Monsieur Homme-Serpent Extrait d'une satire en un acte de Marie-Charlotte MBARGA KOUMA (publiée initialement sous le nom de Geneviève EKOMBA) |
Sur fond de rumeur, "Monsieur Homme-Serpent" est une satire sociale fantastique et comique sur le pouvoir, la justice et la morale. Un cacique tout-puissant et réputé détenir des pouvoirs irrationnels s'en prendrait aux jeunes filles de la cité. [...] La rumeur enfle et Mefoé, le journaliste, mène l'enquête pour le compte du journal "Minala" ... (Angèle Mbarga) |
*
Scène première
Mefoé le journaliste, Nkukuma le Chef du quartier, Anna.
Mefoé : (qui vient d'entrer dans la concession) Bonjour, Tonton
!
Nkukuma : (d'un ton paternel) Bonjour mon fils ! (il lui serre la
main et lui fait signe de s'asseoir) Que puis-je faire pour vous ?
Mefoé : (lui tend sa carte professionnelle) Je suis du journal
« Minala » et en votre qualité de chef de ce quartier,
j'aimerais avoir un petit entretien avec vous, si vos multiples occupations
vous le permettent, bien sûr !
Nkukuma : (détendu) Pas de problème mon fils. Toutefois,
je préfère que nous allions dans mon bureau, pour que personne ne
nous dérange. A moins que...
Mefoé : Ne vous en faites pas. Nous sommes bien ici.
Nkukuma : Eh bien je vous écoute mon fils.
Mefoé : Tonton, êtes-vous au courant de cette histoire qui aurait
eu lieu avant-hier soir dans notre capitale ?
Nkukuma : Non, aucune idée.
Mefoé : On dit qu'un de nos dignitaires, après avoir
séduit une jolie étudiante, se serait transformé en un
gros serpent et...
Nkukuma : (incrédule) Comment ?
Mefoé : Oui, il est devenu un gros boa et aurait avalé la pauvre
étudiante.
Nkukuma : Mon fils, vous blaguez ou quoi ?
Mefoé : Pas du tout, je vous assure. On dit même que cette jeune
fille était en compagnie d'une amie et...
Nkukuma : Il les a avalées toutes les deux ?
Mefoé : Non, bien sûr qu'il l'aurait fait s'il en avait eu la
possibilité.
Nkukuma : Jésus Maria !!!
Mefoé : On dit que la victime n'était pas sa première
proie.
Nkukuma : Mon Dieu, il en avait donc l'habitude !
Mefoé : Tout à fait !
Nkukuma : Vous autres journalistes savez pas mal de choses. Vous êtes au
courant de tout. Je parie que vous savez de qui il s'agit !
Mefoé : (souriant) Pas encore ! On dit que ses intimes
l'appellent « Amin Dada », certains « Pépé
Kallé » et d'autres « Daddy ».
Nkukuma : Si je comprends bien notre bonhomme est gros et gras ?
Mefoé : (riant) C'est ce qu'on dit !
Nkukuma : (d'un ton ferme) Il faut que ce gros gras soit
châtié !
Mefoé : Cela m'étonnerait, on dit de lui qu'il est très
riche et très puissant. Et serait membre actif d'une secte ayant pour
finalité l'octroi du pouvoir, de la puissance et de la richesse.
Nkukuma : Aaaaakiéééééé ! Si tu
approfondis tes recherches, tu trouveras que ce bonhomme est dans plein de
sectes et d'organisations secrètes. Et puis, rien ne nous prouve qu'il
ne fait pas de la magie noire. Ce serait injuste de la part des
autorités, si on le laissait impuni.
Mefoé : Vous ne croyez pas si bien dire Tonton. Mais voyez-vous, les
autorités ne peuvent agir que si quelqu'un porte plainte.
Nkukuma : Le père de la victime le fera.
Mefoé : Il faut déjà que le père de la victime ait
des preuves et pour les avoir, il faut des témoins. Or ce n'est pas
facile.
Nkukuma : S'il ne s'agit que de témoins, il en aura, s'il est
aidé par la police. Il n'y a pas de fumée sans feu. S'il y a des
rumeurs, cela veut dire que la vérité se cache quelque part.
Mefoé : Le problème c'est que personne n'ose le dénoncer.
