a aussi la crise de l'autorité parentale.
Cette autorité est sans chair, elle est artificielle, elle n'est pas
incarnée. C'est une autorité où il n'y a que la punition
et pas la récompense. Les parents sont en démission. C'est
à cause des difficultés financières. Ils ont du mal
à trouver le temps nécessaire pour s'occuper des enfants.
Dans ce livre, l'autorité est habitée par un professeur.
Malgré les difficultés, elle arrive à encadrer Pauline...
Les jeunes connaissent également beaucoup de difficultés dans leur
scolarité. Ils croient aujourd'hui qu'il leur suffit de passer à
la StarAc' pour se faire de l'argent, devenir une
célébrité. La notion du travail n'est plus
développée dans cette banlieue-là, mais c'est aussi le
problème de toute la jeunesse. Si les jeunes immigrés ont une
désaffection des études, c'est parce que leurs parents ont
été bac + 5, bac + 6 mais se retrouvent vigiles. C'est là
tout le problème de la discrimination qui influence aussi. Je ne sais
pas si j'ai fait le tour des différents facteurs...
Il y a un point sensible, la relation entre Pauline, l'élève, et Mathilde, son professeur !
Quand le professeur devient un objet d'admiration, il devient une figure importante. Ce prof tout en étant autoritaire, lui donne également de l'affectif. Car s'il n'y a pas les bienfaits, il n'y a pas de place à l'autorité. On voit bien que la prof lui fait du bien, elle devient comme une mère! Et Pauline se conforte dans cette situation, elle lui obéit. Dans leur relation, toutes les questions sont abordées: la sexualité, la négritude... Tous les sujets qui touchent à l'identité génétique et sociale de Pauline. J'ai tenu surtout à attirer l'attention sur l'importance du prof, le mettre au centre du dispositif de l'éducation des enfants. Evidemment, le prof vit beaucoup de problèmes, avec des classes ayant plus de 40 personnes !
Les assistantes sociales ne suffisent donc pas à la tâche de parents de substitution ?
L'autorité de l'assistante sociale est presque juridique ou judiciaire, donc l'enfant peut facilement rejeter cette autorité-là.
D'où le fait que Pauline dit ne pas être indisciplinée, mais allergique au système ?
On ne lui a pas donné les outils nécessaires pour connaître le bénéfice du système éducatif. Au début, elle est allergique quand le système scolaire lui est imposé; après elle se fond dans ce système, on voit même qu'elle veut devenir écrivain !
Et un des deux parents manque à chacun de vos personnages ...
C'est le phénomène des familles monoparentales qui touchent aujourd'hui beaucoup de gens. Le mariage a existé et les gens vivaient longtemps ensemble, les femmes étaient dans une situation économique désastreuse. Aujourd'hui, le féminisme a amené l'évolution chez les gens mais il manque toujours une figure pour la cohésion des familles. C'est cela qui explique les difficultés des enfants. Mais cela n'est pas seulement le problème des banlieues !
Il y a le thème du rapport au bon vocabulaire chez vos jeunes personnages...
La langue définit un être humain par rapport aux animaux. En banlieue, on n'a pas beaucoup d'exigence car on s'exprime avec 150 mots... Or maîtriser la langue, c'est communiquer, c'est exprimer des émotions. Sans cela, ce ne serait que des cris, des onomatopées, et de la violence. Qu'est-ce que vous ferez d'un individu qui ne possède que 100 mots pour s'exprimer ? Il n'a pas toute la gamme nécessaire pour exprimer ses émotions. D'où l'intérêt du prof de français qui les aide à exister, à se reconstituer une identité, une personnalité.
Pour vous, le mot nègre devrait uniquement être réservé à l'usage des noirs dans les rapports inter-raciaux ?
(Elle se redresse.) Jamais, je ne crois pas avoir dit ça! Mon rôle de romancière est de donner toutes les positions. Je suis partisane de l'utilisation du mot nègre parce qu'il réhabilite la culture... Un peuple est une totalité, on parle de l'art nègre, et non noir. Le mot nègre est culture, mais pas le mot noir. Le noir n'est pas une couleur.
Votre narration revendique la commémoration de l'esclavage, elle soutient la repentance...
Le phénomène se passe aujourd'hui dans la communauté...
Mais il y a des gens comme moi qui ont fait ce travail, et une masse qui en
revendique la reconnaissance...
J'ai tenu à rendre cet aspect des choses perceptible. Il y a des gens
qui me combattaient, les gens de la droite ; ils disaient Beyala c'est une
fouteuse de merde, une illuminée. Le mimétisme intellectuel est
un phénomène très important dans la constitution des
hommes. Dans ce livre, j'y reviens sans être didactique, mais juste en
mettant en exergue les émotions. Pauline ne juge pas, elle constate que nous ne faisons rien pour nous en sortir non plus.
En tant que romancière, mon rôle consiste à mettre en
parallèle le fonctionnement et le dysfonctionnement, la haine et la
passion, car rien n'est tout noir ou blanc, ou rien n'est tout positif ou tout négatif :
tout le monde a un peu de clairvoyance et un peu d'idiotie. J'ai toujours
travaillé mes personnages en ombre et lumière.
Quelle est la plus grande part de vous qui ait joué pour rédiger ce roman : votre statut de femme, mère, française d'origine immigrée, intellectuelle littéraire, militante des causes pour les minorités ?
Ça fait bien longtemps que je ne suis plus une immigrée (sourires) ! J'aime plutôt qu'on dise de moi "afrocentriste". Ma vie, mon destin est lié à la France, même si je suis souvent en Afrique. Les gens n'appartiennent pas à la couleur de leur peau mais à l'endroit où ils vivent. Il ne faut pas me morceler, je suis une totalité de tout ce que vous avez décrit. J'habite à Pantin ! J'ai horreur de parler des choses que je ne connais pas. Une bonne connaissance de son sujet me paraît indispensable pour entamer son livre.
Vos liens aujourd'hui avec le Cameroun ?
Je préfère qu'on me parle des liens avec l'Afrique et non le Cameroun. Il y a la Côte d'Ivoire, le Congo, le Gabon, le Burkina Faso.... je suis panafricaine. Le panafricanisme est une idée qui me séduit. Je suis partisane des Etats-Unis d'Afrique. Les conflits territoriaux, les problèmes de famine, de misère seront ainsi réglés. Ce sera une Afrique puissante. Toute personne aimant ou venant d'Afrique devra militer dans ce sens-là pour arriver à créer les Etats-Unis d'Afrique.
Il faut donc, selon vous, poursuivre son rêve comme Pauline ?
Il n'y a pas de littérature sans rêve !
Propos recueillis
par Firmin Luemba
Le roman de Pauline. Paris: Editions Albin Michel, 2009. 214p.