En septembre 2004, la chaîne française de télévision
France 3 Alsace comptait parmi ses programmes une nouvelle émission
"Nuit Blanche". Un rendez-vous culturel, mensuel, à dominance
littéraire. Sa présentatrice, l'écrivain Fatou Diome s'est
longuement confiée à AMINA. Fatou Diome n'a pas perdu de sa superbe et moins encore de ses convictions. Femme à l'esprit libre et droite dans ses bottes, elle parle de ses choix de vie et les assume. Ses livres ont reçu des échos favorables à la fois auprès des critiques et des lecteurs. Actuellement, ils sont traduits du français en plusieurs langues. Fatou Diome est fière de porter ses nouveaux habits de présentatrice de télévision. Son émission "Nuit Blanche", diffusée un mercredi par mois, à 23h15 sur France 3 Alsace, a été reconduite cette année. "L'émission Nuit Blanche reçoit quatre invités, avec au minimum deux écrivains. Pour les deux autres, le choix se porte sur un réalisateur dont le film est diffusé juste après mon émission, un metteur en scène, un peintre ou un musicien ", nous confie-t-elle |
Vous êtes l'auteur du roman "Le Ventre de l'Atlantique", aux éditions Anne Carrière et du recueil de nouvelles "La préférence nationale" chez Présence Africaine. Vous êtes passée de la littérature à la télévision. Comment s'est opérée cette transition ?
Le plus simplement du monde. C'est le directeur des programmes qui, un jour, m'a proposé de faire cette émission. C'est un univers qui me faisait un peu peur. Je connais mieux la tranquillité de l'écriture. Il a eu beaucoup d'arguments. On ne peut pas à la fois dire que la communauté africaine n'est pas visible sur le petit écran français et refuser une telle proposition. D'autre part, c'est une façon de donner la parole à d'autres artistes, d'entrer dans un dialogue. J'écris, oui. J'ai des choses à dire, oui. Il y a des personnes qui véhiculent des idées, qu'elles soient africaines, européennes, peu importe d'où elles viennent, elles ont des choses à dire et ce dialogue-là m'intéresse. Puis, j'ai accepté d'animer cette émission, mais, elle me laisse le temps de vaquer à d'autres occupations. Elle n'a lieu qu'une seule fois par mois.
Pour cette émission, avez-vous été choisie en tant qu'Africaine ou en tant que personne humaine ?
En tant que moi-même. Je donnais des cours à l'Université Marc Bloch de Strasbourg, sur l'écriture des scénarios et le cinéma du sud ; à l'Institut supérieur de pédagogie de Karlsruhe, en Allemagne, sur la littérature française du XIXe siècle et sur la littérature africaine francophone. Ce n'est pas la même chose qu'une activité de journaliste ou d'animatrice à la télévision. Il m'était plus facile de demander un poste en qualité de professeur de français qu'en qualité d'animatrice d'une émission culturelle. Je n'aurais jamais décidé d'aller présenter un CV dans ce domaine-là. C'est une simple question de pratique. D'un autre côté, quand on est à l'extérieur, on dit que le milieu de la télé est fermé. C'est normal de le penser. Mais, à y regarder de près, on se dit qu'on a tort de ne pas essayer.
Vous affirmez régulièrement que vous n'êtes pas venue à la littérature, c'est elle qui est venue à vous. Diriez-vous la même chose s'agissant de la télévision ?
Oui, tout à fait. Étant jeune, j'aimais beaucoup lire. Tout au long de mon parcours scolaire, l'envie de lire a été présente. Comme j'ai souvent vécu en ville seule, je me posais de nombreuses questions. Les livres ne donnent peut-être pas toutes les réponses, mais ils apportent beaucoup. Le goût de l'écriture s'en est suivi, j'écrivais sans savoir ce que je pouvais en faire. J'écrivais pour mon propre plaisir, sans me dire, un jour, écrivain. C'était un univers éloigné du mien. Dans mon contexte, je n'envisageais pas cela. La littérature s'est imposée à moi, d'elle-même. Je dirais la même chose, s'agissant de la télévision. Le responsable des programmes de France 3 Alsace m'a certainement vue sur des plateaux de télévision, il a lu mon livre. Je pense qu'il est sensible à certaines thématiques que j'aborde. Il y a plusieurs manières de militer. Il y a des gens qui ont un pouvoir de décision et qui peuvent en user pour mettre leurs idées en action. Il ne suffit pas de brandir des pancartes. La télé est venue comme ça. Je crois que la littérature a appelé la télévision à moi. Sinon, je ne crois pas que j'aurais postulé pour présenter une émission de télé.
Vous n'avez pas complètement quitté le travail d'écriture. La télévision est-elle, oui ou non le prolongement du travail de l'écrivain ?
