Témoignage de Léonie ABO
3 octobre 1991
Il y a 23 ans, jour pour jour, que Pierre MULELE était assassiné par le dictateur de Kinshasa, Joseph Désiré MOBUTU. La cause et les circonstances de la mort de cet illustre fils du Congo Kinshasa actuel, Zaïre n'ont jamais été présentées officiellement au grand public, excepté dans les livres de Mr Ludo MARTENS, intitulés 'Pierre MULELE ou la seconde vie de Patrice LUMUMBA' et 'Une Femme du Congo'.
A l'occasion de ce 23e anniversaire, Léonie ABO, sa compagne de lutte dans le maquis du KWILU, a décidé de faire un large témoignage sur la vie de Pierre MULELE, son action politique et la portée de sa lutte armée, afin de permettre aux jeunes générations d'avoir une idée correcte et juste de cet homme qui a toujours été présenté par le pouvoir mobutiste en place comme un vulgaire personnage, bandit, assassin, bref un rebelle.
Au moment où s'impose la relecture de l'histoire du Congo-Kinshasa, le récit de Madame Léonie apparaît comme une source importante et de première main, la meilleure connaissance de la pensée politique muleliste permettant sa réhabilitation en tant que Martyr de la révolution congolaise (Zaïre). Venons-en aux faits.
1963, une insurrection armée est déclenchée dans le KWILU sous la direction de l'ancien ministre de l'Education Nationale du gouvernement de Patrice LUMUMBA, j'ai cité Pierre MULELE. Celui-ci mène pendant cinq ans une lutte implacable contre la dictature installée à Kinshasa. Il mobilise de grandes masses populaires pour une action politique et militaire contre les ennemis du peuple. Les trois-quarts du territoire du Congo-Kinshasa tombent sous son contrôle. MULELE devient ainsi à travers le Congo-Kinshasa et le monde, le symbole de la résistance contre l'exploitation et l'oppression. Pierre MULELE incarne toutes les origines des foyers insurrectionnels du Congo-Kinshasa, tout comme MOBUTU porte en lui tous les germes de la pollution politique et incarne le 'Mal Zaïrois'. Il y a lieu de s'interroger:
Qui est Pierre MULELE?
Pierre MULELE est né le 11 juillet (1929 ) à ISULU-ATEN, un petit village situé dans le Secteur de LUKAMBA, dans le territoire de Gungu, District de KIKWIT (actuelle région de BANDUNDU). Fils de Benoît MULELE, infirmier et d'Agnès LWAM, ménagère, il a hérité de ses parents, comme son unique soeur Thérèse MULELE, une éducation très modeste.
Il entreprend ses études primaires dans son village natal, ATEN. Brillant élève, il est admis au séminaire de KINZAMBI qu'il abandonne trois ans après pour incompatibilité philosophique avec les prêtres: MULELE ne voulait pas reconnaître le dogme de l'immaculée conception.
Après cette exclusion, il poursuit ses études à l'école moyenne de LEVERVILLE où il fait la connaissance de Théodore BENGILA qui, désormais, deviendra son compagnon de lutte. Dès son passage à LEVERVILLE, MULELE acquiert un esprit révolutionnaire auprès de son ancien professeur Charles DAUVIN, mort plus tard foudroyé par un orage. A cette époque, il déclarait à MULELE et à ses amis: un jour, le Congo reviendra aux enfants de ce pays. Mais ne croyez pas que cela arrivera sans coup férir. Comment les Belges sont-il arrivés ici? Ils ont dû conquérir cette terre. Il y a eu de nombreux morts. La Belgique ne vous cédera pas une si belle conquête. Quelques belges sont arrivés ici avec des idées progressistes, ils ont été mal vus, on les a arrêtés et expulsés. Ne vous faites pas d'illusion, la lutte sera dure. Survint ensuite le service militaire forcé qui lui apprit, à la lecture des archives militaires, que la force publique est un instrument de répression entre les mains des colonisateurs.
