Enfin, un enfant du célèbre Ahmadou Hampâté Bâ vient de publier un livre. Inna Hampâté Bâ, épouse Gbato, a écrit des poèmes, suite au décès de son fils, victime des déchets toxiques versés dans certains quartiers d'Abidjan. "Malgré ses 18 ans, c'était une âme généreuse, le frère affable, l'ami fraternel, une douceur pour ceux qui l'ont connu. Je n'ai vu aucune ombre dans son parcours rapide. Il est ma joie éternelle. Qu'il repose en paix.", dit sa mère, Inna Hampaté Bâ, qui est institutrice et mère de cinq enfants. "Quand la douleur se fait mots" le titre de son livre, a été publié chez CEDA-NEI. |
Qu'est-ce que ça fait de porter un nom célèbre ? Quel souvenir gardez-vous de votre père ?
En toute chose, il y a un côté nocturne et un côté
diurne. Le port de ce nom est aisé dans la mesure où je n'entends
que des commentaires favorables. On rattache au nom Hampâté Bâ la sagesse, la
foi, la tolérance, l'érudition, le rapprochement des cultures ...
Difficile parce que j'ai peur de décevoir les personnes qui l'on
aimé et admiré, et qui espèrent retrouver en chacun des
enfants les qualités du père.
Je garde de mon père le souvenir d'un homme chaleureux et toujours
souriant, qui s'efforçait de vivre selon les conseils qu'il prodiguait
aux autres.
Comment expliquez-vous l'absence d'enfants Hampaté Bâ dans les lettres, la littérature ?
Je pense que cette absence est liée à des choix personnels. Il était plutôt papa-conseil que papa force. Il nous a recommandé une vie pieuse et sobre, c'était sa façon d'être : toujours donner l'exemple.
Avec ce livre, vous ressuscitez votre père ? Pourquoi le choix de la poésie pour commencer ?
La résurrection est une image un peu forte, je pense. Pour moi il n'est
jamais parti. Je le sens continuer à travers ses œuvres, et avec
tous les hommes de science et de culture qui partagent sa foi en l'Afrique et
qui n'ont jamais cessé de travailler.
Plus qu'un choix, la poésie s'est imposée à moi. C'est une
forme d'expression que je sens et qui me permet de ressortir mes états
profonds. Et puis, en plusieurs occasions, j'ai entendu mon père dire des
vers en Peul.
Dans quelles circonstances est décédé votre fils ?
C'est une séparation que j'ai beaucoup de peine à évoquer, tant elle a été brusque et inattendue. Nous habitons une zone où l'inhalation des déchets toxiques a été forte. Notre enfant est rentré de colonie de vacances le 1er septembre 2006, et cinq jours après son arrivée, il nous a signalé des maux de tête et des courbatures. Nous l'avons conduit dans une clinique au Plateau, où les médecins ont diagnostiqué une grippe et prescrit des médicaments car son état n'en nécessitait pas plus. A notre grande surprise, le 9 septembre, alors que son état semblait s'améliorer, il a été pris de convulsions, perdant connaissance et rejetant par la bouche et le nez comme une mousse sanglante. Le SAMU arrivé rapidement est intervenu mais en vain. Comme ça, il nous avait échappé. Que Dieu agrée son âme.
Vous écrivez que l'écriture est "un remède de vie". Le fait d'écrire pour lui a-t-il atténué votre douleur ?
Oui, l'écriture a été pour moi un exutoire. Elle m'a permis d'aller vers l'infiniment grand, de dépasser ma personne et mes peines qui ne sont qu'une goutte d'eau dans l'océan de souffrance qui nous entoure. Alors je prie Dieu d'apaiser nos tourments et de nous guider vers la paix.
Avec le recul, aviez-vous senti durant les années de vie de votre fils, qu'il ne resterait pas longtemps sur cette terre ?
Non, pas du tout. Il n'était pas de santé fragile, et comme tous les enfants de 18 ans, il espérait en l'avenir. Il était studieux et se consacrait beaucoup à son BTS de finances et comptabilité. Il avait des résultats satisfaisants, cherchant toujours à s'approcher d'experts comptables, car c'est la profession dont il rêvait (malgré son amour pour la philosophie).