Je ne parlerais pas de prolongement. Il s'agit d'une autre curiosité. Quand j'écris, je suis dans une bulle. Je suis plongée dans mes propres sujets, dans les questions que je me pose. Je suis toute seule dans mon coin. C'est la même chose pour la lecture. Il se trouve que je lis énormément, c'est même un pléonasme que de le dire. Maintenant, lire des auteurs et faire découvrir leur univers, attire mon attention et j'espère intéresse les téléspectateurs. Le fait d'interroger d'autres écrivains, d'autres artistes, me donne une ouverture sur différents domaines de création, d'autres façons de voir le monde. C'est finalement un autre apprentissage.
Le travail de télévision est collectif, tandis que l'écriture est une démarche solitaire. Finalement laquelle des deux branches vous paraît la plus avantageuse? Quels sont les rapports entre les deux branches ?
C'est toujours une démarche artistique. Dans tout ça, c'est la créativité qui m'intéresse. Voir, savoir quel sujet touche quelqu'un, pourquoi, comment il en parle, comment il voit son époque, quel est son univers artistique et quels sont ses arguments. Cela me permet d'apprendre et de grandir. Je peux être d'accord ou pas avec mes invités, mais je découvre toujours avec eux un univers différent du mien. On ne fait pas une émission littéraire comme on écrit un livre. La gestion du temps n'est pas la même. Ceci dit, le fait d'être dans l'écriture me permet, peut-être, de mieux envisager un plateau avec des écrivains. J'essaie de changer de position, de me mettre à la place du lecteur pour tenter de deviner ses éventuelles interrogations. Parfois, je me mets carrément à la place de l'auteur pour imaginer les raisons qui l'ont poussé à écrire telle ou telle chose. Je pense que c'est une double lecture en tant que personne qui lit et écrit. Ceci me facilite beaucoup les relations avec les auteurs. Il me semble qu'ils me parlent à cœur ouvert.
Comment conciliez-vous votre travail d'écriture avec votre émission de télévision ?
L'émission est enregistrée l'après-midi. Rien ne change dans mon rythme d'écriture. 52 minutes, une seule fois par mois, c'est une durée qui me permet de dérouler un plateau avec un sujet important; d'avoir le temps d'en débattre avec mes invités. Comme ce n'est qu'une fois par mois, j'ai tout le temps de retourner à mes activités d'écriture, de faire mes voyages et mes rencontres littéraires.
Avez-vous actuellement un livre en préparation ?
J'ai toujours des livres en préparation parce que je ne peux pas m'empêcher d'écrire. Publiée ou pas, j'écris. J'ai un nouveau roman, "Kétala", qui va sortir chez Flammarion en mars.
Comment expliquer le peu de présence des Noirs africains sur le petit écran français ? Pensez-vous à un éventuel changement de tendance ? De qui viendra ce changement ?
Je pense qu'on ne fait pas le monde en une journée. Peu à peu, les choses changent. Je n'y étais pas il y a quelques mois, d'autres comme moi non plus. Nous y sommes aujourd'hui. Les portes s'ouvrent et cela doit continuer. Après, c'est à nous de faire un travail de qualité, de montrer qu'on est là pour des raisons valables. Je n'ai pas envie d'y être pour faire la noire de service ou acte de présence. J'ai envie de présenter un bon travail. Tant que je suis capable, je continuerai. Le jour où je ne serais plus en mesure de le faire, j'arrêterai. Je pense que notre présence à l'écran ne doit pas être perçue en terme d'appartenance ethnique ou de couleur de la peau. Je veux dire que si quelqu'un est incompétent, on ne va pas l'engager parce qu'il est simplement noir. C'est à nous de montrer qu'on est capable de bien faire le travail, qu'on peut être efficace. Il faut revendiquer en brandissant des compétences, c'est le meilleur argument. Oui, j'ai accepté cette émission aujourd'hui. Si j'arrête demain ou après demain, une autre fille africaine qui a la capacité d'occuper cette place n'aura pas de complexe à aller demander ce poste-là. Rien que pour cela, ça valait la peine d'accepter. C'est en quelque sorte une ouverture pour les autres. Le livre m'a ouvert des portes, mais c'est aussi le résultat d'un travail de longue haleine. Je ne serais pas d'accord pour qu'on m'ouvre une porte dérobée (comme on dit, la discrimination positive !). Quand vous mettez à une place quelqu'un qui n'a pas le niveau et la compétence requise, il sera un fonctionnaire ou un employé de seconde zone. Il ne sera pas respecté. Il faut être là, parce qu'on en a la capacité et non grâce à la condescendance. On ne demande pas de privilège. On demande à être reconnus à notre juste valeur, comme tout le monde. En somme, des critères d'embauche pareils et justes pour tous.