Dès lors, Pierre MULELE s'évertue à échafauder des plans d'émancipation de cette armée. Soupçonné et surpris par la hiérarchie militaire, il est exclu des effectifs militaires et versé à la fonction publique en qualité de Commis au Ministère des travaux Publics du gouvernement central de Kinshasa (LEOPOLDVILLE en 1952). C'est ici que commence sa carrière politique car il fréquente assidûment l'univers politique en gestation à Kinshasa.
En 1958, il crée avec ses amis: Sylvain KAMA, Fernand NIMA et Fernand MUNANGA, le Parti Solidaire Africain (P.S.A.).
En 1959, il devient Secrétaire Général du P.S.A. et il effectue in voyage en Guinée au mois de novembre de la même année. Pendant cette période, il entre en contact avec la littérature progressiste et marxiste. Pierre MULELE découvre progressivement la pensée révolutionnaire et panafricaniste de l'émancipation de l'homme colonisé et des peuples opprimés.
Après les émeutes du 4 janvier 1959, les Congolais exigent l'indépendance. Dans ce contexte, le P.S.A. de MULELE et les autres partis nationalistes luttent coude à coude pour la bataille de l'indépendance. C'est pour cette raison que l'on retrouve Pierre MULELE dans les rangs de LUMUMBA, président du M.N.C/L. Pour la même raison, en le retrouve à la Table Ronde Economique de Bruxelles en 1960. Elu député national dans le district de KWILU, il est nommé Ministre de l'Education Nationale dans le premier gouvernement du Congo dirigé par Patrice LUMUMBA.
Pierre MULELE et la lutte pour l'idéal de libération du Congo.
Deux mois après l'indépendance, le gouvernement LUMUMBA est révoqué illégalement par ordonnance du chef de l'Etat, KASA-VUBU, le 12 septembre 1960. Lentement mais sûrement, la situation se dégrade aux Congo-Kinshasa. L'ex-premier Ministre Patrice LUMUMBA entre en clandestinité et il est pourchassé par la soldatesque au service du MOBUTU et KASA-VUBU. LUMUMBA qui veut sauver le gouvernement légitime cherche le moyen d'atteindre STANLEYVILLE où il a une assise populaire solide. Dans sa fuite on retrouve Pierre MULELE parmi les inconditionnels et ce dernier ne l'abandonnera qu'après son arrestation par MPONGO Gilbert.
Rescapé, MULELE poursuit sa route jusqu' à STANLEYVILLE, capitale des nationalistes Congolais. Le Congo-Kinshasa entre alors dans une période agitée. MOBUTU et le groupe de MBINZA (NENDAKA, JUSTIN BOMBOKO...) sème la terreur et la désolation partout. Les libertés individuelles fondamentales sont bafouées. MOBUTU et sa clique installent à Kinshasa un gouvernement illégitime et impopulaire: celui des Commissaires Généraux issus du premier coup d'Etat de MOBUTU le 14 septembre 1960. Le Congo éclate et connaît la sécession Katangaise de Moïse TSHOMBE, puis celle du sud KASAI avec Albert KALENDJI. Le cycle infernal de la violence atteint son apogée avec l'assassinat odieux et crapuleux de Patrice LUMUMBA, Maurice MPOLO et Joseph OKITO, livrés gracieusement à TSHOMBE par MOBUTU et KASA-VUBU.
Entre-temps les nationalistes se réorganisent à STANLEYVILLE sous l'autorité du vice Premier Ministre Antoine GIZENGA qui proclame STANLEYVILLE, capitale provisoire de L'Etat Central et du gouvernement légitime. C'est à ce titre que MULELE est envoyé au Caire en qualité d'Ambassadeur de la République Populaire du Congo (Zaïre). Malgré la résistance des nationalistes retranchés à STANLEYVILLE, les forces anti-peuple s'emparent définitivement du pouvoir par de multiples astuces et installent leurs hommes. Parmi ces astuces nous pouvons mentionner le Conclave de LUVANIUM qui consacre le triomphe de la bourgeoisie nationale en installant Cyrille ADOULA comme Premier Ministre et la capitulation des nationalistes avec l'arrestation d'Antoine GIZENGA à la prison de Bula MBEMBA. C'est dans ce contexte de désagrégation générale et d'instauration de la dictature bourgeoise orchestrée par le lieutenant Colonel (à l'époque) MOBUTU que MULELE décide de recourir à l'insurrection populaire pour rétablir la légalité.
