Née en France dans les années 70, Alice Endamne, d'origine gabonaise, vit en Californie depuis dix ans maintenant. Venue pour ses études de 3e cycle, elle y est restée par amour. Mariée et mère de deux petites filles, elle travaille pour la revue Black Arts Quarterly publiée par Stanford University, en tant que rédactrice en chef. Pour la présentation de son premier livre, Alice Endamne a choisi de se confier à AMINA. |
Vous êtes passionnée d'écriture depuis votre plus jeune âge ?
Tout a commencé avec mon apprentissage de la lecture. Très vite,
je me suis mise à dévorer tous les livres de la
Bibliothèque Rose et compagnie. C'était presque magique pour moi
de découvrir un nouvel univers dans chaque livre. D'ailleurs,
aujourd'hui encore, je lis en moyenne un roman par semaine.
Tout naturellement, l'idée m'est venue de créer mes propres
histoires. Je me suis aussi essayée à la poésie. Je me
souviens qu'en CM2, un de mes poèmes avait été
publié dans le journal de notre école. La même chose s'est
produite quelques années plus tard en Seconde au lycée. Dans mon
jeune âge - surtout à l'adolescence - j'ai écrit des
nouvelles, des chansons et une pièce de théâtre mais aucune
d'elles n'est sortie de mon tiroir.
Quand, enfin, j'ai accepté l'écriture pour ce qu'elle était,
c'est-à-dire ma passion, j'ai voulu la partager avec plus de gens.
Pourquoi avoir choisi un titre avec une telle tournure ? J'entends par là le style familier... et les apostrophes.
En fait, "C'est demain qu'on s'fait la malle" est le titre d'une chanson que l'on chantait en colonie de vacances quand j'étais petite. Avant de commencer la rédaction de ce livre, je pensais à l'histoire de Lætitia (qui reflète un peu la mienne) et à son désir de partir. Cette chanson me revenait sans cesse en tête. De plus, je voulais évoquer l'enfance - car Lætitia et Stéphane sont encore un peu enfants - et la simplicité des sentiments durant les premières années de la vie. C'est pour cela que j'ai choisi un titre qui me rappelle ma propre enfance.
Pourquoi vous intéressez-vous particulièrement aux relations interculturelles ?
Tout simplement parce que c'est ce que j'ai toujours connu. J'ai
été élevée en France par des parents gabonais. J'ai
grandi en entendant la langue fang à la maison - mes parents le
parlaient entre eux - et le français à l'extérieur. Ce que
je mangeais à la cantine ne ressemblait pas forcément à ce
que je mangeais à la maison. Les valeurs qu'on m'inculquait, telles que
le respect des aînés, n'étaient pas forcément celles
de mes amis "franco-français".
J'ai également vécu à Libreville au Gabon pendant quelques
années et là-bas on a tendance à me considérer un
peu comme une étrangère même si, par mes parents, je suis
100% gabonaise. Bref, je suis le produit d'un mélange de cultures et,
comme on dit souvent, on ne parle bien que de ce qu'on connaît.
En résumé, de quoi parle votre livre? Est-ce votre premier ?
C'est tout d'abord l'histoire d'un amour interdit entre deux adolescents : Lætitia Obame, une jeune fille noire, et Stéphane Pellerin, un jeune skinhead blanc. Ils entrent dans la même classe de Seconde dans un lycée du sud de la France à la fin des années 80 et sont attirés l'un vers l'autre parce qu'ils sont tout simplement humains, mais aussi parce que quelque part il y a un attrait de l'interdit.
A travers Lætitia, le livre traite aussi de la vie des jeunes issus de l'immigration. Bien qu'elle y soit née, Lætitia ne s'est jamais sentie vraiment chez elle en France et son désir de partir ailleurs l'emmènera brièvement aux Etats-Unis chez sa correspondante.
La relation de Stéphane et Laetitia se déroule sur fond d'événements historiques, comme la chute du mur de Berlin, la libération de Nelson Mandela et la vague de racisme qui a touché la France au début des années 90. Mais c'est aussi léger, drôle et facile à lire pour les jeunes adultes. C'est mon premier livre publié mais ce n'est pas mon premier manuscrit.
