Léonie ABO
1996
1) Tout fils du pays conscient de la dérive économique politique
et sociale de son pays se pose toujours la question : Que faire pour le
devenir des pays en voie de développement ? Aussi nous nous
demandons si l'assassinat des leaders politiques n'est pas une cause
fondamentale des déboires économiques de nos jours.
2) La perte prématurée de nos dirigeants s'est
avérée aujourd'hui comme une des causes principales de nos
misères. Un pays qui ne dispose pas d'un Etat indépendant
dirigé par les nationalistes rompus ne peut être qu'une
réserve d'esclaves au service de la mafia internationale.
3) Nombreux sont les patriotes qui se réjouissent du fait que le dossier
concernant l'élimination physique de nos grands combattants soit inscrit
dans votre agenda; nombreux sont les patriotes qui disent que dans
l'atmosphère de la situation politique dominée par l'esprit de la
réconciliation et de la tolérance avec des individus sur lesquels
pèsent les crimes majeurs tant politiques qu'économiques,
débattre de l'assassinat de LUMUMBA et de MULELE ne serait qu'une
manière habile de leur offrir la belle occasion pour
bénéficier d'un pardon public. Hélas ! L'histoire nous
montre que le peuple ne marche jamais dans de telles combines. Un jour ou
l'autre les traîtres répondront de leurs actes.
4) Sans avoir du mépris à l'égard de mes compatriotes
femmes qui témoignent comme veuves des victimes du Mobutisme, j'aimerais
préciser que mon cas est différent du leur. Lorsque je parle de
MULELE, je parle plus d'un compagnon de lutte que d'un époux. Il ne
vivait que pour le Congo. Je suis restée trop profondément
marquée par les cinq années de notre vie de lutte intense dans
de grandes privations pour oublier la cause pour laquelle LUMUMBA et les
autres martyrs sont tombés. Ce vocable de veuves des victimes du
Mobutisme peut facilement nous mettre dans un même sac que les partisans de
TSHOMBE et de KASAVUBU et d'autres de la même espèce, pourvu qu'on
reste humaniste et qu'on s'apitoie sur la mort en général. Tous
les meurtres politiques n'ont pas la même signification. Mourir pour la
défense des intérêts du peuple est une chose, mourir dans un
affrontement opposant les éléments d'une même bande
téléguidée par les puissances dominatrices en est une
autre.
5) La mort de MULELE n'est pas un mystère. MOBUTU avait clamé
tout haut son exécution. Ses miliciens l'avaient cruellement
achevé en lui arrachant vivant organe par organe, jusqu'au dernier
souffle, le 30 octobre 1968.
6) Dix ans plus tard, MOBUTU s'acharnera sur sa famille: 1978, il donnera
à ses miliciens l'ordre d'abattre publiquement la vieille mère de
MULELE ainsi que ses frères, Delphin MBUMPATA, François MBWANGALA
et François MIMPEMBE.
7) Je considère que Monsieur BOMBOKO Justin raconte un mensonge grossier
lorsqu'il clame son innocence dans l'affaire Mulele. D'après lui, la
mort de MULELE était uniquement l'affaire des militaires, lui n'y
était pour rien. A ce que je sache, il n'y jamais eu une quelconque
crise gouvernementale à ce sujet. Au contraire, BOMBOKO, Ministre des
affaires étrangères, après avoir réussi sa mission
à Brazzaville qui consistait à obtenir notre rapatriement
à Kinshasa, n'avait-il pas annoncé à la radio de Kinshasa,
cinq jours après l'assassinant de MULELE : " le caporal milicien de
réserve, MULELE, condamné à la mort par le tribunal
militaire pour assassinat, viol, vol à main armée et incendie,
sera passé par les armes ? Il faudra qu'il apprenne que lorsqu'on se
complaît dans une institution qui s'est spécialisée dans
les crimes, on ne doit pas s'attendre qu'à des privilèges, on
devrait aussi être conscient du fait qu'un jour on répondra de ses
actes."
8) MULELE était-il réellement un bandit? Si oui pourquoi MOBUTU
et son gouvernement ne l'avaient-ils pas jugé publiquement tout en lui
donnant la possibilité d'organiser sa défense ? Et quel
gouvernement de ces pays qui se disent démocratiques a protesté
pour exiger le respect des droits de l'homme quand on assassinait les
dirigeants nationalistes comme LUMUMBA et MULELE ? En ce moment-là le
monde ne connaissait pas encore le pardon, n'est-ce pas ? Aujourd'hui lorsqu'il
s'agit d'écarter de la direction du pays les assassinats et les
pilleurs les amis de l'Occident on évoque le pardon. Deux poids et
deux mesures.