"Partez et laissez-moi mon Samba. Je le vois en haut, là-bas" écrivez-vous. Vous arrive-t-il de l'entendre vous parler ou vous consoler ?
J'ai trouvé le réconfort en Dieu. Le poème que vous citez est une image qui exprime mon état intérieur à un moment précis.
"Toi qui m'as fermé l'œil matériel Et ouvert celui du spirituel". Est-ce que ça signifie que sa mort vous a rendue plus spirituelle ?
J'étais spirituelle, mais je suis devenue plus encore car chaque épreuve nous grandit davantage.
Vous écrivez dans le poème "L'écriture" : "La réussite, c'est vraiment le travail". Comment justifiez-vous cette phrase ?
Cette phrase découle d'une méditation. Dieu est le plus grand travailleur et sa Création est parfaite. Si on accepte l'effort que nous demande une situation, on en tire les résultats. Le dépassement débouche toujours sur la réussite pourvu que l'on sache l'apprécier à sa juste valeur.
"Pauvre Afrique" ! Vous la croyez vraiment pauvre ?
Non, elle est riche potentiellement. Mais qu'est donc l'or si tu ne réalises pas que c'est de l'or ? Mon père aimait à dire que l'esprit et l'humanité sont le propre de l'homme, sa richesse. L'Afrique qui refuse de penser pour ressortir ce qu'elle a en propre, l'Afrique qui refuse de travailler pour réaliser son indépendance matérielle et spirituelle, cette Afrique-là est pauvre. L'Afrique qui recherche l'argent pour l'argent sans se soucier du bien-être de sa communauté, cette Afrique-là est pauvre. L'Afrique qui laisse sa jeunesse vigoureuse sans héritage culturel ni éducation, cette Afrique-là est pauvre. Sans travail, sans effort, nous resterons à la traîne.
Quel a été le premier poème écrit ? Et aujourd'hui, vous en comptez combien ? Tous ces poèmes ont été écrits sur combien de mois ?
Mon premier poème date de 1984, et concernait mon père. Le premier relatif à mon fils; "L'éveil" a été écrit le jour de son décès (09/09/2006) à 23h30. Pendant les deux mois qui ont suivi, j'en ai écrits une centaine.
Comment réconfortez-vous vos quatre enfants qui restent ? Votre mari vous a-t-il consolée et de quelle manière ?
Ce sont plutôt eux qui me réconfortent. Enfin nous nous soutenons mutuellement. Nous discutons beaucoup et la mort de Samba n'est pas un sujet tabou. Il nous arrive de rire de ses farces. Concernant mon mari, le réconfort est également réciproque, car c'est aussi son fils; il le connaît depuis l'âge de quatre ans. Il a accompagné mes moments difficiles avec patience, et nous nous efforçons de ne regarder que la vie.
Aujourd'hui, comment est géré tout le fonds littéraire de votre père et comment perpétuez-vous son souvenir et sa promotion ?
Je ne pourrais pas vous en dire beaucoup, dans la mesure où cette tâche est confiée à notre sœur cadette qui s'y emploie depuis la mort de Madame Hélène Heckman. C'est le lieu de remercier infiniment Monsieur le Président de la République, son excellence Laurent Gbagbo, pour l'effort particulier consenti à la création de la Fondation Amadou Hampâté Bâ. Je pense que c'est un précieux outil de recherche que tous les hommes de culture attendaient et apprécient à sa juste valeur.
Pour terminer, des mots de réconfort pour toutes ces femmes qui ont perdu un être cher ?
J'ai écrit ce recueil de poèmes au départ pour pleurer mon fils et crier ma douleur. Au fur et à mesure j'ai trouvé le réconfort et j'ai voulu partager mon espérance avec les victimes, les parents de victimes et toutes les personnes sensibles à la détresse humaine. A toutes les femmes qui ont perdu un être cher, mais aussi tous ceux qui souffrent, je voudrais communiquer mon espérance en Dieu qui soulage toujours le chagriné qui lui confie son chagrin.
Propos recueillis
par Isaïe Biton Koulibaly
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