Oumou Ahmar Traoré est malienne. Elle vient de publier à Bamako, aux éditions Asselar de Maira Sow, son premier roman sous le titre "Mamou, épouse et mère d'émigrés". Epouse d'un diplomate, elle a fait de la promotion de la femme un sacerdoce et ne pouvait que choisir AMINA pour se confier. |
Vous êtes titulaire d'un DEA d'études féminines de l'Université Paris 8. En quoi consistaient ces études féminines ?
Les études féminines ne sont autres que la traduction française du terme anglais "gender studies", en d'autres termes ce sont des études basées sur les rapports sociaux entre les sexes. Elles permettent de mieux comprendre l'histoire des femmes et des hommes dans différentes sociétés. L'université de Paris 8 était pratiquement la seule à avoir un département d'études féminines en France avant l'année 2000 si mes souvenirs sont fidèles.
Y a-t-il une différence entre les conditions de la femme européenne et africaine ? Quelles sont les différences fondamentales ?
Je vois plutôt beaucoup de ressemblances. J'ai été agréablement surprise de découvrir que les femmes européennes et les femmes africaines sont des sœurs, qu'à un moment de l'histoire elles ont connu le même sort, qu'elles ont partagé le même destin. Ma directrice de mémoire disait sans cesse que dans les faits, l'Africaine est plus libre que l'Européenne. J'ai appris par exemple que dans le temps en Europe, seul le consentement du père prévalait dans la famille. C'était à lui et à lui seul de donner la jeune fille en mariage. En Afrique aussi le père ou patriarche décidait du sort de la jeune fille, c'est encore le cas dans certains endroits. En France, à l'école, les matières dites "nobles", c'est-à-dire les matières scientifiques, n'étaient pas enseignées aux filles. Elles recevaient des cours de couture et de cuisine. La première fille à avoir le bac en France l'a eu à l'âge de 30 ans. Dans nos pays aussi, pendant longtemps, les filles ne fréquentaient pas l'école mais, une fois inscrites, elles bénéficient des mêmes cours que les garçons. C'est Charles De Gaulle qui a donné le droit de vote aux Françaises, en Afrique en tout cas au Mali, les femmes peuvent se désintéresser de la politique mais, jamais une loi ne leur a interdit de voter. Je sais aussi que jusqu'en 2002 en France, certains milieux étaient fermés aux femmes tels la franc-maçonnerie ainsi que certaines fonctions dans la religion comme celle des prêtre. En Afrique, plusieurs milieux et professions restent l'exclusivité des hommes. La contraception était interdite aux Françaises avant la loi Veil, en Afrique toutes les femmes ne sont pas encore libres de disposer de leur corps. Jusqu'à une date récente au Mali, la femme mariée ne pouvait accéder à la contraception sans l'autorisation de son mari. Les Européennes ont tourné la page concernant certaines questions, pendant que les Africaines y restent toujours attachées. Elles croulent sous le poids de certaines coutumes et traditions qu'on ne retrouve pas en Europe. Le mouvement féministe s'il ne s'essouffle pas après avoir eu gain de cause dans divers domaines est presque révolu en Europe alors qu'il bat son plein sur le continent africain. Les exemples ne manquent pas.
Vous êtes chargée de mission au Ministère de la Promotion de la Femme, de l'Enfant et de la Famille. En quoi consiste votre travail ?
Au Mali, on trouve dans les Cabinets ministériels des Chargé(es) de mission qui ont chacun(e) une tâche bien définie: Je suis responsable du volet information et communication. C'est un travail de conception et de coordination tant à l'interne qu'à l'externe. Je m'occupe de la circulation de l'information tant au sein du département qu'en dehors. Je me charge des relations du ministère avec les médias et j'y surveille son image.
Après avoir été journaliste, voilà que vous publiez votre premier roman. Comment expliquez-vous votre passion pour l'écriture ?
L'environnement familial m'a été très favorable, mon père - paix à son âme - était un boulimique des livres. Et autant il lisait, autant il rédigeait. A force de l'imiter, j'ai fini par lui ressembler. Depuis que j'ai plongé dans le monde littéraire, c'est-à-dire depuis l'enfance, je n'en suis plus ressortie. J'ai gardé le profil littéraire tout au long de mes études. J'aime la langue française. Sa complexité - qui fait aussi paradoxalement sa richesse et sa beauté - me fascine toujours. Les mots me donnent la chair de poule et me font facilement verser des larmes mêmes quand ils ne sont pas tristes.
Pour celles de nos lectrices qui n'ont pas lu votre livre, quel en est le résumé ?
