En octobre 2005, une crise politique majeure éclate au sein du conseil municipal d'Auxerre entre le maire, M. Guy Ferez et son adjointe, jetant Mme Safia Otokoré sur le devant de la scène médiatico-politique. Plusieurs personnalités telles qu'Anne Hidalgo, première adjointe au Maire de Paris, Annick Lepetit, député de Paris, Michèle Sabban, vice-présidente de la Région Ile-de France et Nathalie Kauffman se se déplacent alors pour soutenir leur amie injustement traitée. Cinq mois après cette affaire, nous avons rencontré Mme Safia Otokoré lors du Conseil national du PS qui s'est déroulé le 11 mars dernier à l'Assemblée Nationale, pour les lectrices et lecteurs d'AMINA. |
Présentez-vous à nos lectrices et lecteurs...
Je m'appelle Safia Otokoré, je suis née en Afrique dans une ancienne colonie de territoires français des Afars et des Issas, connue aujourd'hui sous le nom de "République de Djibouti". Je suis arrivée en France en 1993, pour rejoindre mon mari, le père de mes enfants.
C'est donc l'amour qui vous a amenée en France ?
Eh bien oui ! Il faut dire qu'auparavant, j'habitais en Côte d'Ivoire où j'étais étudiante djiboutienne avec une bourse canadienne pour des études à l'université d'Abidjan. Et Didier Otokoré, à l'époque joueur professionnel à l'AJ Auxerre et originaire de la Côte d'Ivoire, était en vacances à Abidjan. L'équipe nationale des Eléphants de Côte d'Ivoire venait de remporter la Coupe d'Afrique des Nations et comme on le disait à l'époque était "passée des Eléphanteaux aux Eléphants". C'était une grande ferveur populaire. Il fallait y être pour voir ce qui s'est passé. Trois jours de "folie" de manifestation de la victoire et notre rencontre s'est faite dans un night-club chic d'Abidjan, "Le Bastring". A ma mère, évidemment, qui m'a posé la question de ce que c'était j'ai répondu que c'était un lieu de culte et vous comprenez pourquoi... Didier est revenu après en France, mais n'a pas cessé de faire plusieurs allers et venues entre Abidjan et Auxerre. Notre relation avait donc mûri et pour éviter tous ces va-et-vient, je l'ai rejoint en 1993 et nous nous sommes mariés peu après.
Vous débarquez donc à Auxerre. Racontez nous...
Je débarque à Auxerre dans un esprit de grand amour et par conséquent, je tombe aussi amoureuse du territoire et des gens qui y habitent. L'adaptation est facile parce que Didier y est très connu. Les gens m'ont vite adoptée parce qu'ils découvraient la femme que Didier aimait. J'ai de ce fait été vraiment bien accueillie.
Vous devenez automatiquement femme au foyer ou vous cherchez plutôt à travailler ?
C'était l'époque où Didier avait plusieurs contrats donc il tournait beaucoup. Après le temps d'adaptation et comme il était tout le temps parti et que je n'avais rien de particulier à faire j'ai trouvé naturel de continuer mes études car comme je le dis toujours : "L'instruction est la richesse du pauvre". Et de toutes les façons, il me fallait me faire moi-même. L'argent de mon mari lui appartenait avant tout. Je me suis donc inscrite à l'université de Besançon.
A quel moment rentrez-vous à la mairie ?
Bien longtemps après. Mon mari étant encore sous contrat, je ne pouvais pas faire de politique. J'avais une obligation de réserve. Je ne pouvais pas prendre ma carte du parti socialiste alors que depuis 1990, j'étais affiliée à "l'Internationale Socialiste". Pour rappel, j'ai découvert le socialisme étant étudiante à Dakar. C'était l'époque où M. Abdou Diouf, socialiste, était Président de la République du Sénégal. Le socialisme dont le combat est dirigé contre l'injustice, l'injustice sociale, et qui se battait pour la liberté et des valeurs qui n'étaient pas liées à des personnes s'accordait bien avec mes idées.
Ce n'est donc pas en France que vous découvrez la politique ?
Mais pas du tout. D'abord grande fan de Bob Marley à travers sa musique et ses idées "Get up for your rights" , je partageais déjà les idées qu'il défendait. Cet effet d'expression, la liberté d'être un être humain à part entière. J'ai donc toujours été de gauche, mais à Auxerre à cause du statut de mon mari, je ne pouvais pas m'engager politiquement et ne pouvais pas voter non plus parce que je n'avais pas la nationalité française. Pour pallier tout ça, je me suis lancée dans la vie associative en créant avec des amies dont la présidente ici présente l'AMKA. Son but : la collecte de médicaments et de matériel de santé pour des centres de santé en Afrique. L'association existe bel et bien encore aujourd'hui, et nous avons posé des actions en direction de la ville de San Pedro en Côte d'Ivoire, de Cotonou au Bénin et dans deux centres de santé au Cameroun.
Pour en revenir à ma question, à quel moment rentrez-vous à la mairie ?