Après un bref séjour en Chine où il a appris les techniques élémentaires de la guérilla, il regagne clandestinement son KWILU natal avec ses deux compagnons Théodore BENGILA et Felix MUKULUBUNDU en passant par Kinshasa. Dès son arrivée, MULELE se consacre au recrutement des jeunes gens destinés à devenir des 'moniteurs politiques', dont la mission est de conscientiser politiquement les masses. Malheureusement son plan d'action sera trahi par des éléments petits bourgeois tels que KIMPIOBI, LETA et KAMITATU pour ne citer que ceux-là. Le pouvoir illégal de Kinshasa passe à l'offensive. Il commence par la destruction des villages, le massacre de tous ceux qui sont soupçonnés de connivence avec MULELE.
Désabusé et désemparé par la violence avec laquelle le gouvernement Mobutiste a réprimé l'action des nationalistes, Pierre MULELE s'active à l'organisation politique et militaire des masses pour contrecarrer la violence criminelle des agents de MOBUTU.
Cinq ans durant, les masses du KWILU et des autres régions du Congo-Kinshasa acquises à la cause nationaliste, se battent corps et âme contre la soldatesque mobutiste à l'aide de haches, de flèches, et d'armes blanches.
Dépourvue d'un parti politique structuré idéologiquement, de cadres politiques conscients, de soutien logistique, matériel et international, l'action insurrectionnelle de MULELE finit par être réprimée dans un bain de sang perpétrés par des mercenaires gracieusement offerts au traître MOBUTU par l'impérialisme international. Les masses populaires de la contrée ont connu ainsi un traitement macabre: des bras, des pieds, des seins amputés et bien d'autres sevices pour les contraindre à abdiquer.
Alors que l'armée mobutiste multipliait ses assauts, une situation critique régnait du côté de MULELE: manque de produits pharmaceutiques, de cadres, de matériel de guerre et la disette pour répondre aux attaques 'ennemies'. Traquées de toutes parts et épuisées par les maladies, la famine et les intempéries, les masses populaires se sont momentanément contraintes à se retirer dans leurs villages respectifs. MULELE se trouve ainsi coupé de sa base. Et pour braver la crise et faire face à cette situation, on introduit des cotisations pour obtenir le matériel nécessaire à la relance de la lutte. Les partisans reprennent confiance et commencent à regagner le maquis. Au même moment une délégation de Brazzaville, conduite par Dieudonné NDABALA et Paulin MOUSSIMBRIKI parvient au maquis. Pour la première fois, le maquis bénéficie de la visite d'une délégation venue de l'extérieur. Cela suscite l'engouement et la détermination des masses populaires de suivre MULELE et de poursuivre la lutte déjà amorcée en vue de la libération intégrale de la nation toute entière.
Profitant de la présence de la délégation précitée, MULELE lance un appel aux partisans et aux militants dispersés à travers le pays et à l'extérieur. Il leur demande de s'unir pour créer un parti d'avant-garde et de renforcer le maquis par l'envoi de ceux qui ont déjà subi une formation armée dans les plus bref délai afin de relancer les hostilités. Mais trois mois plus tard, l'appel demeure lettre morte et MULELE décide de renvoyer la masse des partisans dans leurs villages en attendant qu'il entre en contact avec les militants et les partisans de Brazzaville afin d'entreprendre d'autres actions en faveur de la poursuite du combat.
MULELE décide alors de rejoindre Brazzaville où il espère trouver de nouveaux appuis permettant de donner un second souffle à son action insurrectionnelle.
Malheureusement, Pierre MULELE est trahi par les Dirigeants politiques du Congo populaire de l'époque à peine arrivé et il est livré sur un plateau en or au dictateur MOBUTU grâce à un simulacre d' extradition basée sur le principe de 'bon voisinage' entre les pays de l'O.U.A.
Quelques jours après son arrivée à Kinshasa, Pierre MULELE et son compagnon Théodore BENGILA sont impitoyablement massacrés dans la nuit du 2 au 3 Octobre 1968 par MOBUTU et son 'groupe de BIANZA': J. BEMBEKE, V. NENDAKA, BEBEZE, MANZIKALA .