Y a t-il une raison au choix du thème ?
Lorsque j'écrivais ce livre, ce n'était pas vraiment la relation
"noir/blanc" qui m'intéressait mais plutôt la rencontre de deux
âmes un peu perdues. Lorsque j'étais au Lycée à
Perpignan, il y avait une bonne dizaine de skinheads dans mon
établissement. Il y en avait un en particulier dans ma classe qui ne
m'adressait jamais la parole. Il m'a un peu inspiré le côté
froid de Stéphane. Le reste me vient de garçons qui sont
passés dans ma vie. Il y a même un petit peu de mon mari en lui.
En fait, je me suis demandé comment fabriquer une histoire aussi
inattendue pour que cela ait l'air plausible. C'était un peu comme un
défi. Les sous-thèmes du livre viennent de mon
expérience personnelle. Il y a quelques années, j'ai
été invitée à participer à une
mini-conférence à l'Université de Stanford pour discuter
des émeutes françaises de novembre 2005. Comme vous vous en souvenez
sûrement, ces émeutes ont eu pour conséquence que les media
se sont penchés un peu plus sur la vie dans les banlieues mais surtout
sur la vie des jeunes français issus de l'immigration. Je m'attendais donc
à ce que plusieurs
Français issus de l'immigration soient invités à cette conférence, entendez par là des
Français qui n'ont pas la peau blanche. A ma grande surprise, il n'y
avait que des "Franco-français", surtout des universitaires et
même un attaché presse du consulat de France de San
Francisco. Ils discutaient des émeutes comme de simples observateurs. Il
y avait parfois du mépris dans leurs propos mais surtout de
l'incompréhension. J'étais la seule à représenter
les Français issus de l'immigration et j'étais tellement en
colère quand j'ai pris le micro que toutes mes anciennes frustrations
sur la vie en France sont sorties : le manque de respect, l'impression
d'être invisible, le manque d'opportunités professionnelles (je
parlais de la fin des années 1990), etc. J'ai eu deux types de
réactions : les Américains qui m'ont applaudie pour avoir dit "la
vérité" et plusieurs Français qui ont très mal pris
le fait que j'ose parler de ces choses-là devant les Américains.
En rentrant chez moi je me suis dit qu'il n'y avait que nous-mêmes pour
raconter nos histoires avec honnêteté et respect. J'avais
déjà entamé "C'est demain qu'on s'fait la malle",
mais après ce jour-là, j'ai modifié plusieurs choses
pourqu'au delà d'une simple histoire d'amour, le livre, tout en restant
léger, serve aussi à réfléchir sur l'état de
la société française et sur sa promesse de liberté,
égalité et fraternité.
J'ai vu que vous avez écrit des articles, entre autres pour AMINA. Qu'est-ce que ça vous fait d'y être aujourd'hui interviewée ?
C'est un honneur! Je lis AMINA depuis très longtemps car ma mère achetait souvent ce magazine quand j'étais petite. Avoir eu la possibilité d'y faire publier mes articles était une formidable opportunité, alors je suis très heureuse aujourd'hui d'être interviewée par AMINA.
Vous êtes originaire du Gabon et vous êtes installée aux Etats-Unis. Comment et où vous voyez-vous dans dix ans ?
Je vais continuer à écrire. Quant à l'endroit où je serai, je n'en ai aucune idée pour le moment. J'aime beaucoup la Californie mais je ne suis pas contre le fait de m'installer ailleurs. Ma fille de 5 ans me dit souvent que la Chine l'intéresse, alors qui sait, peut-être que je serai à Pékin...
Un dernier mot ?
"C'est demain qu'on s'fait la malle" est le premier volet d'une série de trois livres sur les aventures de Lætitia Obame. Le second, que je suis en train d'achever, porte lui aussi un titre musical.
Propos recueillis
par Chuchana Ndongo
Contact:
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Editions Jets d'encre, 1 bis, avenue Foch, 94100
Saint-Maur-des-Fossés, France.