9) Loin d'être un bandit, comme le prétendent les MOBUTU et leurs
maîtres, Pierre MULELE n'a été pour des milliers de paysans
qu'un grand éducateur. Son enseignement a été d'une valeur
inestimable qui certainement manque cruellement maintenant à beaucoup de Zaïrois. Il a insisté sur le fait que la lutte que nous menions
était démocratique parce qu'elle permettait aux millions de
congolais de participer directement à la vie politique. Cette lutte
était aussi la continuité de la lutte de libération
nationale parce que les colonisateurs d'hier perpétuaient leur
domination par des collaborateurs locaux interposés. MULELE se demandait :
Comment pouvons-nous encore suivre ces traîtres qui ont accepté
que la Belgique agresse notre pays une semaine après
l'indépendance ? BOMBOKO, pour couvrir cette agression qui avait
causé la mort de certaines de congolais, avait signé une lettre
qui lui a été présentée par le gouvernement
congolais de l'époque. Ce qui était faux. Comment pouvait-on
suivre les TSHOMBE qui ont, à la demande des occidentaux, accepté
de faire la sécession pour saboter le gouvernement dirigé par les
nationalistes ?
10) Le principe de l'école de Pierre MULELE était d'apprendre aux
Congolais à se prendre eux-mêmes en charge.
11) L'exemple de Pierre MULELE Pierre prouve que les intellectuels congolais
zaïrois peuvent faire plus que la politique de ventre. A la vieille de
l'indépendance, MULELE a créé un parti politique, le Parti
Solidaire Africain ou PSA, comme certains le font aujourd'hui. Très
vite avec d'autres sympathisants, il s'est battu de l'intérieur pour
faire de ce parti un des instruments de lutte du peuple congolais contre les
colonisateurs. Ministre de l'Education nationale dans le gouvernement Lumumba,
Pierre MULELE n'avait pas un seul instant voulu garder les privilèges
matériels de Léopoldville dès lors qu'il s'était
rendu compte que l'indépendance du Congo était menacée. A
Stanleyville, dans la résistance, il avait considéré que le
conclave de Louvanium qui s'est tenu quelques mois après l'assassinat de
LUMUMBA était une trahison. Lorsque ADOULA parle de la
réconciliation nationale, il pense un ralliement de tous les traîtres
congolais autour de la ligne des occidentaux pour défendre leurs
intérêts dans notre pays. On sait aujourd'hui que
périodiquement les puissances dominatrices renouvellent leur personnel
local par le biais de ce genre de rencontre dite de réconciliation
nationale. Le noyau dur dirigé par MOBUTU pour maintenir le Congo comme
une néocolonie américaine a été renforcé et
légitimé par les anciens lumumbistes lors du conclave de
Louvanium.
12) La lutte que Pierre MULELE Pierre avait organisé indique le
degré des contradictions inconciliables entre les intérêts
de notre peuple et ceux des étrangers qui ont trouvé des
collaborateurs parmi les congolais. Le degré de misère de notre
peuple à l'heure actuelle témoigne de la pertinence de cette
décision prise par MULELE. Celui-ci a montré aux intellectuels
congolais que les masses populaires n'étaient pas des incultes
incapables de comprendre la chose politique, comme on leur avait appris à
l'école coloniale. Elles peuvent, si elles sont encadrées, devenir
un rempart de la résistance à partir duquel une
société nouvelle peut naître. Elles peuvent s'organiser encore
d'avantage en impliquant plus de monde dans l'entreprise de la
libération et de la construction nationale.
13) Reconstruire la politique nationale est aussi considéré comme une
action humanitaire vis-à-vis de l'opinion internationale. De ce fait, la
réussite de cette action dépend de l'organisation d'un
véritable procès qui permettra d'éclairer le peuple. C'est
seulement dans le cas d'un procès que je serais à chaque instant
disponible pour m'associer à d'autres patriotes désirant honorer
la mémoire de la résistance afin de nous constituer en partie
civile.
14) La réalisation du Procès sur l'assassinat de MULELE et
LUMUMBA n'est pas seulement une simple question de justice mais aussi et
surtout une question de la sûreté nationale. Dans la composition
de la direction politique qui devrait diriger un Etat démocratique et
indépendant pour la défense des intérêts de notre
peuple, la position de chacun des candidats sur cette affaire devrait
être considérée comme un des critères majeurs de son
éligibilité. Parce que non seulement on doit exclure de ce
processus tous ceux qui étaient mêlés de près ou de
loin dans ces crimes, mais aussi tous ceux qui se diront neutres.
15) On ne construira jamais un pays avec les égorgeurs des meilleurs
éléments de la société.
© Léonie ABO, 1996.
Editor: ([email protected])
Created: 2 December 2003
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