Léonora Miano est née en 1973 à Douala au Cameroun et vit à Paris. Elle a étudié les Lettres anglo-américaines d'abord à Valenciennes puis à Nanterre. Ce n'est qu'à trente ans qu'elle songe à se faire publier. Son premier roman, "L'intérieur de la nuit" (Éditions Plon, 2005 et Pocket, 2006), a connu un succès remarqué et reçu plusieurs prix littéraires. Il a été classé "Meilleur premier roman français pour l'année 2005" par le magazine Lire et il a été traduit en six langues. Son second roman, "Contours du jour qui vient" (Plon 2006), a reçu le prix Goncourt des Lycéens 2006. L'auteur revient en 2008 avec "Tels des astres éteints" où elle décrit le blues de l'immigration, les identités frontalières si dures à construire et si multiples dans leur perpétuelle quête. Rencontre. |
Pourquoi ce titre « Tels des astres éteints » ?
Parce que les trois personnages du roman sont des soleils noirs qui ne se lèvent jamais. Ils macèrent dans leur souffrance et passent ainsi à côté de leur vie.
Comment vous est venue l'inspiration ?
Elle m'est venue quand j'ai rencontré à Paris un groupe de jeunes Noirs radicaux. J'ai assisté à plusieurs de leurs réunions et manifestations. Je n'arrivais pas à savoir ce qui avait provoqué la naissance d'un tel groupe dans ce pays qui ne reconnaît pas les communautés. Je me suis interrogée sur la vision qu'on peut avoir de soi-même en tant que Noir, quand on vit en France. Par ailleurs, en lisant le courrier des lecteurs, mes lecteurs noirs vivant en France déploraient de ne pas trouver de visages qui leur ressemblent dans la littérature produite en France. J'ai pu écrire ce roman en partant de ces petits soucis.
Chaque chapitre commence par un titre de jazz, pourquoi ?
Je travaille toujours en musique, le jazz m'aide à structurer mes
romans. Si j'ai souhaité un titre de jazz pour chaque chapitre, c'est
pour que le lecteur connaisse l'étendue des cultures qui me composent.
Dans ce roman, je raconte l'histoire de trois jeunes gens trentenaires vivant
dans un pays lambda : deux d'entre eux sont africains et le troisième
est antillais. Ils sont tous les trois noirs de la même
génération et ont une idée assez précise de leur
place dans le monde en tant que Noirs. Chacun a la sienne, chacun vit
l'histoire de son peuple à sa manière ou celle de sa famille. Ce
que j'ai souhaité montrer est un échantillon qui me semble
représentatif. Leur problème n'est pas leur identité, mais
la représentation que l'on a du Noir dans l'histoire. L'idée de ce roman était
de montrer ce que ressent un cœur de Noir qui pense à l'histoire de
son peuple, Pour moi c'était une écriture nécessaire en ce
moment.
Le monde kemite bouscule et reconstitue l'intégrité de l'existence des gens pour ce pays ?
Le terme kemite n'appartient pas au radicalisme. Il est cher aux personnes attachées à l'idée d'une filiation des peuples noirs avec l'Égypte ancienne. Ce n'est pas non plus un terme qui appartient au nationalisme noir. À Paris, on l'a découvert par ce biais-là. Il y a quelques années existait le Parti Kemite, qui ensuite est devenu la Tri Buka, et maintenant la GKS fondée par Kémit Sebat. Kemite signifie noir dans l'Égypte antique. Beaucoup de gens peuvent se dire Kemite sans être des nationalistes noirs. On retrouve ce terme chez des musiciens de jazz comme Steve Colman qui a étudié l'astrologie kémitique. Ces choses sont très connues aux États Unis et on les découvre en France grâce aux travaux de Cheikh Anta Diop. Ce mouvement apparaît dans le roman, parce qu'on en parle beaucoup dans nos communautés. Lors des réunions des partis kemites, j'ai constaté que les gens présents étaient nés en France et qu'ils rejetaient en eux tout ce qu'ils avaient d'occidental. Ils revendiquaient l'Afrique comme unique appartenance. Cela montre que la France n'a pas su légitimer ses enfants, leur faire une place, et ses enfants se dressent.
Le roman a comme thème central la conscience de la couleur ?
