ENGAGEMENT. Elle est grande et fine, s'habille avec élégance, mais une élégance discrète. Sur son front se lit une fermeté de caractère qu'atténue un beau sourire. Depuis des mois, à Paris et en Afrique, on ne parle et ne jure que par elle. C'est Elizabeth-Ewombè Moundo, une brillante Camerounaise qui vient d'accomplir vingt ans de bons et loyaux services à l'Unesco. Fonctionnaire internationale et auteur de nombreux ouvrages, Elizabeth-Ewombè Moundo est directrice du Bureau d'Accra et représentante de l'Unesco auprès du Bénin, de la Côte d'Ivoire, du Ghana, du Libéria, de la Sierra Leone et du Togo. Cette femme exceptionnelle aux talents multiples ne demande qu'à servir l'humanité entière, tant est grande sa générosité. |
En quoi consiste votre travail ?
Je coordonne la mise en œuvre effective de nos activités, en m'assurant qu'elles s'intègrent bien dans la programmation commune du système des Nations Unies sur le terrain, et ce dans le cadre de ce que nous appelons "Delivery as one". Je veille également à ce que les relations entre les pays de ma juridiction et l'Organisation soient les meilleures possible, ce qui est le rôle de tout ambassadeur. L'Unesco qui est une Agence spécialisée des Nations Unies a une programmation biennale, arrêtée d'un commun accord avec les Etats membres lors de consultations, comme celle que nous avons tenue à Kampala au mois de mai dernier pour la région Afrique.
Que ressentez-vous après avoir passé vingt ans au service de l'Unesco ?
Il y a forcément un sentiment de fierté de travailler dans une Institution considérée comme l'Organisation de coopération intellectuelle au sein des Nations, "le Temple du savoir" dont le nom est attaché à beaucoup de grands intellectuels, savants, penseurs, scientifiques dans le monde. A mes débuts, j'avais, comme nombre de personnes qui débutent dans une grande organisation comme l'Unesco, des moments de doute. Je me demandais si je serais à la hauteur. Passé ce temps, on s'y habitue. Je ne pense pas qu'il faut être très intelligent ou un génie pour travailler à l'Unesco, mais cela, on le découvre bien après. Ce qui est intéressant quand on travaille à l'Unesco, c'est que chacun apporte son talent et la motivation demeure un facteur déterminant pour votre épanouissement.
Quelle a été votre première mission ?
Ma première mission a été au Tchad où j'étais Conseiller technique principal, chargée de l'Education en matière de population. La situation alors n'était pas des meilleures, car le Tchad était encore confronté à des conflits internes et externes. Une des premières choses notables dans les pays en situation de crise est le manque de capacités. Je me suis donc retrouvée à "conseiller" le Ministre de l'Education puis le Premier Ministre sur la politique de l'éducation et du système éducatif tchadien. Je garde un très bon souvenir de mon séjour au Tchad. De retour au siège à Paris, j'ai travaillé partiellement au Bureau des relations extérieures et au Cabinet de M. Federico Mayor, un homme de qualité exceptionnelle, qui était alors Directeur général de l'Unesco. J'avais en charge des pays en reconstruction et tout particulièrement le Rwanda qui venait de connaître un génocide. Federico Mayor m'a demandé de m'occuper de la coopération avec les nouvelles autorités de Kigali et d'y ouvrir un Bureau dédié à la Culture de la Paix. Ce fut mon premier poste de représentant. Ma mission au Rwanda a été des plus difficiles mais, également, des plus enrichissantes. J'ai encore en mémoire les odeurs des corps décomposés et les vautours qui rôdaient autour... Après ça, on voit la vie différemment. J'ai rencontré des personnes extraordinaires au Rwanda, notamment celles de l"Association des Femmes Rwandaises pour la paix". Ces femmes ont créé le Village pour la Paix Nelson Mandela à Ntarama. Immaculée Mukarurangwa, Constance Mukayuhi et Veneranda Zambazamariya, un poète qui nous a malheureusement quittés. J'ai eu le privilège de travailler avec elles et d'être citoyenne d'honneur de Ntarama grâce à elles. Elles ont reçu le prix mondial de la tolérance et elles le méritaient absolument. Le Rwanda est un pays que je n'oublierai jamais.