Croyez-vous que le succès sera au rendez-vous pour votre émission, à l'instar de vos livres ? Dans le cas contraire, quelle serait votre décision ?
Je ne fais jamais de pronostics. Je ne me pose pas la question au quotidien. Ma première préoccupation reste le choix de mes invités. Je ne pense pas à l'audimat. Je ne suis pas là pour regarder les courbes d'audience, ce stress serait négatif pour mon écriture. J'ai envie de travailler avec le plaisir, garder une vraie liberté et essayer de m'améliorer en permanence. Je ne gère pas le reste, une fois que j'ai le sentiment d'avoir bien accompli mon travail, je me sens tranquille. Je suppose que si l'émission existe depuis septembre 2004 et qu'elle a été reconduite, c'est parce qu'elle fait de bons chiffres.
Quelle émission de télévision aimez-vous regarder ? Pourquoi ?
Je regarde des émissions littéraires. Pour la plupart, elles passent tard dans la nuit. Il se trouve que j'écris tard. Quand elles passent je me fais une petite pause-thé et je les suis. Ça me permet d'être au courant de ce qui se passe, et aussi d'apprendre mon métier. Attention, je ne dis pas que je copie. Je regarde les choses à faire ou à ne pas faire dans mon émission. C'est une école, L'expérience des gens du métier m'est utile. D'une manière générale, je regarde des documentaires, des sujets de société qui m'interrogent. Je peux tout aussi me retrouver un soir devant un film idiot avec ma tasse de thé pour me faire plaisir et me détendre.
Comptez-vous vous inspirer de votre émission pour écrire un livre, un jour ?
C'est vraiment un autre travail. L'écriture, pour moi, se passe ailleurs. On a besoin de replonger dans la vie sociale active pour sortir de sa bulle où on s'enferme pour développer ses idées. Je vis l'écriture comme ça. J'ai besoin d'en sortir, de temps en temps, pour aller voir ce que font les autres, ce qui se vit ailleurs : les films, la musique, le théâtre, la peinture, les livres. L'écriture c'est aussi savoir se nourrir de tout ça, c'est en cela que l'émission peut m'enrichir. Maintenant aller écrire, à proprement parler là-dessus, je ne sais pas. Jusqu'ici l'écriture est restée ma grande passion, un grand bonheur de travailler à la maison. C'est la chose qui existe d'une manière permanente dans ma vie. Quoiqu'il arrive, elle est toujours là. Travailler à la télé ou ailleurs, c'est une façon d'avoir une vraie activité salariée et sociale, ne pas dépendre de droits d'auteur et garder la liberté dans ma création. C'est bien d'avoir le sentiment d'aller travailler, de gagner sa vie et donc de pouvoir écrire en toute liberté.
Quel regard portez-vous sur les télévisions des pays du sud, des pays qui n'ont pas assez de moyens humains ou de structures comme vous en avez à France 3 Alsace ?
Quand je vais en Afrique, je me rends compte que culturellement, tout ce qu'on fait ici, on essaie de le faire là-bas. Chaque pays offre des services en fonction de ses moyens. Il faut de l'argent pour produire une émission ; pour bien filmer, il faut du matériel, parfois très sophistiqué, il faut donc des gens bien formés pour l'utiliser. Cette formation s'acquiert dans des écoles, dans des centres de formation qui coûtent cher. Tout ça les pays du Sud en ont besoin. Les médias en Afrique font des progrès. Voyez le nombre de radios FM, de chaînes de télé qui s'installent un peu partout en Afrique. On ferait mieux de les encourager par une aide économique propre à mettre en place des programmes importants et sérieux, en adéquation avec les attentes des populations. Il ne suffit pas d'ouvrir des grosses multinationales télévisuelles qui déversent sur l'Afrique des messages qui ne la concernent pas et qui ne sont pas adaptés aux situations locales. C'est se moquer des gens. Echanger des programmes, oui, mais il faut bien les choisir. Adapter aveuglément tout ce qui se passe en Occident dans les pays du Sud, ne rime à rien. Chaque pays a des réalités avec lesquelles il faut compter, et dont on peut s'inspirer pour offrir des produits télévisuels de qualité.
Verra-t-on demain Fatou Diome débauchée par TF1 au France 2 ?
Pour le moment, je suis très contente à France 3. Ce n'est pas loin de chez-moi. Je connais les personnes avec qui je travaille. J'ai ma petite vie tranquille. On me laisse la liberté de choisir mes invités, de débattre mes sujets librement. Il y a un respect et une reconnaissance mutuels. Aujourd'hui, je ne me pose pas la question d'un éventuel changement.
Propos recueillis
par Cikuru Batumike