Ce sujet me passionne. Le problème des populations africaines subsahariennes et de descendance afro n'est plus ce qu'ils ont subi à cause de la couleur ; c'est surtout qu'ils ont été infériorisés pour leur couleur. Ça les a amenés eux-mêmes à voir la couleur de leur peau avec le regard des autres. Aujourd'hui nous sommes prisonniers de ce regard, nous ne nous regardons qu'avec les yeux de ceux qui nous ont infériorisés. En portant ce regard négatif sur nous-mêmes, nous ne pouvons pas transcender les aspects douloureux de notre histoire. Avec une telle vision de soi-même dégradée, comment produire quelque chose de beau ? On ne croit pas que l'on est capable de le faire. Il faut sortir de ça, ne pas oublier l'histoire car elle est importante; elle aussi a quelque chose à dire à l'humanité. Il faut la restituer dans la globalité de l'histoire humaine, et faire prendre conscience à l'autre que ce n'est pas seulement l'histoire des Noirs. L'humanité entière a été dégradée.
Dans ce roman, votre regard est à l'extérieur de l'Afrique ?
Je veux la regarder sous tous les angles et je pense que je n'en aurai jamais fini. Ce qui m'intéresse, c'est de travailler sur le monde noir, pas seulement sur l'Afrique. Je suis avec une partie de notre diaspora, ici en Europe. Et je ne m'interdis pas de travailler sur des populations afro-descendantes, qui vivent au Pérou ou en Colombie. A travers les textes de James Baldwin, d'Aimé Césaire, j'ai éprouvé une grande curiosité depuis l'adolescence pour ces populations et pour l'histoire qui les a engendrées. L'histoire de la traite négrière, tout ce que ces gens ont vécu... Dans tous les endroits où ils sont allés, ils ont créé des cultures, et ont rebâti leur vie, et ils ont réinventé là où ils devaient mourir. J'ai une attirance pour ces populations, je suis à l'affût de toutes sortes d'informations. Je rêve de rétablir le dialogue entre l'Afrique et sa diaspora, ce qui ne sera pas facile.
L'identité, les guerres, l'errance et l'Afrique, sont des thèmes importants dans vos écrits, et on vous donne cette étiquette d'auteur ?
Très difficile à éviter, car ça rassure. Les gens qui vous collent une étiquette ont le sentiment de vous avoir cernée et comprise. Je les laisse faire à partir du moment où ça n'influence pas mon travail et que ça ne me pose aucun problème. Je ne pense pas être un auteur identitaire. Je ne sais pas ce que c'est exactement: je ne me pose pas ce genre de question, on dit que je suis un auteur féministe, un auteur engagé, à mon sens je suis surtout un auteur qui travaille sur des questions qui m'intéressent et que je souhaite partager avec les autres.
Dans vos romans et au-delà des histoires imaginaires ou des fictions, qu'est-ce qui est le plus important pour vous ?
Ce que je souhaite faire, il va falloir une œuvre entière pour y arriver. On ne peut pas convaincre les gens au bout de trois romans seulement. J'ai choisi de travailler principalement mes personnages de l'intérieur, de décrire très peu les corps même si je peux donner quelques détails, quelques indices, mais je ne les écris pas intégralement, pour laisser une plus grande place à leur intériorité, leurs émotions, leurs idées, leur perception des choses. Je pense que ces aspects de l'humain sont universels. Et j'aimerais qu'on lise des textes où les personnages sont africains, ou vivent dans un décor africain, mais en se disant que ces personnages sont une représentation de l'humanité; qu'il ne s'agit pas uniquement d'Afrique, des Noirs; que ce qui est écrit est propre à l'humanité. Pour l'instant je n'y suis pas encore arrivée, puisqu'on me dit que je fais de la littérature africaine et pas de littérature. La plupart des gens qui me lisent pensent que ce que je décris est propre à l'Afrique ou bien au monde noir. Et moi je prétends que ça n'existe pas car je parle de toute l'humanité.
Vous dites « Je suis une hybride, culturelle totalement transversale » qu'entendez-vous par là ?
Je suis une hybride, ça veut dire que ma culture est composite parce que je suis née en Afrique dans une famille où l'on ne parlait que le français. Je suis une Africaine très occidentalisée depuis toujours. Je n'appartiens à aucun espace. Et je suis transversale, dans la mesure où je refuse de choisir entre ma part africaine et ma part occidentale. L'une valorise l'autre.
Pour conclure, quels sont vos projets ?
Mes projets les plus immédiats sont pour le printemps : un recueil de nouvelles auquel je tiens beaucoup, qui paraîtra dans une collection para-scolaire car je veux garder un lien avec les jeunes lecteurs et proposer aux enseignants de France un support sur lequel travailler. En 2009, un recueil de nouvelles plus large qui sera une espèce de coda à porter à ce roman.
Propos recueillis
par Wandat Nicot