Article AMINA Diome


      Interview de
      Fatou Diome par Renée Mendy-Ongoundou
      publiée dans Amina en novembre 2001.


      "La Préférence Nationale" par Fatou Diome
      Etre libre en écrivant...

      La Préférence Nationale" est le premier roman de Fatou Diome. Six nouvelles, écrites dans une langue riche, colorée et incisive, donnent envie de mieux connaître cette jeune Sérère à l'humour féroce. Née à Niodor, au Sénégal, d'une famille modeste, Fatou Diome vit en France depuis 1994, où elle prépare un doctorat de Lettres modernes à l'Université de Strasbourg tout en enseignant la langue de Molière. A travers ces nouvelles, l'auteur raconte les mésaventures d'une Sénégalaise obligée de faire des ménages pour payer ses études supérieures. Au passage, elle brosse le tableau d'une difficile intégration à Strasbourg, en Alsace. Rencontre.


      Dans quelles conditions êtes-vous arrivée en France ?

      Je suis arrivée à Strasbourg en 1994, après m'être mariée à un Alsacien que j'ai rencontre à Dakar. J'étais alors étudiante à l'Université Cheikh Anta Diop (Dakar). Je n'avais pas le rêve de venir en France, sauf peut-être en tant que touriste lorsque je serais professeur de Lettres pour découvrir le pays de tous ces auteurs que je lisais. J'ai donc débarqué en France plus tôt que prévu et je me suis inscrite à la Faculté de Sciences Humaines de Strasbourg. J'ai dû repasser la deuxième année de Lettres. Lorsque l'on vient de l'étranger, on vous recycle, n'est-ce pas...

      Arriver directement en Alsace, cela n'a pas dû être évident ?

      C'était en effet assez dur, au début, ne serait-ce que d'un point de vue climatique. Lorsque l'on quitte le soleil et les plages de Dakar pour l'Alsace, son froid et sa pluie, ce n'est pas évident. Et puis, il y a la découverte des mentalités, aussi, qui a été un choc.

      Est-ce que les six nouvelles sont tirées de votre propre expérience ?

      Oui. Mon livre est à quatre vingt-dix pour cent autobiographique. Toutes les histoires que je raconte partent effectivement de mon expérience personnelle. Les dix autres pour cent viennent de ce que l'on peut appeler le délire de l'auteur et son imagination qui complètent la réflexion.

      A la lecture de votre livre, on a l'impression que les racistes sont souvent des personnes peu cultivées et qui manquent de répondant face aux tirades et aux répliques virulentes de la jeune étudiante que vous étiez. Est-ce l'impression que vous avez des racistes et des xénophobes ?

      (Rires). Quand les gens sont aussi bornés, ce n'est pas possible qu'ils soient cultivés. Je crois que le racisme vient de l'ignorance de l'autre. On nie l'autre parce qu'on ne sait pas le comprendre. Plus les gens sont ouverts d'esprit et moins ils sont disposés au racisme ; finalement, les gens les plus racistes que j'ai croisés étaient généralement très peu cultivés. Ceci dit, il existe des personnes assez intelligentes qui persistent, malgré leur éducation et leur formation, mais elles sont rares.

      Cela me rappelle un passage de la nouvelle intitulée "La Présence Nationale" dans lequel un boulanger cherche non seulement une personne qui parle français, mais aussi le dialecte alsacien. Avez-vous été confrontée à la situation de malaise décrite dans cette nouvelle ?

      Oui. Vous savez, quand on cherche du boulot, on se procure des petits journaux gratuits. Parfois sur les annonces, il est écrit : "dialecte souhaité ", et le dialecte, en l'occurrence, c'est l'alsacien. Il y a des Français qui habitent en Alsace depuis des dizaines d'années et qui ne parlent pas alsacien. A plus forte raison, une petite Africaine qui débarque. J'ai en effet été confrontée à une personne qui m'a demandé si le parlais le dialecte. Et je lui ai dit: "Monsieur, je parle français, c'est déjà pas mal !". (Rires).

      Avez-vous appris l'alsacien depuis ?

      Non, pas du tout, mais on m'a appris les gros mots... (Rires).

      Vous êtes étudiante en doctorat de Lettres. Avez-vous suivi des cours consacrés, par exemple, à l'écriture de nouvelles ?

      Non, mais j'ai toujours écrit pour moi. A 13 ans, j'avais mon premier carnet. J'y écrivais avec un français tellement maladroit que j'étais la seule à le comprendre. Quand j'ai commencé à écrire des nouvelles [...] je n'ai pas utilisé ma formation universitaire, car je voulais que mes écrits soient spontanés. Un peu à la façon dont on raconte des histoires, en Afrique...