C'est l'histoire d'une famille modeste mise à genoux par l'émigration. Mamou, la mère des enfants, regarde de manière impuissante sa famille se vider. Après son fils aîné, Doudou Michel, un étudiant sur qui elle fondait tous ses espoirs, ce sont les deux frères qui lui emboîtent le pas et avant eux tous, c'est le père qui a été le premier à partir. Ignorant tout de cet homme et réduite à sa seule personne avec tout ce que cela entraîne pour une femme, elle devient à la fois homme et femme, femme au foyer et chef de ménage. Mais la décevante vie du sans-papiers en Europe, l'image exécrable de l'Afrique et des Africains conduisent Doudou à regarder autrement la vie.
Qu'est-ce qui vous pousse à écrire ?
Les conditions de vie dans nos villages et dans certaines de nos villes, la détresse des familles, des épouses, des enfants et des mères réduites à des années d'attente, l'attitude de certains migrants qui incitent d'autres au départ, le drame humain sur le chemin de l'émigration clandestine, les conditions des sans-papiers, l'attitude des médias qui font de l'Afrique un continent sans espoir.
On vous dit d'ethnie Sarakolé, majoritaire parmi les émigrés. Comment expliquez-vous que ce soient les Sarakolé qui partent le plus ?
Auparavant, la division sociale du travail faisait que chaque couche ethnique avait un métier, une tâche bien définie. Le commerce revenait d'office aux Sarakolé - qu'on appelle aussi Soninké ou Marka. Ils se déplaçaient pour vendre leurs marchandises, d'où la tradition du départ, et lorsque la famille ne disposait pas d'un fonds du commerce, il revenait au garçon d'aller à la recherche de ce fonds. Au fil du temps, les migrants ont pris l'habitude de s'établir sur les lieux d'accueil. L'émigration est ainsi devenue une tradition, une culture chez les Sarakolé. La quête permanente de la richesse a fait d'eux des émigrés.
Dans votre roman vous ne vous étalez pas sur le problème mais comment ces femmes peuvent-elles résister à la passion sexuelle ?
Habituellement quand l'homme part à la recherche de la fortune, la femme reste, mais elle est toujours sûre de son retour, c'est pourquoi, dès le premier jour du départ, elle engraisse un agneau, comme c'est le cas de Mamou dans le roman. L'âge de l'animal qui lui servira de repas, le jour du retour de l'homme, témoignera du nombre d'années passées en dehors du foyer. Mais la cherté de la vie et le durcissement des mesures contre l'émigration rendant presque impossible le retour des migrants, beaucoup d'épouses et de jeunes fiancées sont malheureusement happées par l'adultère et l'inceste.
Toutes ces femmes qui restent des dizaines d'années sans voir leur mari et vivent dans le dénuement, quelles possibilités ont-elles de s'en sortir ?
Celles dont les maris parviennent à émerger vivent dans une relative aisance mais elles sont peu nombreuses. Les autres deviennent des personnes à charge et doivent s'habituer à la débrouillardise.
Celles qui tombent enceintes ont-elles des possibilités de vivre avec leurs enfants dans le village ? Et quelles sont les décisions prises par les maris ?
Les enfants nés de ces unions interdites ont peu de chance de survivre, d'où l'infanticide ou les tentatives d'infanticide. Les villes et les villages regorgent d'enfants abandonnés ou tués et les prisons ne désemplissent pas. C'est un vrai drame car nombre de ces femmes et de ces jeunes filles vont jusqu'à mettre fin à leurs jours pour sauver leur honneur ou disparaissent tout simplement. Le phénomène est moins poignant en ville où les femmes ont plus de liberté et les pressions sont moins intenses. Néanmoins, elles ont un point commun: elles cessent d'être des femmes dignes. Quelques hommes les gardent en reconnaissant l'enfant hors mariage (elles n'auront pas l'occasion d'en faire d'autres) comme le leur recommandent l'islam et la loi. Si le couple est en régime de monogamie, l'excuse est toute trouvée pour changer d'option ; quand la situation est déjà polygamique, les choses sont moins compliquées. Il n'est pas rare, aussi, qu'un mari refasse sa vie après avoir émigré; il remercie par un simple coup de fil ou une banale lettre son épouse qui aura attendu des années. Il n'y a malheureusement aucune conséquence, aucun risque ni sur le plan social, ni sur le plan pénal, aucune poursuite n'est engagée.
Vous qui êtes épouse de diplomate ayant vécu en France, comment expliquez-vous les départs massifs vers la France. Ce pays est-il vraiment l'Eldorado ? Que pouvez-vous dire à ceux qui le pensent pour les décourager de partir ?