Parlez-nous un peu plus de vous...
Je suis Camerounaise de Douala, mère de deux enfants et grand-mère de William, Melissa, Ilan, Nathan et Joachim, sans oublier Luca. J'ai passé mon adolescence au Cameroun et ensuite, j'ai découvert le monde. Docteur d'Etat en Psychopathologie et Anthropologie culturelle et religieuse. Diplômée d'Etudes supérieures spécialisées en psychologie clinique et expérimentale, j'ai également un Diplôme d'études approfondies en Sciences de l'Education. Avant d'entrer à l'Unesco, j'ai travaillé en milieu psychiatrique à l'Hôpital Sainte-Anne à Paris et à Montreuil en tant que chercheur auprès du Professeur Ibrahima Sow, éminent psychiatre et auteur de deux livres de référence : "Psychiatrie dynamique africaine" et "Structures anthropologiques de la folie en Afrique Noire". J'ai collaboré avec de grands professionnels tels que Louis Vincent Thomas et Mathias Makang ma Mbog; j'ai également "flirté" avec le Laboratoire du système de pensées en Afrique Noire du CNRS et fus parmi les premiers experts du Centre International des Civilisations Bantu (CICIBA) à Libreville, au Gabon. Je travaillais sur l'accompagnement de la mort, les conduites funéraires et mes recherches portaient sur les pathologies liées au deuil et les thérapies traditionnelles.
Quelle a été votre motivation en choisissant l'accompagnement de la mort comme spécialité, alors que de nombreuses personnes en ont peur ?
J'ai eu la chance d'avoir comme patron le psychiatre guinéen Ibrahima Sow qui était aussi philosophe et sociologue. J'ai été son étudiante puis son assistante. C'était un grand homme et théoricien qui militait pour que la dimension culturelle soit prise en compte lors de l'expérience pathologique en Afrique Noire. Comme je l'ai rappelé, j'ai également travaillé avec des personnalités comme Louis-Vincent Thomas, Mathias Makang ma Mbog ou Thomas Melone et le choix de ma spécialité s'est fait sans excitation. Cela dit, nous avons tous peur de mourir, mais l'une des certitudes que nous avons tous, c'est que tout ce qui commence entame sa propre fin. La naissance n'est que le début de la trajectoire du vivant jusqu'à sa mort. Nous espérons que cela se fasse le mieux possible. En fait, disons que nous avons peur de ce qu'il y a ou pas après la mort que nous ne contrôlons pas. Selon les cultures, cette peur est plus ou moins gérée par des codes sociaux. Ce n'est jamais par hasard que l'on choisit un thème, surtout celui de la mort. Mais aussi pourquoi pas ? Sur une scène funéraire par exemple, vous avez, en un espace-temps défini, toute la vision du monde d'une population donnée, les règles et mécanismes qui gèrent leur perception de la vie et donnent sens et signification à leurs actes. Dans mes formations, j'ai essayé de comprendre aussi les registres et fonction de la communication dans la relation mère-enfant en Afrique Noire, les interdits alimentaires durant la grossesse et leur fonction symbolique. Dans tous les cas, c'est toujours la culture que j'interroge car elle seule peut donner les clefs pour la compréhension de l'être humain.
Vous avez écrit huit ouvrages. Lesquels recommanderiez-vous à nos lectrices ?
Cela dépend de leurs goûts. Il y a "Little Toe et Pebble", une histoire pour enfants destinée aux adultes. La rencontre d'un caillou et d'un orteil et les aventures qui s'ensuivent. Il y a aussi une pièce de théâtre "Le destin ordinaire d'un homme ordinaire", un homme en quête de vérité qui croit que celle-ci est contenue dans un cœur forgé par des mains pures.... de la poésie comme "Metusa". Lors de mon séjour en Guinée, je venais du Rwanda, j'ai écrit" Le Voyage abyssal" un recueil de poésie sur la guerre. La Guinée a une tonalité très particulière pour moi. J'y ai été adoptée (Keita de Niagasola en Haute Guinée), honorée (Commandeur de l'Ordre National du Mérite). Il y a aussi un recueil de nouvelles "L'Emmurement" neuf histoires très courtes sur des personnages pris au piège de leur propre vie, "Le ventre du clair-obscur". Les romans "Analua" dont l'histoire se passe au Cap-Vert (autre lieu d'amour et de bonheur où la simplicité et la générosité ("Sol y morabeza pa tut gent") des habitants se retrouvent à tous les niveaux de la hiérarchie sociale) et "La nuit du monde à l'envers" le dernier ouvrage qui s'inspire du Ngondo, carnaval qui se tenait traditionnellement vers la mi-juillet chez les Sawa de la Côte camerounaise. Vingt-quatre heures durant, de minuit à minuit, tout ce qui est habituellement interdit est permis. C'est une grande catharsis pour tout le monde, c'est aussi un clin d'oeil à ce qui se passe autour de nous, les jeux de forces...
