Léonora Miano vient d'être honorée d'un prix qui convient bien à son deuxième ouvrage "Contours du jour qui vient", édité chez Plon. En effet, le Goncourt des lycéens 2006 résonne directement avec la dédicace de l'ouvrage "A notre génération" et avec les préoccupations de l'auteur, une femme de lettres et d'idées talentueuse et courageuse. Léonora a une formidable envie de transmettre la force, l'envie de vivre, l'espoir, et c'est ce qui ressort de son œuvre naissante et déjà marquante. Une langue précise et poétique et une narration qui n'a pas peur des voyages dans le temps, la mettent en deux romans à la hauteur des grands écrivains de ce siècle troublé. L'écriture d'une conscience féminine et universelle, qui de son expérience africaine et européenne (Léonora Miano, née au Cameroun, vit en France), a su faire jaillir une réelle compréhension des faiblesses et des forces de l'humain. |
Vous avez reçu pour ce livre le prix Goncourt des lycéens, et votre livre est dédié à cette génération ....
Ce qui m'a le plus touchée, c'est qu'ils ont voté pour l'universalité du texte, pas pour son africanité. Et c'est bien que des jeunes lecteurs se rendent compte que chaque fois qu'on leur parle d'autres êtres humains, on leur parle aussi d'eux.
Vous parlez surtout du courage d'une petite fille...
Du courage d'un individu qui vit dans une société un peu difficile et qui décide quand même de se construire et d'avoir une pensée, et cela c'est complètement universel. L'habillage culturel est africain, les questions de société qui sont présentées là sont africaines mais pas toutes, on les trouve ailleurs, mais c'est surtout un roman sur l'individuation, sur comment on devient une personne, sur la manière dont on écoute sa voix intérieure qui vous dit qu'effectivement ce n'est pas parce que l'on est pauvre ou seul que l'on est rien, parce que la valeur d'une vie humaine c'est autre chose.
La petite fille est pauvre, seule, torturée par sa mère. On a décidé que c'était une sorcière et qu'il fallait l'exterminer. Il ne lui arrive que des horreurs, mais elle réussit à survivre, et ce qui est formidable, elle continue à aimer sa mère, à la chercher...
En réalité le roman est très métaphorique, même s'il part d'une question de société qui est très connue notamment au Congo : la situation des enfants dits sorciers, et donc chassés de chez eux par leur propre famille - souvent des familles démunies qui trouvent ce prétexte-là. En réalité, pour moi ce n'est pas l'histoire d'une petite fille; d'ailleurs on s'aperçoit que le roman n'est pas écrit à hauteur d'enfant. Elle ne parle pas comme une enfant, parce que c'est un personnage que j'ai investi de l'expérience d'une génération entière d'enfants trop tôt écartés de l'enfance et devant se construire sur une terre qui leur est devenue trop dure. Ce parcours d'acceptation et de pardon qu'elle fait vers sa mère, c'est une manière de dire que cette maman Afrique, puisque en fait la mère incarne une société africaine tellement dévalorisée à ses propres yeux qu'elle ne peut pas aimer ses enfants, donc cette Afrique qui nous a parfois déçus, qui n'a pas toujours su assumer son indépendance, cette Afrique-là restera néanmoins la seule et unique mère. Donc on ne va pas lui cracher dessus, on va essayer de réparer ses erreurs, et de la veiller quand même. Si elle n'a pas pu donner d'exemple, peut-être que le contre-exemple qu'elle a donné a finalement la même valeur. Elle a quand même appris quelque chose au travers de ses erreurs.
Un des moments magnifiques du livre, c'est lorsqu'elle tombe dans la boue, s'évanouit, et rêve d'elle-même très vieille, marginale...
C'est la voix du dedans, la personne qu'elle est à l'intérieur. Certainement marginale, mais beaucoup d'autres choses aussi, avec une forte capacité de résistance, [...] d'abandonner le ressentiment, toutes les choses qui pèsent et qui font que l'on arrive pas à avancer dans la vie. C'est pour cela que ce passage s'appelle Résilience, la résistance aux chocs, c'est souffrir en se disant que l'on peut quand même renaître de ses cendres. C'est un parcours initiatique, cette petite fille dépasse la haine... La haine est un enfermement. Bien souvent, quand on pense à tout ce que l'on a souffert, on n'est jamais assez vengé. Il n'y a jamais vraiment de vengeance. Il faut abandonner cette idée. La seule vraie revanche, c'est d'essayer de se construire quand même, de vivre néanmoins.
Vous poursuivez dans ce livre un travail sur les fausses religions ?
Un syncrétisme existe en Afrique centrale depuis le XVIe siècle, et c'est maintenant qu'il est utilisé à des fins extrêmement mercantiles. Ce qui m'intéressait, c'était de voir comment, puisque l'on reproche beaucoup aux missionnaires occidentaux d'avoir utilisé la religion à des fins d'assujettissement - c'est de voir comment aujourd'hui ce sont des Africains qui le font envers d'autres Africains, pour exploiter leur misère, leur égarement intime.
Ce que je crois c'est que le monde que l'on bâtit autour de soi ressemble beaucoup à ce en quoi on croit. Si on n'a que des croyances ténébreuses, si on donne ce pouvoir-là au mal, effectivement on aura beaucoup de mal à se projeter dans l'avenir. Ce sont mes angoisses qui sont dans mes livres.
Entretien et photo
par Laure Malécot