Pour avoir été le premier contact de nombre d'Africains avec
l'Occident du fait de la colonisation, la France et le monde blanc ont
symbolisé la prospérité, le savoir, la force et le
bonheur. Aux lendemains des indépendances, la main tendue aux Africains
pour répondre à certaines demandes sociales a favorisé les
premiers départs et à l'utilisation de la main d'œuvre
africaine non qualifiée ; des étudiants ont pu mener de
brillantes études et tous ont produit de l'effet dans leur
société. Dès lors est né le mythe de l'Occident.
Les réalités ont changé mais le mythe demeure et c'est ce
mythe qu'il faut briser. Cela nécessite l'effort conjugué des
pays de départ et des pays d'accueil; l'implication dans des campagnes
d'information et de sensibilisation de ceux et celles qui ont vécu en
Occident, les migrants eux-mêmes. Il faut partout expliquer, prouver que
la France, symbole du pays des Blancs, est tout sauf l'Eldorado lorsqu'on n'y
est pas convié. J'ai suffisamment porté de témoignages
dans le roman à travers le personnage de Doudou-Michel, un sans-papiers,
son ami Frank Malonga et d'autres immigrés.
Cependant, il faut reconnaître qu'il est difficile de retenir un candidat
au départ en ne lui donnant pas des raisons de rester chez lui. Pour
cela, nos pays doivent identifier les ressources et les répartir
raisonnablement, créer des perspectives et donner à chacun et
chacune des raisons valables pour rejeter systématiquement
l'émigration irrégulière.
Que peuvent faire les femmes restées en Afrique pour se prendra en charge matériellement, financièrement et sexuellement ?
Elles sont très affectées, il faut nécessairement leur venir en aide en leur donnant un certain statut. Cela implique qu'on leur accorde une allocation, qu'on leur accorde la facilité d'aller voir leur époux. Tous les époux ne sont pas des sans-papiers. Du fait de la promiscuité, certains maris préfèrent vivre soit seuls soit en compagnie d'une seule épouse et naviguer entre les autres qu'ils laissent au pays. Pour être équitable, il serait préférable de donner aussi la possibilité aux autres de le retrouver. Il y a lieu de mener des réflexions sur ce problème.
Vous vous appelez Mme Cissé et ce nom n'apparaît pas sur la couverture de votre livre. Comment l'expliquez-vous ?
Il n'y a rien de grave, c'est une œuvre littéraire et en général la première page est signée de l'auteur. Le nom Cissé est bien portable et il figure en quatrième page.
Comment réussir sa vie de couple en étant femme de diplomate ?
Epouse de diplomate, au début j'ai trouvé cela assez marrant.
Vous savez, que quand on est reporter, on a toujours ses lacets et son pagne
noués, prêt à courir derrière l'information. On n'a
pas toujours le temps de se poudrer le nez. Les diplomates sont des gens
très regardants sur leur look, sur tout ce qu'ils font. J'ai eu un peu
de mal, mais, j'ai fini par m'adapter. Etre épouse de diplomate, c'est
avoir sa valise constamment prête, c'est être une
émigrée régulière, c'est dire souvent au revoir
mais pas adieu à son poste et à son travail si l'on n'est pas
fonctionnaire, en tout cas si l'on doit rejoindre son mari. Le Mali aime
tellement ses diplomates que sur le passeport diplomatique il a fait passer le
conjoint ou la conjointe comme une profession : "profession : épouse ou
époux de....". Seule la profession du diplomate ou de la diplomate
justifie la présence de sa femme ou de son mari dans le pays
d'affectation.
Etre épouse de diplomate, c'est vibrer avec ses compatriotes à
l'étranger, c'est vivre pleinement le métier de son époux.
C'est fabuleux comme aventure, on y réussit sa vie avec un peu de
concession et de patience.
Quels sont vos projets en matière littéraire ?
L'écriture est une passion pour moi. Ce premier roman a été très bien accueilli au Mali. J'étais loin d'imaginer qu'il allait avoir un tel écho et je suis dans l'obligation de continuer. C'est un pacte qui me lie désormais à toutes celles et ceux qui ont porté cette œuvre dans leur cœur.
Quel message avez-vous pour les Africaines ?
Les femmes africaines ont de la valeur, elles sont capables de beaucoup de choses positives. Leur condition n'est pas toujours facile. Je veux qu'ensemble, nous créions un vaste mouvement de solidarité autour de nos sœurs, de nos filles et nos mamans qui vivent loin des leurs du fait de l'émigration. Que nous nous organisions autour de ceux et celles qui vivent dans des conditions difficiles en Afrique et en Europe. Je voudrais que nous mettions nos expériences à la disposition des Etats et que nous tirions de l'écriture la force qui nous libère et qui sert aux autres.
Propos recueillis
par Isaie Biton Koulibaly
Contact: Les éditions Asselar
E-mail: [email protected]