La Préférence Nationale" est le premier roman de Fatou Diome. Six nouvelles, écrites dans une langue riche, colorée et incisive, donnent envie de mieux connaître cette jeune Sérère à l'humour féroce. Née à Niodor, au Sénégal, d'une famille modeste, Fatou Diome vit en France depuis 1994, où elle prépare un doctorat de Lettres modernes à l'Université de Strasbourg tout en enseignant la langue de Molière. A travers ces nouvelles, l'auteur raconte les mésaventures d'une Sénégalaise obligée de faire des ménages pour payer ses études supérieures. Au passage, elle brosse le tableau d'une difficile intégration à Strasbourg, en Alsace. Rencontre. |
Dans quelles conditions êtes-vous arrivée en France ?
Je suis arrivée à Strasbourg en 1994, après m'être
mariée à un Alsacien que j'ai rencontre à Dakar.
J'étais alors étudiante à l'Université Cheikh Anta
Diop (Dakar). Je n'avais pas le rêve de venir en France, sauf
peut-être en tant que touriste lorsque je serais professeur de Lettres
pour découvrir le pays de tous ces auteurs que je lisais. J'ai donc
débarqué en France plus tôt que prévu et je me suis
inscrite à la Faculté de Sciences Humaines de Strasbourg. J'ai
dû repasser la deuxième année de Lettres. Lorsque l'on
vient de l'étranger, on vous recycle, n'est-ce pas...
Arriver directement en Alsace, cela n'a pas dû être
évident ?
C'était en effet assez dur, au début, ne serait-ce que d'un point
de vue climatique. Lorsque l'on quitte le soleil et les plages de Dakar pour
l'Alsace, son froid et sa pluie, ce n'est pas évident. Et puis, il y a
la découverte des mentalités, aussi, qui a été un
choc.
Est-ce que les six nouvelles sont tirées de votre propre
expérience ?
Oui. Mon livre est à quatre vingt-dix pour cent autobiographique. Toutes
les histoires que je raconte partent effectivement de mon expérience
personnelle. Les dix autres pour cent viennent de ce que l'on peut appeler le
délire de l'auteur et son imagination qui complètent la
réflexion.
A la lecture de votre livre, on a l'impression que les racistes sont souvent
des personnes peu cultivées et qui manquent de répondant face aux
tirades et aux répliques virulentes de la jeune étudiante que
vous étiez. Est-ce l'impression que vous avez des racistes et des
xénophobes ?
(Rires). Quand les gens sont aussi bornés, ce n'est pas possible qu'ils
soient cultivés. Je crois que le racisme vient de l'ignorance de
l'autre. On nie l'autre parce qu'on ne sait pas le comprendre. Plus les gens
sont ouverts d'esprit et moins ils sont disposés au racisme ; finalement,
les gens les plus racistes que j'ai croisés étaient
généralement très peu cultivés. Ceci dit, il existe
des personnes assez intelligentes qui persistent, malgré leur
éducation et leur formation, mais elles sont rares.
Cela me rappelle un passage de la nouvelle intitulée "La
Présence Nationale" dans lequel un boulanger cherche non seulement une
personne qui parle français, mais aussi le dialecte alsacien. Avez-vous
été confrontée à la situation de malaise
décrite dans cette nouvelle ?
Oui. Vous savez, quand on cherche du boulot, on se procure des petits journaux
gratuits. Parfois sur les annonces, il est écrit : "dialecte
souhaité ", et le dialecte, en l'occurrence, c'est l'alsacien. Il y a
des Français qui habitent en Alsace depuis des dizaines d'années
et qui ne parlent pas alsacien. A plus forte raison, une petite Africaine qui
débarque. J'ai en effet été confrontée à une
personne qui m'a demandé si le parlais le dialecte. Et je lui ai dit:
"Monsieur, je parle français, c'est déjà pas mal !".
(Rires).
Avez-vous appris l'alsacien depuis ?
Non, pas du tout, mais on m'a appris les gros mots... (Rires).
Vous êtes étudiante en doctorat de Lettres. Avez-vous suivi des
cours consacrés, par exemple, à l'écriture de
nouvelles ?
Non, mais j'ai toujours écrit pour moi. A 13 ans, j'avais mon premier
carnet. J'y écrivais avec un français tellement maladroit que
j'étais la seule à le comprendre. Quand j'ai commencé
à écrire des nouvelles [...] je n'ai pas
utilisé ma formation universitaire, car je voulais que mes écrits
soient spontanés. Un peu à la façon dont on raconte des
histoires, en Afrique...
