Hélène Kaziendé, Nigérienne d'origine et Togolaise d'adoption, est enseignante et journaliste de formation. Elle est née, a grandi et a toujours évolué dans un environnement multiculturel fortement imprégnée par sa triple culture: burkinabé (celle de son père), nigérienne (celle de sa mère) et aujourd'hui togolaise (celle de son mari). Depuis quelques années déjà, Hélène Kaziendé s'essaye à l'écriture, parce que certaines réalités l'interpellent et qu'elle veut en témoigner. Elle vient de publier un roman, "Aydia". Entretien. |
Pouvez-vous nous parler brièvement de votre roman "Aydia" ?
"Aydia", c'est l'histoire de deux destins: celui de Aydia, l'héroïne et celui de Fati, son amie d'enfance. Au départ, ce sont deux jeunes filles simples et paisibles qui ne sont habitées que par un seul désir, celui d'échapper à la malédiction des enfants de Kallé, le quartier des pestiférés, des enfants avilis par la misère dès la naissance, prédisposés à tous les vices. Mais très tôt, elles comprendront que la pureté à laquelle elles aspiraient n'était pas pour elles; le milieu auquel elles voulaient échapper était une tare sans remède. Elles, si bien intentionnées, voient progressivement tous leurs espoirs s'effondrer. Elles se lancent alors dans une vie dissolue, deviennent compliquées, méchantes jusqu'au crime comme pour se venger de cette société qui les a niées et qui les persécute. C'est alors que, au plus profond de leur nuit, une lueur timide et incertaine va s'allumer: elles rencontrent l'amour. Mais est-ce que cela signifie pour autant la fin de leurs galères ? L'amour, comme on le sait, peut être porteur de vie ou de mort.
Vous abordez un sujet d'actualité, la violence faite aux femmes. Pourquoi ?
Toute violence doit nous interpeller, toute violence sous quelque forme que ce
soit doit être dénoncée et réprouvée, mais
celle qu'on doit encore plus condamner est celle qui est exercée sur des
êtres faibles et sans défense, les femmes et les enfants.
Regardez, en temps de guerre, ils sont les premières victimes: ce sont
les viols systématiques, les enfants transformés en machines de
guerre. Regardez le spectacle lamentable qu'offrent les camps de
réfugiés !
La violence dont je parle est à une échelle réduite mais
elle est tout aussi intense. Je m'insurge contre le harcèlement sexuel,
surtout sur des mineures; contre les tortures physiques ou morales que
subissent certaines femmes dans leur foyer quand certains hommes croient qu'ils
ont droit de vie et de mort sur elles, contre le mariage précoce qui a
des conséquences dramatiques sur l'avenir des jeunes filles. Et je me
pose des questions. J'interpelle les auteurs de toutes ces violences et je leur
demande pourquoi ? Pourquoi ce mépris pour la dignité humaine ?
Pourquoi détruire ce qu'il y a de meilleur en chacun de nous,
c'est-à-dire l'Homme ?
La plupart de vos personnages-clés sont des femmes ?
Oui, parce que plus on parle d'elles, plus on a la chance de changer sinon d'améliorer les conditions de vie des femmes en général et de la femme africaine en particulier. Je présente plusieurs générations de femmes unies dans une même communauté de destin. Ce sont des femmes abonnées au malheur, qui partagent les mêmes peines, les mêmes souffrances, mais qui malgré certains moments de faiblesse ont ce sursaut de survie qui leur permet de croire en demain.
Etes-vous l'avocate des femmes sans voix ?
La plupart du temps, les femmes souffrent en silence. Elles vivent dans le monde du non-dit ingurgitant leurs malheurs sans pouvoir en parler à quelqu'un. Puisque j'ai cette arme qu'est l'écriture, j'estime que ma mission est de mettre ma plume à leur service pour les sortir de l'ombre, et les amener à prendre conscience du fait que leur situation n'est pas une fatalité. Il faut qu'elles apprennent et arrivent à dire non face à certaines situations, qu'elles disent non à toutes ces camisoles de force que la société leur impose souvent au nom de coutumes et traditions aujourd'hui complètement désuètes.
Vous avez reçu au moins deux prix littéraires, n'est-ce pas ?
J'ai d'abord été primée pour le concours de nouvelles
organisé par la radio Africa no1 sur le thème "Afrique, trente
ans d'indépendance" Ma nouvelle, "Le déserteur", parle de la
fuite des cerveaux. Nous voyons bien qu'au "Km 30" de son histoire, le
continent africain roule toujours dans sa vieille traction avant poussive,
affaibli par tous ces maux qui la minent de l'intérieur. Et aujourd'hui
encore d'ailleurs, au "Km 40", nous ne sommes toujours pas sortis de
l'ornière ; nous assistons à ce flux massif d'immigrés
clandestins sur les côtes occidentales, une véritable
hémorragie humaine avec tous ces jeunes qui, au péril de leur
vie, tentent désespérément de gagner l'Occident qui,
malheureusement, ne veut pas d'eux. L'Afrique se doit de réagir pour
garder ses enfants !
Le deuxième prix est le prix Afrique en Créations qui, tous les
ans, récompensent les créations littéraires et culturelles
du continent. J'ai obtenu ce prix avec le Groupe 30.
Qu'est-ce que le Groupe 30 ?
C'est un groupe culturel panafricain que nous avons créé à Limoges en 1990. Nous étions 12 lauréats primés pour le concours de nouvelles organisé par Africa no1, 12 jeunes auteurs qui ont décidé de continuer ensemble l'aventure littéraire en publiant par exemple des ouvrages collectifs, en organisant des rencontres culturelles, en promouvant d'une manière générale, l'art et la culture africaine.
Vous êtes enseignante, journaliste, écrivaine et mère. N'est-ce pas un peu trop pour une femme ?
Ce n'est jamais trop, surtout lorsque ce que l'on fait, on le fait avec passion. J'avais choisi l'enseignement par vocation, j'ai exercé ce métier une quinzaine d'années. Parallèlement je me passionnais aussi pour l'écriture et le journalisme. Et être mère c'est le cadeau le plus merveilleux que Dieu m'ait fait. Il m'a donné trois adorables enfants qui me comblent de bonheur et je lui en rends grâce tous les jours.
Comment se passe la journée d'une écrivaine ? Ecrivez-vous tous les jours ?
Comme toutes les femmes, je m'occupe des tâches quotidiennes qui me sont dévolues. Puis j'écris quand les enfants sont à l'école ou la nuit quand tout est calme. J'écris tous les jours même lorsque je suis prise par le syndrome de la page blanche. En ce moment, je travaille effectivement sur un autre roman, dont j'espère pouvoir bientôt parler.
Que pensez-vous de l'éducation des jeunes filles aujourd'hui ?
L'éducation des jeunes filles doit nécessairement passer par l'instruction mais aussi par l'éducation des parents. Il faut que les parents soient convaincus de la nécessité d'envoyer leurs filles à l'école, il faut qu'ils leur laissent la chance de continuer leurs études aussi loin que l'exigerait leur cursus. Beaucoup de gens croient que le statut social de la femme ne se juge qu'à travers son foyer. Alors, on éduque les jeunes filles à être de bonnes mères de famille et ça s'arrête là. C'est cette mentalité rétrograde qu'il faut arriver à changer. Mais il faut aussi que les jeunes filles qui ont la chance d'aller à l'école comprennent que leur sort n'est plus qu'entre leurs mains. Elles doivent travailler à relever tous les défis pour se libérer du carcan social qui nuit à leur épanouissement.
Propos recueillis
par Dorothée Broohm
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