      Cela ne vous a pas empêchée de respecter les règles du genre. Il y a dans chacune de vos nouvelles un point culminant de tension et une fin qui permet toujoursde redescendre avec, dans votre cas, une belle leçon à méditer..

      Les contes, en Afrique, ont toujours un but éducatif. J'ai été élevée par ma grand-mère et je me souviens que dans les contes africains, le but était toujours de montrer un exemple à suivre et un autre à ne pas suivre. Sans le vouloir, j'ai sans doute été un peu moralisatrice. C'est vrai que mon écriture a une fin qui oblige le lecteur à faire un choix.

      Comment s'est passée votre rencontre avec 'Présence Africaine', votre éditeur ?

      Je ne savais pas du tout comment on faisait pour trouver un éditeur. J'ai appelé tout bêtement, et je crois que j'étais assez gonflée au téléphone. Je ne voulais pas envoyer mon manuscrit par la poste : je ne sais pas pour quelle raison, je me suis toujours accrochée à mes textes. C'était la première fois que je décidais de les montrer. Je me suis donc déplacée et pendant que Mme Diop lisait, j'avais l'angoisse au ventre. Les textes l'ont intéressée et c'était parti.

      Vos écrits sont parfois assez durs envers les Français. Comme lorsque vous faites allusion à l'erreur que constituent certains mariages mixtes. Comment a réagi votre entourage et en particulier votre Français de mari ?

      Il y a une chose que j'ai oublié de préciser : c'était une erreur de casting ! (rires) Nous sommes séparés depuis 1996. Quand je suis venue, j'ai reçu un très mauvais accueil de la part de ma belle-famille. J'en ai souffert et je me considère comme une rescapée des couples mixtes. Ou plutôt de la bêtise. Car, c'est en partie le racisme qui a foutu mon couple en l'air. Il ne fallait pas une petite Noire dans la famille, en plus intello...

      Pourquoi, cela dérangeait ?

      Franchement oui, ma belle-mère m'a carrément demandé d'arrêter mes études. Elle m'avait trouvé un petit boulot je ne sais où. J'ai dû lui répondre que lorsque son fils m'a connue, j'étais déjà étudiante. En Afrique, je me suis battue pour faire des études alors que je n'en avais pas les moyens. Ce n'est pas en France que je vais arrêter au nom de je ne sais quel mari.

      Comment a réagi votre famille sénégalaise ?

      Dans ma famille élargie, ceux qui savent lire ont lu le livre et sont très étonnés. Le livre a été l'occasion de découvrir ce que je pouvais dire, ou ressentir et comment je pouvais l'exprimer. Car au Sénégal, on ne m'écoutait pas, on ne me laissait pas m'exprimer, parce que j'étais une femme. En ce qui concerne mes frères et soeurs, ainsi que mes parents, ils ne peuvent pas me lire, tout simplement parce qu'ils ne savent pas lire. Je suis la seule dans ma famille à parler le français.

      Pourquoi avoir gardé "La Préférence Nationale" le titre d'une des nouvelles, comme titre du livre ?

      Parce que la langue française est riche et ambiguë. "La préférence nationale" n'est pas sans vous rappeler le thème favori d'un certain parti politique en France. Quelqu'un de peu cultivé peut penser que cela signifie favoriser les nationaux. Je crois qu'en réalité, c'est un concept qui se définit négativement. Car ce n'est pas tant favoriser certains, mais surtout en exclure d'autres. Dans les quatre nouvelles qui se passent en France, j'ai voulu montrer des applications de cette préférence nationale, qui exclut.

      Quelle suite comptez-vous donner à ce début de carrière aussi prometteur ?

      J'ai envie de continuer à écrire mes petits textes avec autant de liberté. Sans que cela ne soit une course contre la montre. J'ai juste envie d'être libre en écrivant ; de dire tout haut ce que beaucoup pensent tout bas.

      Pour finir, quel sentiment avez-vous eu en voyant la couverture de "La Préférence Nationale". Vous semble-t-elle bien refléter la perspicacité de vos textes ?

      Totalement, parce que c'est une maquette que j'ai conçue moi-même dans ma cuisine. "Présence Africaine" a réalisé la même photo, avec une serpillière, mais en rajoutant le balai. Je trouve que ce bleu-blanc-rouge et la "Préférence Nationale" écrit par dessus n'est pas mal du tout. Car ce sont en effet des idées à balayer et à mettre à la poubelle. Je trouve que la couverture annonce bien ce qu'il y a dans le livre.

      Renée Mendy-Ongoundou


      Renée Mendy-Ongoundou, "'La Préférence Nationale' par Fatou Diome : Etre libre en écrivant..." Amina 379 (november 2001), p.46.
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      Editor ([email protected])
      The The University of Western Australia/French
      Created: 26 Aug 2003
      Archived: 12 October 2016
      https://aflit.arts.uwa.edu.au/AMINAdiome01.html