C'est après une maîtrise de civilisation américaine que Régine Mfoumou-Arthur découvre les écrits d'Equiano Olaudah : un esclave qui parvient à racheter sa liberté et s'engage dans la lutte pour l'abolition de l'esclavage. Depuis lors, Régine Mfoumou-Arthur se consacre à la promotion de son message. Elle a monté une pièce théâtrale sur la vie de ce dernier, qui a été présentée en avant-première à l'occasion de la journée commémorative de l'abolition de l'esclavage. AMINA a souhaité en savoir plus sur son combat. |
Comment avez-vous découvert l'histoire d'Equiano Olaudah ?
Je l'ai découverte tout à fait par hasard. Etant étudiante, j'ai dû gagner ma vie. Pour ce, j'étais traductrice aux éditions Dapper à Paris lorsqu'on m'a donné son œuvre afin que j'en traduise les vingt premières pages. Ça a été un véritable tournant dans ma vie. J'en ai même fait le sujet de ma thèse de doctorat.
Est-ce que l'histoire de l'esclavagisme fait partie de vos sujets d'études ?
Tout à fait. Il a fallu que je m'y intéresse pour mieux comprendre Equiano Olaudah. Avant de m'y consacrer, j'ai eu une maîtrise de civilisation américaine. Je m'y intéresse encore plus aujourd'hui, avec tout ce qui se passe en France et dans le monde.
Qu'est-ce qui a provoqué cet intérêt particulier pour cet homme ?
En fait, j'ai été surprise de voir que des Noirs écrivaient déjà au 18e siècle. Il y avait déjà eu des récits d'esclaves noirs américains. En ce qui concerne Equiano Olaudah, c'est un natif de l'Afrique qui raconte dans un récit différent sa traversée et son parcours une fois en Europe. Il a été très courageux, pour un Noir à cette époque. Il n'a pas eu peur de dénoncer l'esclavage haut et fort face aux européens. Et c'est ce qui m'a le plus interpellée.
Que pensez-vous des esclaves qui, comme lui, sont parvenus à obtenir leur liberté mais qui par la suite ont participé à cette traite des Noirs ?
Je dirais que l'esclavage, à cette époque, était un système, une nécessité financière. Equiano en parle dans son ouvrage car il en a fait partie. Avec son patron européen, il a mis en place une plantation sur une île. Il a lui même choisi les esclaves qui allait y travailler parmi ces propres compatriotes. Il a préféré qu'ils soient mieux traités avec lui que de les laisser entre les mains d'un contremaître blanc qui aurait pu les faire souffrir.
Que pensez-vous des films comme Racines ou La Amistad, qui ont retracé la vie de protagonistes ayant vécu l'esclavage ?
Ce ne sont que des fictions, même si la réalité s'y trouve. C'est une bonne chose car cela a attiré l'attention de l'Occident qui a toujours occulté la question. Cela permet de conserver en mémoire cette page de notre histoire.
Comment avez-vous réagi à la proclamation de la journée commémorative de l'esclavage ?
J'étais heureuse, mais je trouve vraiment dommage qu'on ait à se battre pour que ce genre de choses soient reconnues. Je trouve également dommage que la communauté noire soit divisée. Cela fait dix ans que je suis dans ce milieu et je me sens parfois seule dans ce combat. Il a fallut que j'aille en Angleterre, trouver une Américaine et ramener notre travail en France pour que les gens réagissent.
Qu'en pensez-vous ?
C'est déjà bien, mais il faut aller au-delà de ça. L'esclavage continue, d'une certaine façon, étant donné que les Noirs souffrent encore de par le monde. Il en sera toujours ainsi si l'on reste désunis.
Pensez-vous que les Noirs d'Afrique se sentent aussi concernés par l'esclavage que les communautés noires dans le reste du monde ?
Lors d'un récent voyage au Cameroun, j'ai été surprise de voir qu'il y avait un département consacré à la littérature négro-africaine. Malheureusement, je ne les ai pas sentis concernés par ce sujet. Le Cameroun n'a pas été, comme le Sénégal avec Gorée ou d'autres pays d'Afrique de l'ouest, touché de plein fouet par la traite des Noirs. On se dit alors que cela est l'affaire des autres. Mais pas du tout, il faut être africain avant tout. C'est ainsi que les européens nous perçoivent.
Parlez-nous du spectacle donné en avant-première à l'occasion de cette journée commémorative.
C'est un spectacle monté en collaboration avec Bonnie Greer, Américaine qui vit à Londres depuis une dizaine d'années. J'ai fait appel à elle pour ses qualités de dramaturge. On présente une partie de l'ouvrage sur la vie d'Equiano Olaudah en tant qu'homme libre et nous montrons pourquoi l'abolition de l'esclavage était importante pour lui.
Pourquoi avoir monté cette pièce de théâtre ?
C'est en 1997 que j'ai rencontré Bonnie Greer pour la première fois. Une fois qu'on s'est retrouvées, on a décidé d'adapter le texte au théâtre. C'était en décembre 2004. Quand la journée commémorative de l'esclavage à été proclamée, on s'est dit que ce serait bien de la sortir en avant-première.
Quel message voulez-vous faire passer à travers votre spectacle ?
C'est un constat malheureux, mais les Africains n'aiment pas beaucoup lire. Je voudrais les amener, à travers ce spectacle, à s'intéresser à notre culture qui est tellement riche. Il faut qu'on arrête d'apprendre notre histoire à travers les textes européens. Nous devons nous y mettre et ne plus attendre que les autres le fassent à notre place. Nous possédons tellement de choses dont nous avons à être fiers.
Est-ce que des personnalités vont participer à cette initiative ?
J'ai eu beaucoup de réponses, à ma grande surprise. La princesse Esther Kamathari, Denise Epoté Durand, Marie-Roger Biloa, Elizabeth Tchoungui et beaucoup d'autres m'ont assurée de leur présence. Tous les médias afro-antillais ont répondu de façon positive à notre invitation.
Quels sont vos projets ?
Je suis en train de terminer un roman. Je travaille souvent avec des universités. Je suis invitée à donner une conférence en anglais à Berlin au mois de juillet. Elle aura pour sujet :" What color is black?" Il s'agira de s'entretenir sur le concept de négritude et d'africanité.
Quel est votre mot de la fin ?
J'appelle les africains à trouver la force et la dignité de s'affirmer de continuer le combat. Qu'on s'affirme à travers notre regard. Nous devons arrêter d'accepter ce que les autres nous ont imposé depuis si longtemps. Quand je vais à Châteaurouge, je suis révoltée de voir de belles femmes noires qui se blanchissent la peau. Qu'on essaie de trouver ce qu'il y a de beau nous. Je voudrais préciser au passage que mon nom Arthur, qui est celui de mon mari et de mes enfants, est un nom ghanéen. Contrairement à ce que pense beaucoup, mon mari est ghanéen et non européen. J'ai fini par porter son nom car j'étais lassée du scepticisme des autorités lorsque je me déplaçais avec mes enfants.
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Propos recueillis
par Auzouhat Gnaoré