Tout le monde semble pourtant le connaître. Il paraît qu'on le
craint à cause de sa position sociale et que si quelqu'un essayait de
lui porter plainte, il lui suffirait de téléphoner au Ministre de
la Justice pour que son dossier disparaisse à jamais du Parquet. Tout le
monde préfère donc chuchoter que de lever le petit doigt.
Nkukuma : (tristement) Ainsi, ses crimes sont connus de tous et tout le
monde feint de n'être au courant de rien.
Mefoé : Tout à fait.
Nkukuma : J'ai de la peine à te croire. Connaissait-il la victime ?
Mefoé : Non, il avait fait sa connaissance ce soir-là.
Nkukuma : Les mots me manquent ! J'éprouve beaucoup de peine pour les
parents de cette pauvre enfant.
Mefoé : Ils sont vraiment à plaindre.
Nkukuma : Si je comprends bien c'est ce qui me vaut votre visite ?
Mefoé : Tout à fait. Ayant appris cette macabre histoire hier
matin, j'ai tenu en ma qualité de Rédacteur en Chef de mon
journal, à mener moi-même mon enquête. Voyez-vous, Tonton,
il faut que la lumière soit faite sur cette histoire. C'est pour cette
raison que je me suis rendue un peu partout avant de venir vous voir.
Nkukuma : Où et où ?
Mefoé : Ayant appris que ce prétendu crime avait eu lieu au
quartier Beauséjour, je m'y suis d'abord rendu.
Nkukuma : Et que vous a-t-on dit ?
Mefoé : Seuls les passants semblent être au courant de cette
histoire. Les habitants et le Chef dudit quartier m'ont déclaré
n'être au courant de rien. Et selon le Chef du quartier, c'est une rumeur
comme tant d'autres. Or la nouvelle s'est déjà répandue
dans toute la ville comme une traînée de poudre.
Nkukuma : Et avec cela, on déclare ne rien savoir. Secret de
Polichinelle que tout cela !
Mefoé : Dans le dit quartier, certaines personnes doivent le
connaître. On m'a même situé sa villa. Mais chacun
préfère taire son nom de peur d'avoir des ennuis. Car selon les
dires, nul ne peut oser l'affronter parce qu'il a des relations haut
placées.
Nkukuma : C'est donc de cette façon qu'il fait trembler tout le monde !
C'est vraiment révoltant d'apprendre tout cela. Voilà le genre de
personnages que nos filles embrassent et à qui elles se donnent à
tout venant.
Mefoé : C'est vraiment décevant. Voyez-vous, c'est son argent qui
fait sa force. C'est grâce à son argent qu'il est tout puissant.
Je préfère être pauvre, plutôt que de me laisser
corrompre par ce criminel. Son argent est souillé.
Nkukuma : Il mérite la peine capitale.
Mefoé : N'y pensez plus, Tonton. Je vais devoir prendre congé.
Nkukuma : (voyant venir sa femme) Pas si vite, mon enfant. Voilà
mon épouse qui arrive, je parie qu'elle sera heureuse de faire votre
connaissance.
Cette scène a lieu sur la véranda, au domicile de Nkukuma.
Pour tout décor : trois chaises.
*
Scène deuxième
Nkukuma, Mefoé, Anna.
Nkukuma : (à son épouse) Anna, je te présente
Mefoé. C'est un journaliste.
Anna : Qu'est-il venu faire ? T'interviewer ?
Nkukuma : Pas tout à fait. Je suis chef de ce quartier. Et en tant que
tel, je suis une personnalité, oui ou non ?
Mefoé : Oui Tonton. Vous ne croyez pas si bien dire. Tantine,
voyez-vous, Tonton est la seule autorité de ce quartier.
Nkukuma : (fièrement) Et de ce fait, je mérite que les
journalistes me cherchent.
Anna : Ecoute-moi attentivement. Ce que j'ai à te dire mérite une
attention particulière.
Nkukuma : (prenant un air sérieux) Vas-y je t'écoute.
Anna : Je ne sais par quel bout commencer, ah Yacob !
Nkukuma : Par n'importe lequel, Anna !
Anna : Ah yacob ! je viens d'apprendre une histoire terrifiante au marché.
Une histoire vraiment terrifiante.
Nkukuma : Quoi donc ?
Anna : Figure-toi que dans cette ville, il y a un homme-serpent qui avale les
jeunes filles après avoir abusé d'elles !
Nkukuma : Incroyable !
Anna : Mais vrai, hélas ! Ce lugubre personnage a croisé deux
étudiantes qui étaient en quête d'un taxi.
