LA CARTE DE MINUIT Sketch en trois tableaux de Rabiatou Njoya écrite en 1972 |
PERSONNAGES Tom: cadre compressé Dizzy: épouse de tom, femme battante Dany: employé de poste Abdul: agent d'identification Le receveur de poste Le commissaire de police |
TOM: Où est-elle encore partie? Où est elle...?
DIZZY: Oh? là là, tu en fais une tête. Qu'est-ce-que tu as?
TOM: Je boude.
DIZZY: Tu fais quoi?
TOM: Je boude, je te dis; et je boude parce que je ne te vois pas assez, parce que tu es tout le temps sortie et alors c'est plus fort que moi. Je te soupçonne.
DIZZY: De quoi?
TOM: Ben! de me tromper pardi?
DIZZY: (Eclate de rire). Mais Chéri c'est toujours les même histoires, et tu n'as jamais rien trouvé. C'est parce qu'il n'y a rien à chercher.
TOM: Peut-être que je ne cherche pas bien.
DIZZY: Ecoute chéri, je te jure sur la tête de nos enfants que depuis que je t'ai épousé, je ne t'ai pas encore trompé.
TOM: Pas encore? Qu'est-ce que cela veut dire?
DIZZY: Je dis bien pas encore parce qu'on ne sais jamais, le diable est là qui nous tente. Mais pour l'instant tu n'as pas à te plaindre, il n'y a rien, rien chéri - Cependant depuis que tu es compressé, il faut bien que je bouge la vie continue, et si je ne cours pas derrière mes clientes, l'argent des pagnes ne rentrera jamais, et si je ne récupère pas l'argent des pagnes, je ne pourrai pas régler les tontines, et si je ne règle pas les tontines nous sommes foutus. Est-ce que ça au moins tu peux le comprendre?
TOM: Ah! oui je comprends très bien, surtout que mes droits ne sont toujours pas payés. Et d'ailleurs, je te remercie pour tout ce que tu fais.
DIZZY: Voilà... Tu vois c'est clair... mon chéri... d'ailleurs je dois ressortir tout de suite pour aller retirer un pli recommandé à la poste. C'est peut-être une de mes clientes en provinces qui me paye.
TOM: Oh! Ça ne peut pas attendre demain?
DIZZY: Eh! Non parce que le dernier délai c'est ce soir à minuit et si je ne le retire pas, ils vont le retourner à l'expéditeur. Alors tu te rends compte? Par les temps qui courent si l'autre reçoit ses sous elle ne demandera pas mieux que de bien les garder, et ce sera tant pis pour nous.
TOM: D'accord...mais reviens vite, j'ai une surprise pour toi
DIZZY: Absolument, tu peux chronométrer, ton temps sera le mien. Tu me donnes jusqu'à quelle heure?
TOM: Une heure pas plus.
DIZZY: Promis, juré, dans une heure je suis à toi ne serait-ce que pour te prouver que tu te fais des idées pour rien.
DANY - LE RECEVEUR - DIZZY
DANY (postier): Ah! bonjour Mme Tom quel plaisir de vous voir, quel bon vent vous amène?
DIZZY: Ah! bonjour, vous me connaissez?
DANY: Oui, bien sûr, je vous vois souvent au super-marché. Nous habitons le même quartier.
DIZZY: Tant mieux. Je viens retirer un pli recommandé à mon nom.
DANY: A votre nom? Attendez un peu (il cherche) Voilà, il est à voux...(entre le réceveur)
LE RECEVEUR: Mme s'il vous plaît faites-moi voir ce pli. (il examine le pli) Dany qu'est-ce que c'est que ce travail?
DIZZY: Que se passe-t-il?
LE RECEVEUR: Il se passe, madame, qu'on ne retire les colis recommandés que sur présentation de la carte d'identité nationale.
DANY: Mais M. Le Receveur, je connais cette Dame.
LE RECEVEUR: Vous connaissez une dame qui ressemble à celle-ci, seule la pièce d'identité peut la confirmer.
DIZZY: Qu'à cela ne tienne (elle sort sa carte). Voici ma carte.
LE RECEVEUR: Mme vous ne pouvez pas retirer ce pli, votre carte d'identité est périmée depuis hier. Il faut vous en faire une autre.
DIZZY: Quoi, vous plaisantez? D'abord, il est quelle heure?
DANY: Il est dix-sept heures.