Fonctionnaire international, quelles sont les difficultés que vous avez rencontrées ?
Vous savez, toute femme est multidimensionnelle par nécessité. Une femme, dès qu'elle a un enfant, doit trouver un équilibre entre sa vie de femme intime, personnelle, professionnelle et de mère. Il en a toujours été ainsi. Je ne fais en rien exception. Les difficultés sont celles de tout le monde. Il faut relativiser surtout, accepter que vous êtes privilégié, apprendre à apprécier ce que vous avez plutôt que de se lamenter sur ce que vous pourriez avoir. Il y a toujours quelqu'un qui se contenterait très volontiers de ce que vous avez. Quand on me pose la question : "Comment faites-vous ?", je réponds toujours qu'on n'a jamais le temps, mais on le prend. Rien n'est simple, rien n'est gratuit. Il y a un prix à payer pour tout. La question n'est pas si on peut mais si on veut le faire. Etre disponible dans sa tête et dans son cœur. Evidemment, ce n'est pas drôle tous les jours pour ceux qui partagent votre vie. Mais j'ai la chance d'avoir mes enfants dans leurs propres chemins, j'adore mes petits-enfants que malheureusement je vois peu ; mais là aussi, il n'y a rien d'exceptionnel : tous les grands parents sont "gagas" avec leurs petits enfants. J'ai surtout le privilège de partager ma vie avec quelqu'un d'attentif et d'attentionné qui me comprend et m'accompagne.
Quelles satisfactions tirez-vous de votre passionnant métier ?
Ce n'est pas un métier comme les autres. J'ai pu rencontrer des personnes extraordinaires. Je ne les citerai pas ici. Vous savez, même dans les pays en conflit ou en reconstruction, j'ai fait des rencontres exceptionnelles. Je vous ai parlé du Rwanda tout à heure, je pourrais évoquer encore les femmes de Guinée si engagées dans la vie sociale, culturelle et politique de leur pays. J'ai eu le privilège de rencontrer des femmes comme Miatta Fahnbulleh du Liberia, chanteuse, animatrice de radio, qui consacre sa vie à l'éducation des enfants orphelins de guerre. Près de 300 enfants. Ce sont ses concerts qui assurent le minimum de ses besoins matériels. Elle vous dira, si vous la rencontrez, qu'elle n'avait jamais imaginé qu'elle pourrait être si heureuse malgré toutes les difficultés et Dieu sait qu'il y en a dans ce pays. C'est aussi une manière de dire que tout ce que vous faites dans la vie peut être passionnant. Rien n'est jamais totalement blanc ou noir, tout se tient dans une ligne grise entre blanc et noir. Rien n'est jamais rose tous les jours ; ce serait d'ailleurs ennuyeux à la longue. Cela ne tient qu'à vous. Imaginez le nombre de personnes qui aimeraient être à votre place. Prenez le bon côté des choses. Les aspects négatifs, il y en aura toujours. Il est illusoire de croire qu'il suffit de pouvoir distribuer des cartes de visites avec des titres ronflants pour briller. D'autres le méritent autant sinon plus que vous. Il est infiniment plus juste de respecter la chance que l'on a d'avoir un travail qui vous nourrit le corps et l'esprit. Tout est possible, mais il faut travailler, travailler et travailler encore. Ici ou ailleurs, le meilleur soutien c'est la qualité de votre travail.
Propos recueillis
par Mathieu Mbarga-Abega