Nkukuma : Et où voulaient-elles se rendre ?
Anna : En ville voyons !
Nkukuma : Et comment a - t-il procédé pour les détourner
de leur chemin ?
Anna : Quelle question ! Mais c'est à bord de sa Mercedes 500 qu'il les
a accostées. Persuadé que les deux amies étaient à
la recherche d'un moyen de locomotion, Monsieur leur a proposé ses
services.
Nkukuma : C'est le contraire qui m'aurait étonné!
Anna : Savez-vous ce qui s'est passé par la suite ?
Nkukuma etMefoé : Non !
Anna : On dirait que vous êtes distraits !
Nkukuma : Continue mes oreilles se refroidissent !
Anna : Eh bien au lieu de les emmener en ville, la Mercedes de notre bonhomme
s'est dirigée vers le quartier Beauséjour.
Nkukuma : Et que s'est-il passé ensuite ?
Anna : Ecoutez-moi bien. Une fois chez lui, Monsieur Homme-serpent a mis toutes
les batteries en marche pour créer une ambiance de fête : musique
douce, poulet rôti, poisson braisé, ndolè et j'en passe et
des meilleurs, le tout arrosé de champagne. Et vous savez quoi ?
Nkukuma : Quoi donc ?
Anna : On dit que Monsieur Homme-Serpent a pour domestiques des robots et qu'il
lui suffit d'appuyer sur un bouton, pour qu'une porte s'ouvre ou se referme
devant ou derrière lui. Et à ce qu'il paraît, ce ne sont
pas les boutons qui manquent dans cette maison !
Nkukuma : Je ne vois pas où tu veux en venir, Anna.
Anna : Une fois le décor planté, notre bonhomme choisit sa proie
dans cette ambiance bon enfant, et avant de se retirer avec sa nouvelle
conquête, il dit à l'autre jeune fille : tu es ici chez toi et de
ce fait, fais ce que tu veux et comme tu veux, ma mignonne !
Nkukuma : Quelles paroles mielleuses !
Anna : Et la jeune fille jubilait et en en profitait au maximum, les occasions
de ce genre étant rares.
Nkukuma : Tu ne crois pas si bien dire.
Anna : Après avoir bien mangé et bien bu, notre mignonne a fini
par s'endormir. Mais dans son sommeil, des gémissements
étouffés lui parviennent. Elle se réveille en sursaut et
prête l'oreille. Elle finit par se rendre compte que les deux amoureux
sont toujours couchés. Voyant qu'il se fait tard, elle décide
d'aller parler à son amie. Ah yacob ! à sa grande surprise, la jeune fille constate que la porte de la
chambre n'est pas fermée. Non seulement la dite porte est entr'ouverte,
mais sur le lit, au lieu des deux tourtereaux, elle aperçoit un corps
étrange : un gros et long boa en train d'avaler son amie.
Nkukuma : (interloqué)
A-a-aa-a-kié-é-é-éh !
Anna : Terrifiée, notre jeune étudiante court auprès du
vigile solliciter secours et protection, mais en vain ! Folle de stupeur, elle
fonce au commissariat du Vème arrondissement, d'où elle revient
plus tard escortée par la police. (s'indignant) Hi-i-i-i-Ki-i-i-!!! Ah yacob !
à leur arrivée, ils trouvent notre bonhomme installé
dans son salon et visionnant calmement une vidéo. Interrogé par
l'un des policiers, il répond : cette personne en votre compagnie est ma
copine. Nous étions déjà couchés lorsque tout
à l'heure, je l'ai vue se lever et sortir. Je me demande ce que tu as
bien pu leur raconter, chérie ?
Nkukuma : Cet homme est le diable incarné !
Anna : On dit que malgré les explications de la pauvre fille, les
policiers ne l'écoutaient plus. Ils ont fini par présenter leurs
excuses à ce lugubre personnage et sont repartis.
Nkukuma : Ce pays n'est plus en sécurité, Anna ! J'ai toujours
appréhendé cet état de faits. Si mon père revenait
à la vie, il tomberait des nues ! Que fait au juste ce sans cœur
dans la vie ?
Anna : Je n'en sais trop rien ! Selon les on dit, il fabriquerait de la fausse
monnaie.