Comment est mort Pierre MULELE?
Pierre MULELE a été tué à petit feu et avec une telle cruauté qu'on ne saurait en supporter le spectacle. Vivant, on lui avait arraché les oreilles, arraché les organes génitaux, coupé le nez, crevé puis tiré les yeux hors de leurs orbites. Toujours vivant, on lui a amputé les bras puis les jambes. Une telle sauvagerie ne peut que couvrir de honte le régime qui l'a ordonnée.
La véritable Nature de la lutte Muleliste
Que pouvons-nous retenir d'une vie tumultueuse comme celle de Pierre MULELE? Etait-il effectivement un bandit, un vulgaire personnage, un assassin, un criminel comme le soutient à cor et à cri le régime impopulaire de MOBUTU?
Dans le cas de Pierre MULELE, une analyse politique objective s'impose. Elle démontre que MULELE s'est battu pour la sauvegarde de la légalité, une légalité incarnée par le gouvernement de LUMUMBA que MULELE a soutenu au prix de sa vie.
L'action muleliste était destinée à la résistance au pouvoir usurpateur que MOBUTU s'ingéniait à installer à Kinshasa avec ses amis de l'occident.
Par ailleurs, on se rend compte que l'action insurrectionnelle de Pierre MULELE n'est qu'une riposte à un cycle de violence déclenchée par MOBUTU lors de l'assassinat de Patrice LUMUMBA et de ses compagnons, en passant par la persécution des dirigeants nationalistes et l'arrestation arbitraire de Mr. Antoine GIZENGA, considéré à l'époque comme l'héritier spirituel de Patrice LUMUMBA .
Le mouvement insurrectionnel de Pierre MULELE peut être considéré à cet effet comme une action de légitime défense contre la violence bestiale des hommes de MOBUTU, contre une agression dont le peuple et ses dirigeants ont été victimes. L'action muleliste était le dernier recours du peuple, orphelin, démuni de dirigeants légitimes.
On peut aussi apprécier le mouvement insurrectionnel muleliste comme une lutte révolutionnaire contre un régime basé sur l'exploitation, l'assassinat, le pillage inconsidéré et la honte, qui s'installaient progressivement au Congo-Kinshasa avec la complicité de l'occident. En dernier ressort, ce mouvement a représenté l'expression démocratique la plus objective de la volonté des masses opprimées. En participant activement à la lutte ouverte, des millions de Congolais (Zaïrois) opprimés se sont clairement prononcés pour de nobles objectifs, à savoir la lutte contre le neo-colonialisme, la lutte pour la libération et l'indépendance totale du pays. C'est pourquoi les hommes, les femmes et les jeunes (surtout) militant pour un véritable changement, doivent s'unir, serrer les coudes et lutter ensemble afin de parvenir à la libération de l'Afrique en général et du Congo-Kinshasa en particulier.
De la réhabilitation de Pierre MULELE
Les événements qui se déroulent aujourd'hui à travers le monde et en particulier au Congo-Kinshasa nous permettent d'affirmer que Pierre MULELE a eu 'le malheur' de comprendre très tôt, c'est-à-dire bien avant certains de ses compatriotes, la nature véritable du régime mobutiste qui s'installait à Kinshasa. Son seul 'crime' a été de braver la dictature mobutiste l'arme à la main. Aujourd'hui le peuple congolais (Zaïrois) dans son ensemble a compris la nécessité de décrier ce régime et de lutter contre la dictature et l'anachronisme de Mr. MOBUTU.
L'histoire donne véritablement raison à Pierre MULELE et les derniers événements des 23 et 24 septembre 1991 en sont la parfaite illustration. Cependant dans le contexte politique actuel, il apparaît inopportun de recourir aux armes et à la violence pour mettre fin à un régime moribond.
Seul l'engagement politique dépourvu de toute démagogie et des partis politiques voués à la cause du peuple, conduiront au triomphe de la liberté, de la Démocratie et de la Paix dans notre pays. Pierre MULELE y a consacré toute sa vie et à juste titre.
© Léonie ABO, 1991
Revu par l'auteur en 1996
Editor: ([email protected])
Created: 2 December 2003
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