Cela ne vous a pas empêchée de respecter les règles du genre. Il y a dans chacune de vos nouvelles un point culminant de tension et une
fin qui permet toujoursde redescendre avec, dans
votre cas, une belle leçon à méditer..
Les contes, en Afrique, ont toujours un but éducatif. J'ai
été élevée par ma grand-mère et je me
souviens que dans les contes africains, le but était toujours de montrer
un exemple à suivre et un autre à ne pas suivre. Sans le vouloir,
j'ai sans doute été un peu moralisatrice. C'est vrai que mon
écriture a une fin qui oblige le lecteur à faire un choix.
Comment s'est passée votre rencontre avec 'Présence
Africaine', votre éditeur ?
Je ne savais pas du tout comment on faisait pour trouver un éditeur.
J'ai appelé tout bêtement, et je crois que j'étais assez
gonflée au téléphone. Je ne voulais pas envoyer mon
manuscrit par la poste : je ne sais pas pour quelle raison, je me suis toujours
accrochée à mes textes. C'était la première fois
que je décidais de les montrer. Je me suis donc déplacée
et pendant que Mme Diop lisait, j'avais l'angoisse au ventre. Les textes l'ont
intéressée et c'était parti.
Vos écrits sont parfois assez durs envers les Français. Comme
lorsque vous faites allusion à l'erreur que constituent certains
mariages mixtes. Comment a réagi votre entourage et en particulier votre
Français de mari ?
Il y a une chose que j'ai oublié de préciser : c'était une
erreur de casting ! (rires) Nous sommes séparés depuis 1996. Quand je
suis venue, j'ai reçu un très mauvais accueil de la part de ma
belle-famille. J'en ai souffert et je me considère comme une
rescapée des couples mixtes. Ou plutôt de la bêtise. Car,
c'est en partie le racisme qui a foutu mon couple en l'air. Il ne fallait pas
une petite Noire dans la famille, en plus intello...
Pourquoi, cela dérangeait ?
Franchement oui, ma belle-mère m'a carrément demandé
d'arrêter mes études. Elle m'avait trouvé un petit boulot
je ne sais où. J'ai dû lui répondre que lorsque son fils
m'a connue, j'étais déjà étudiante. En Afrique, je
me suis battue pour faire des études alors que je n'en avais pas les
moyens. Ce n'est pas en France que je vais arrêter au nom de je ne sais
quel mari.
Comment a réagi votre famille sénégalaise ?
Dans ma famille élargie, ceux qui savent lire ont lu le livre et sont
très étonnés. Le livre a été l'occasion de
découvrir ce que je pouvais dire, ou ressentir et comment je pouvais
l'exprimer. Car au Sénégal, on ne m'écoutait pas, on ne me
laissait pas m'exprimer, parce que j'étais une femme. En ce qui concerne
mes frères et soeurs, ainsi que mes parents, ils ne peuvent pas me lire,
tout simplement parce qu'ils ne savent pas lire. Je suis la seule dans ma
famille à parler le français.
Pourquoi avoir gardé "La Préférence Nationale" le titre
d'une des nouvelles, comme titre du livre ?
Parce que la langue française est riche et ambiguë. "La
préférence nationale" n'est pas sans vous rappeler le thème
favori d'un certain parti politique en France. Quelqu'un de peu cultivé
peut penser que cela signifie favoriser les nationaux. Je crois qu'en
réalité, c'est un concept qui se définit
négativement. Car ce n'est pas tant favoriser certains, mais surtout en
exclure d'autres. Dans les quatre nouvelles qui se passent en France, j'ai
voulu montrer des applications de cette préférence nationale, qui
exclut.
Quelle suite comptez-vous donner à ce début de carrière
aussi prometteur ?
J'ai envie de continuer à écrire mes petits textes avec autant de
liberté. Sans que cela ne soit une course contre la montre. J'ai juste
envie d'être libre en écrivant ; de dire tout haut ce que
beaucoup pensent tout bas.
Pour finir, quel sentiment avez-vous eu en voyant la couverture de "La
Préférence Nationale". Vous semble-t-elle bien refléter la
perspicacité de vos textes ?
Totalement, parce que c'est une maquette que j'ai conçue moi-même
dans ma cuisine. "Présence Africaine" a réalisé la
même photo, avec une serpillière, mais en rajoutant le balai. Je
trouve que ce bleu-blanc-rouge et la "Préférence Nationale"
écrit par dessus n'est pas mal du tout. Car ce sont en effet des
idées à balayer et à mettre à la poubelle. Je
trouve que la couverture annonce bien ce qu'il y a dans le livre.
Renée Mendy-Ongoundou