En 2000. Après plusieurs voyages dans monde à suivre mon mari, de retour de Dubai, je suis venue m'installer définitivement à Auxerre en 1999. A l'époque, j'organisais des dîners à la maison, des occasions de rencontres. J'étais restée proche des gens. Et comme dorénavant mon mari n'était plus rattaché par contrat avec la ville, je pouvais désormais m'engager en politique. C'est ce que j'ai fait en allant m'affilier Parti Socialiste. La loi sur la parité tombait à pic puisque, désormais, elle exigeait qu'on prenne en compte sur une liste électorale un certain nombre de femmes. Je me suis donc inscrite sur la liste socialiste pour les élections municipales et nous avons remporté la victoire. J'ai eu à cet effet à occuper des responsabilités au sein du conseil municipal, et suis devenue maire-adjointe. Le problème qui a éclaté au grand jour en octobre n'est que la conséquence visible d'un feu qui couvait depuis longtemps. Pire, c'était un problème de personne plus qu'autre chose. Le problème n'était lié ni au parti, ni à la municipalité, car il faut savoir qu'être responsable d'un parti est une chose à part, et gérer une municipalité en est une autre. Et comme c'est le maire qui voulait à tout prix me créer des problèmes, j'ai préféré que cela éclate au grand jour, au lieu d'afficher une entente de façade.
Aujourd'hui, les femmes prennent de plus en plus les premières places en politique qu'en pensez vous ?
Ce n'est que justice. L'espace politique est censé représenter l'ensemble des habitants, qu'on soit femme ou homme. Ce sont des institutions pour tout le monde mais le constat qui peut être fait aujourd'hui, c'est qu'elles ne sont faites que pour le hommes. Il y a une évolution de la société et les choses commencent à changer. La population se rend compte que c'est elle qui élit ses représentants, et qu'une partie de la population qui devait participer à l'animation de la vie politique est discriminée, et que pour avoir désormais leurs voix, il faut tenir compte de la présence féminine. C'est donc une situation naturelle.
Vous qui êtes africaine, l'élection de Mme Searlaf Elisabeth Jonhson a-t-elle pour vous une signification particulière ?
Et comment ? Cela me dit que cette élection est révélatrice de quelque chose d'assez profond. Et que si ce continent n'a pas encore complètement coulé, c'est grâce aux femmes qui, pour la plupart, sont discriminées par un non accès à l'éducation, aux richesses naturelles du continent, mais qui, par contre, subissent les guerres, les famines et des tas de fléaux. Aujourd'hui, le sida, qui tue quand même une partie importante de la population, touche en majorité et avant tout les femmes. Si, pour une fois, il y a un pays d'Afrique qui va être dirigé par une femme, je dis tant mieux. Et que ce soit elle ou Weah, cela témoignait de la qualité des candidats.
En tant qu'Africaine, suscitez-vous des débats au sein du Parti Socialiste sur l'Afrique ?
Bien sur. Pour exemple, mon intervention du 11 mars 2006 au cours du conseil national de mon parti qui vient juste de se terminer. Cette intervention a porté sur "le rôle que peut jouer le Parti Socialiste dans la nouvelle donne en Afrique". J'ai à cet effet instruit mes collègues sur ce sujet. Le continent africain est confronté à deux choses : d'abord c'est un continent qui a une jeunesse qui n'a plus rien à perdre et tout à gagner, une jeunesse qui occupe le terrain en utilisant Internet, et qui de surcroît n'a pas confiance dans ses dirigeants alors que ceux-ci sont en majorité issus de partis de gauche et donc progressistes. Ces partis sont malheureusement isolés, refermés sur eux-mêmes alors qu'il faudrait aujourd'hui qu'ils résolvent leurs problèmes à l'échelle du continent. Deuxièmement, c'est un continent riche où on trouve une minorité de plus en plus riche et protégée, face à une majorité de plus en plus pauvre et exposée. Face à cela, en tant que socialiste, je pense que les partis progressistes africains de gauche doivent, à l'instar de l'Union Africaine, entamer un regroupement régional. Ces partis doivent se réunir sans que chacun y perde sa spécificité, une union dans laquelle chacun garde son authenticité pour des combats transnationaux comme c'est le cas du "Parti Socialiste Européen" par exemple. Et dans cette intervention, j'ai mis l'accent sur le rôle que nous, Parti Socialiste en France, devons jouer pour stimuler la mise en place progressive d'un socialisme africain. Nous avons le devoir de répondre à ces questions et à ces attentes pour que la jeunesse ne se sente pas abandonnée. Le Parti Socialiste Français et les partis de gauche doivent prendre part à cet élan.
Quel est votre poste au sein du Parti Socialiste et pensez-vous que votre intervention sera prise en compte ?
Je suis secrétaire nationale adjointe au sport, mais cela n'empêche pas d'intervenir sur d'autres sujets bien donnés. En ce qui concerne la prise en compte de mon intervention, je dirais que oui, elle le sera parce qu'on se rend tous compte aujourd'hui qu'il faut changer notre regard envers notre partenaire africain, changer notre attitude paternaliste et néocolonialiste.
Quand des femmes se déplacent de Paris pour vous soutenir, que ressentez-vous ?
C'est d'abord avant tout des amies qui se déplacent. Ce sont des femmes qui étaient au courant de la situation que je vivais depuis deux ans. Et comme nous avons été toujours proches et avons toujours combattu ce genre de choses, on a voulu donner un signal pour dire que nous ne pouvions l'accepter. Et le parti non plus ne l'a pas accepté puisqu'il a pris parti pour sa jeune génération. C'est pour dire que la société a changé et qu'il faudra désormais s'adapter. Et là-dessus, c'est une bonne chose.
Quelles sont vos influences féminines ?
Je n'en ai pas vraiment. Cependant, j'aime beaucoup Myriam Makeba, et pour les hommes Bob Marley et le Docteur Kwamé N'krumah, ce côté parafricaniste qui veut que l'Afrique se prenne en charge.
Vous êtes donc une vraie africaine ?
Absolument!
Propos recueillis
par Morane B.