Née à Pointe-Noire au Congo-Brazzaville, Ghislaine Nelly Huguette Sathoud vit au Canada depuis plus de dix ans. Elle est titulaire d'une maîtrise en relations internationales obtenue en France et d'une maîtrise en science politique obtenue au Canada. Elle est par ailleurs titulaire d'une attestation de formatrice en violences familiales et conjugales. Elle a publié en 2006, aux éditions L'Harmattan, Les femmes d'Afrique centrale au Québec. AMINA l'a rencontrée. |
Pourrait-on savoir approximativement le nombre de femmes africaines vivant au Québec ?
Il est difficile pour moi de me prononcer là-dessus, faute de statistiques. Toutefois, en 1991, la population provenant de l'Afrique constituait 8 % de l'ensemble de la population immigrée. L'immigration africaine est relativement récente. Mais elle évolue au fil des années.
Quel est le profil de la femme africaine qui immigre au Québec ?
Il varie selon la situation familiale et le niveau intellectuel. Je veux parler du drame des femmes qui, malgré les diplômes universitaires et l'expérience professionnelle, sont obligées de recommencer à tous les niveaux, avec la frustration de recommencer sa vie dans un environnement complètement différent.
Quelles sont les différentes formes d'immigration au Québec ?
La femme africaine immigre pour trois raisons essentielles : les études, le regroupement familial, les guerres. Pour le regroupement familial, il s'agit de parrainage, une pratique contraire aux droits des femmes. Pour le troisième cas, l'instabilité politique de plus en plus inquiétante est à l'origine de plusieurs déplacements des populations.
Pourquoi avoir consacré un essai aux femmes africaines immigrantes au Québec ?
J'éprouve un grand intérêt pour la condition de la femme.
Je voulais, dans le cadre de ma formation, lier mon intérêt pour
la condition de la femme à l'utilité d'obtenir mon diplôme.
Je voulais également apporter ma modeste contribution à
l'épanouissement et à l'amélioration de la condition des
femmes africaines. C'est pourquoi j'ai choisi ce sujet. J'étais heureuse
quand le comité qui examine les sujets de recherche a accepté ma
proposition... J'ai donc mené cette recherche dans le cadre de
l'obtention de mon diplôme. Au Canada, il s'agit d'une maîtrise, ce
qui est l'équivalent d'un doctorat de troisième cycle en Europe.
D'ailleurs, après la maîtrise ici, c'est le PHD (doctorat). Les
diplômes constituent un autre problème qui s'ajoute à ceux
que connaissent déjà les immigrants. Pour se donner plus de
chances de trouver un emploi, il faut des diplômes canadiens. Il en est
de même pour l'expérience professionnelle. On parle
d'expérience canadienne...
Quels sont les problèmes d'intégration que rencontrent ces
femmes ?
La femme immigrante hérite de la discrimination envers les femmes, et en
tant qu'immigrante, elle subit encore plus d'avatars.
Arrivent-elles à allier coutumes africaines et mœurs du pays
d'accueil ?
Il y a bien sûr des différences notables: les rapports homme/femme
au sein du couple, l'éducation des enfants, les rôles et fonctions
au sein de la famille, etc. Elles sont confrontées au fosse, souvent
important, des valeurs et du mode de vie. Le problème de
l'intégration professionnelle est réel. J'espère que cela
changera un jour. Au niveau de la condition des femmes, c'est tout autre chose.
Chaque société a ses valeurs. Il n'est pas question de prendre
"tout" dans la société d'accueil.
Pourquoi, selon vous, de nombreux couples africains qui ont vécu
harmonieusement en Afrique se disloquent en Occident ? En avez- vous
rencontrés lors de votre enquête ?
Les raisons sont nombreuses et différentes. Ce n'est pas la mêmechose pour tous les couples. Je pense que les nouveaux changements dans la vie
du couple, l'adaptation au nouvel environnement peuvent causer des secousses.
J'ai rencontré des femmes qui parlaient de ces problèmes. Mais je
ne sais pas si ces couples vivaient "harmonieusement" en Afrique. Je pense que
si l'harmonie existe, rien ne change avec le lieu de résidence.
Vous parlez de chantage et de violence de certains maris africains, une fois
arrivés au Québec avec leur femme...
La perception de la violence n'est pas pareille pour tout le monde. Que
faut-il faire au juste lorsque le mari bat son épouse et qu'elle est en
danger ? Faut- il appeler le 911 ou accepter d'exposer sa vie sans savoir ce
qui peut advenir? En Afrique on peut bénéficier de la protection
de l'entourage. Ici, il n'y a personne mais il y a l'intervention de la loi qui
peut au moins sauver la vie.
Les lois au Québec avantagent les femmes. Rumeurs ou
réalité ?
Je l'ai déjà entendu dire. Personnellement, je ne vois pas les
choses ainsi. Une femme battue qui ne bénéficie pas d'une
protection pour éviter le drame est dans une situation qui demande de
l'assistance. Ce n'est pas un avantage en tant que tel. En Afrique aussi la
famille de la femme n'apprécie pas qu'elle soit rouée de coups
tous les jours, n'est-ce pas ?
Les femmes d'Afrique centrale ont-elles des problèmes
spécifiques au Québec ?
Les problèmes des femmes sont semblables.
Le mauvais comportement de certains hommes vis-à-vis de leur
conjointe est-il dû à ce nouvel environnement ?
Les difficultés au niveau de l'intégration dans la
société d'accueil ont une influence sur les individus. Mais on
peut se demander si le meilleur moyen de passer à travers ces
difficultés est de s'en prendre à sa partenaire. Il faut se
serrer les coudes plutôt que de se détruire. L'immigration est
loin d'être une fatalité. Je n'ai jamais dit que tout couple
africain qui immigre au Québec est voué à l'échec.
Ce serait dommage. Il y a beaucoup de couples qui ont réussi leur
intégration. Au-delà de tout, c'est un hommage aux femmes.
Que diriez-vous aux femmes africaines qui voudraient immigrer au
Québec ?
Il faut prendre le temps de s'informer sur la vie ici pour éviter les
surprises. Il faut se méfier des publicités qui sont loin
d'être la réalité. Il faut se préparer moralement.
Être femme africaine, immigrante et noire au Québec est une
situation qui demande des nerfs d'acier pour surmonter les nombreuses
épreuves. Et enfin, un autre élément important, les femmes
noires, dites "minorités visibles", subissent encore plus de
discrimination. Je suis consciente que certaines femmes n'ont pas le temps de
s'informer: celles qui partent à cause des guerres, par exemple,
n'aspirent qu'à se mettre à l'abri du danger. Ce qui est tout
à fait raisonnable.
Quelles sont les précautions à prendre pour faire un choix
éclairé et sans regrets ?
Les précautions à prendre ? Je pense qu'il faut simplement se
préparer psychologiquement à recommencer sa vie.
Propos recueillis
Contact: [email protected]
Elles arrivent avec beaucoup d'espoir et sont loin d'imaginer ce qui les attend
réellement. Elles se retrouvent déboussolées face à
la société d'accueil. C'est la manière
d'appréhender cette situation qui, bien souvent, va faire la
différence entre une vie nouvelle parfaitement intégrée et
épanouissante et la mélancolie, qui finit par anéantir
tous leurs rêves.
par Jacques Bilé
Jacques Bilé. "Ghislaine Nelly Huguette Sathoud, écrivain: 'La condition des femmes immigrantes au Québec m'intéresse'" Amina 456 (Avril 2008), pp.XL.
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The University of Western Australia/French
Created: 3 May 2008
Archived: 12 October 2016
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