Mefoé : Je m'excuse d'intervenir, Tantine. C'est juste pour mettre de
l'eau à votre moulin. Officiellement ce monsieur est un homme
d'affaires, dirigeant de sociétés. C'est ce que j'ai ouï
dire.
Nkukuma : Mon Dieu, où va le monde ?
Anna : Ah yacob! la villa de Monsieur Homme-Serpent est une véritable
forteresse. Elle possède trois clôtures : la première est
en béton armé et haute de trois mètres. Les deux autres,
un peu moins grandes, sont électroniques et coulissantes. Que de
millions y sont engloutis, Ah yacob!
Nkukuma : Des millions ensanglantés ! Je ne peux envier ce bourreau !
Anna : Je suis du même avis que toi, Ah yacob !
Mefoé : Calmez-vous Tonton ! N'y pensez plus. Quant à moi, je
vais devoir m'en aller. Il faut que je rencontre des personnes susceptibles de
me mettre sur la bonne piste. Mon souhait le plus ardent est de rencontrer les
parents de la victime et la rescapée. Voyez-vous Tonton, jusqu'à
preuve du contraire, il ne s'agit que d'une rumeur.
Nkukuma : Avant de vous en aller, j'aimerais savoir ce qui vous a
été dit partout où vous êtes passé et qui a
retenu votre attention.
Mefoé : A l'hôpital général par exemple, on dit avec
humour qu'il s'agit d'une campagne contre le sida. A mon humble avis, une telle
campagne devrait être organisée par le Ministère de la
santé.
Anna : Il ne fallait même pas y aller. Nous savons tous que les criminels
comme celui dont il est question se cachent très souvent dans les
hôpitaux, se faisant passer pour malades graves. Avec devant leur chambre
une pancarte où il est écrit : visites interdites. Et sont ainsi
à l'abri de tout soupçon. Vous le savez aussi bien que moi.
Nkukuma : Vous vous êtes rendu à l'université me
semble-t-il ?
Mefoé : Oui, les avis y sont partagés. Certains étudiants
ont compati en apprenant cette nouvelle. D'autres en revanche s'en moquent et
souhaitent que cette triste aventure serve de leçon aux autres
étudiantes qui comme la victime, préfèrent les «
coups pliés » qui leur donnent beaucoup d'argent aux jeunes de
leur âge.
Nkukuma : Ils n'ont pas tout à fait tort ces étudiants. Avant de
vous en aller, j'aimerais savoir ce que vous attendiez de moi en venant me
voir.
Mefoé : Aucune idée Tonton ! Un journaliste se doit de rechercher
la vérité et c'est ce que j'essaie de faire. Toutefois avant de
m'en aller, j'aimerais savoir si vous connaissez une certaine Berthe,
étudiante de son état, qui habiterait votre quartier ?
Nkukuma : Les « Berthe », il y en a plusieurs dans ce quartier.
Mais en ce qui nous concerne, nous connaissons en particulier une qui est une
amie très proche de notre nièce.
Anna : C'est exact !
Mefoé : A l'université, on m'a aussi parlé d'une certaine
Mireille. Ceux qui les connaissaient bien affirment que les deux filles
étaient des amies d'enfance et ne se quittaient jamais.
Anna : (hors d'elle) Quoi ? Ainsi, vous saviez que cette macabre
histoire nous concernait et vous ne nous avez rien dit ? Ah, vous les
journalistes, vous êtes comme les politiciens. Ils vous tuent et viennent
à votre enterrement. Pitié Seigneur ! Pourvu que ce ne soit pas
ma Mireille. Pauvre de nous ! (se met à courir en direction de la
rue)
Nkukuma : Rattrapez ma femme, j'ai subitement peur. Depuis hier nous n'avons
pas vu rentrer notre nièce.
Anna : (gigotant sous l'emprise du journaliste) Faites que ce ne soit
pas elle, mon Dieu ! Et si c'était Mireille, que deviendrai-je ? Que
ferai-je ? Que dirai-je à ma sœur ? Mireille est son unique enfant.
Mon Dieu aie pitié de moi !
Nkukuma : Je sais de quoi est capable ma femme, ne la laissons pas seule.
© Angèle MBARGA, 2008
Editor ([email protected])
[Retour à la page de Charlotte Mbarga Kouma] |
[Page d'accueil du site "Lire les femmes"]
The University of Western Australia/French
Created: 6 July 1996
Modified: 21 September 2008
https://aflit.arts.uwa.edu.au/IneditMbargaKouma6.html