DIZZY: Déjà vingt minutes..
DANY: Je crois que je peux vous aider : Allez au commissariat du Ier, je vais téléphoner à un ami, il vous la fera en cinq minutes, et vous revenez me voir pour retirer le pli.
DIZZY: Vous avez dit cinq minutes et je reviens vous voir. Pourvu que Dieu vous entende, sinon mon mari n'acceptera plus jamais ce que je lui dis.
DANY: C'est à côté. Allez-y. Il s'appelle Abdou. Je lui téléphone tout de suite.
ABDUL (au téléphone): Ecoute Dany, je ne suis pas à ton service, quand tu bouffes l'argent, tu me demandes de faire le travail.
DANY (Téléphone): Non, je t'assure, il n'y a rien eu, c'est seulement une dame que j'admire depuis longtemps et je voudrais que tu me facilites les affaires en lui rendant ce service de ma part; tu vois, quoi?
ABDUL: Et moi dans tout cela?
DIZZY: Bonjour monsieur. C'est Dany qui m'a envoyé vous voir pour renouveler ma carte d'identité.
ABDUL: Donnez-moi votre ancienne carte.
DIZZY: Voilà.
ABDUL: C'est tout? D'ailleurs le patron n'est pas là; alors même si je vous l'établis maintenant il n'y aura personne pour la signer. Repassez demain.
DIZZY: Non, vous n'avez pas compris. Il faut que je rentre avec le pli et tout ceci d'ici trente minutes.
ABDUL: Mais puisque je vous dis que le patron n'est pas là. On va faire comment?
LE COMMISSAIRE: Abdule, venez me voir avec le parapheur à ma signature.
DIZZY: Mais, vous m'avez dit que...
ABDUL: J'ai dit que le patron n'était pas là. Il est peut-être revenu entre temps.
DIZZY: Je veux le voir.
ABDUL: Comme il vous plaira madame (il entre chez le commissaire avec le parapheur)
DIZZY: C'est pas possible, je deviens folle?
LE COMMISSAIRE: Madame, vous désirez me voir? Entrez.
DIZZY: Voilà M. Le commissaire, je suis venue pour le revouvellement de ma cate d'identité et je la veux urgemment parce que j'en ai besoin pour retirer un pli important qui, s'il n'est pas rétiré ce jour, sera renvoyé à l'expéditeur et cela va entraîner beaucoup de frais et de retard dans mes affaires, sans compter que nom mari m'attend sous peu de temps à la maison avec ce pli, sinon c'est tout son univers qui s'écroule.
LE COMMISSAIRE: Comme c'est compliqué votre histoire, mais je crois avoir saisi l'essentiel, donnez-moi l'ancienne carte, je vais vous en faire une nouvelle, tout de suite. Qu'est-ce qu'on peut refuser à une belle femme comme vous?
DIZZY: Merci M. Le commissaire, je l'ai déjà donnée à votre agent à l'entrée.
LE COMMISSAIRE: Abdul! Abdul! Je crois qu'il est parti, Madame, je suis désolé. Ce sera pour demain.
DIZZY: Non, c'est pour aujourd'hui, maintenant. Il faut que je retire le pli aujourd'hui, il faut que je rentre à la maison tout de suite (en tapant sur la table du commissaire). Il faut respecter la parole donnée. Vous devez m'aider... Il est déjà tard... très tard. Il fait nuit, je n'en peux plus... Il faut... (elle s'écroule)
LE COMMISSAIRE: Ma parole, elle est devenue folle? (le commissaire la recueille et ordonne une ambulance)
TOM: Laissez-moi passer, je veux voir ma femme. Laissez-moi, je vous dis que c'est ma femme.
DIZZY: Je n'ai pas pu revenir dans l'heure mais je ne t'ai pas trompé. Les gens sont très méchants. Ramène-moi chez nous.
TOM: Oui je suis venu te chercher. Nous rentrons chez nous. Et d'ailleurs voilà la surprise que je devais te faire à ton retour - ta nouvelle carte d'identité. Comme j'ai vu que tu étais toujours très occupée et qu'elle allait être périmée, j'en ai fait faire une nouvelle il y a deux jours à partir de la photocopie de l'ancienne.
DIZZY: Quoi? Tu ne pouvais pas me le dire plus tôt . . . ?
Nairobi, 4 Décembre 1993
© Rabiatou Njoya