FEMMES DU CONGO-BRAZZAVILLE
Entre amours, larmes et lynchages, la violence explose
Ghislaine Sathoud
2002
Pourquoi les veuves n'ont-elles pas le droit de vivre en paix ?
L'étonnante mort de Lucienne Tsoumou dérange. On s'interroge. On
se demande pourquoi, et comment, un acte si odieux a pu se produire. Quelle est
la véritable raison de ce crime gratuit ? Et comment ne pas faire de
cauchemars en pensant que cela peut ne pas arriver qu'aux autres ? Personne ne
peut prétendre être à l'abri. Personne. Que reproche-t-on
à toutes celles qui subissent des mauvais traitements de la part de leur
belle-famille ? Que reproche-t-on à ces femmes, si ce n'est le fait de
fonder une famille avec un homme ?
Le vendredi 20 septembre dernier, la journaliste Lucienne Tsoumou,
présentatrice du journal à Télé-Congo, a
été assassinée par un neveu de son mari. Il faut
préciser que c'est à coups de machette que le neveu a tué
celle qui, selon lui, serait responsable de la maladie qui a coûté
la vie à son oncle.[1] On se souviendra
toujours de cet acte ignoble qui n'honore personne et de sa date. Cet
événement entre à jamais dans les annales de l'histoire du
Congo-Brazzaville en général et des femmes congolaises en
particulier. Signalons que l'Association des femmes juristes du
Congo-Brazzaville n'a pas hésité à condamner ce " lynchage
horrible ".
Au Congo-Brazzaville, les assassinats de veuves sont certes l'exception, mais
la situation est loin d'être rose pour la majorité des femmes qui
perdent leur mari, et même pour la majorité des femmes
mariées : les violences de toutes sortes à l'égard des
unes et des autres ne font qu'augmenter. De nombreuses Congolaises ont
été accusées, au moins une fois, par leurs beaux-parents
de vouloir du mal à leur mari. On les accuse parfois de recourir aux
pratiques fétichistes pour bénéficier de l'amour de leur
mari. On leur attribue des amants à tout bout de champ. On affirme aussi
qu'elles détestent leurs beaux-parents. On dit bien des choses de ce
genre. On dit beaucoup de choses des épouses. C'est connu de tout le
monde. D'ailleurs, elles sont un peu immunisées contre ces sornettes.
C'est admit comme presque normal. La femme qui décide de se marier
s'attend un peu à ce que des conflits surviennent n'importe quand, pour
n'importe quelle raison avec sa belle-famille. Certains beaux-parents vont
jusqu'à demander à l'épouse de partir du domicile
conjugal. Ils décident de mettre fin à la relation amoureuse
quand eux le souhaitent. Que les beaux-parents décident de mettre un
terme au mariage de leur fils, c'est tolérable quoique totalement
condamnable. Mais que les beaux-parents décident de mettre un terme
à la vie de la veuve de leur fils, cela fait dresser les cheveux sur la
tête.
Comment se fait-il, que cette haine qui existe depuis longtemps, et à
laquelle beaucoup ne font même plus attention, est en train de prendre
une telle ampleur ? Veut-on nous priver du droit légitime,
inaliénable et sacré, de faire des choix? Ou tente-t-on seulement
de nous dissuader de fonder des familles, en utilisant les grands
remèdes au problème que les belles-familles considèrent
comme la pire calamité : le partage de l'héritage entre la veuve,
les orphelins et la belle-famille ?
Comme si le mariage en lui-même ne comportait pas déjà des
épreuves difficiles à surmonter au jour le jour, épreuves
parfois insupportables, quand ce n'est, déshonorantes. S'il faut, en
plus de ces ennuis, avoir à supporter la présence
maléfique des beaux-parents, c'est un enfer. Un enfer pour toutes celles
qui décident un jour de fonder une famille. Un enfer pour toutes celles
qui donnent leur coeur à un homme. Dans une société
où le célibat et le divorce sont réprouvés, il est
paradoxal que celles qui optent pour le mariage aient à subir les
`humeurs' de leur belle-famille, du vivant de leur mari, comme après sa
mort.
Aussi bien à Brazzaville, Pointe-Noire et Dolisie, que dans les coins
les plus reculés du pays, les filles, au même titre que les
garçons, prennent d'assaut les bancs de l'école : le taux de
scolarisation des filles est de cent pour cent au Congo-Brazzaville. Il est
impensable que dans un pays où les femmes revendiquent et s'impliquent
dans divers domaines, les épouses et les veuves soient victimes d'autant
de préjudices, simplement parce qu'elles décident de fonder une
famille. C'est carrément inconcevable. Une chose est certaine,
face à la montée vertigineuse de la haine et de la violence
envers les Congolaises veuves et mariées, même nos ancêtres
doivent se retourner dans leur tombe. Amadou Hampaté Bâ
lui-même, écrivain malien et grand défenseur de la
tradition orale africaine, n'hésite pas à affirmer : " Il y a des
pratiques que nos ancêtres eux-mêmes s'ils revenaient à la
vie trouveraient caduques et dépassées. ".
Les spécialistes sont unanimes quant il s'agit de la violence : le
cercle de la violence ne cesse de croître ; plus le temps passe, plus
importants sont les sévices subits par les victimes. Les beaux-parents
ne se limitent plus à faire vivre à l'épouse un enfer dans
le mariage. Ils se donnent même désormais le droit de lui enlever
la vie après la mort de son mari. Qui sera la prochaine victime ? Qui
sera la prochaine veuve à subir des violences de la part de sa
belle-famille ? Qui sera la prochaine épouse que les beaux-parents
cribleront d'injures et de mensonges comme un chien que l'on accuse de rage
pour le noyer? Pourquoi doit-on se créer des ennemis pour la seule
raison qu'on aime un homme ?
On le sait, les femmes ont la plupart du temps été tenues
à l'écart des projets de développement. Des auteurs se
sont évertués à montrer que les femmes jouent un
rôle considérable dans les économies, mais surtout que le
manque d'attention envers elles peut causer ou accentuer des
déséquilibres tels que le manque de productivité des
ressources humaines et la pauvreté des personnes dans les pays en voie
de développement. De nombreuses organisations adhèrent au
discours féministe. Faute d'espace, nous ne rappellerons ici que
quelques jalons du rôle important joué par l'ONU dans la
reconnaissance de la problématique des femmes. En 1970,
l'Assemblée générale des Nations Unies adoptait une
résolution portant sur une action internationale pour
l'avancement des femmes. De même, elle a décrété les
années 1975 à 1985, première décennie des femmes.
La première conférence mondiale des Nations Unies sur les femmes
a eu lieu en 1975, à Mexico, dans le cadre de l'Année
internationale de la femme. Et dans le cadre de l'Année mondiale de la
population, en 1994, l'ONU a organisé au Caire un forum international
sur le rôle des femmes dans la population et le développement
organisé.
Bien entendu, de par le monde, c'est dès la naissance que l'on constate
une différence dans le traitement des filles et des garçons.
Comme l'explique Francine Descarries : " Dès sa prime enfance, l'enfant
est conditionné à la culture de son sexe : modèles
d'action axés vers le rôle familial pour les petites filles et
vers le rôle sociétal pour les petits garçons. Il est
continuellement sollicité à être, à agir et à
penser selon les attentes sociales, d'abord exprimées par ses parents et
son entourage immédiat. Soulignons comment s'actualisent certaines de
ces sollicitations. Dès les premiers mois de la vie, frère et
soeur sont concrètement différenciés, sans parler de
l'accueil réservé par les parents au moment de la naissance
à `l'héritier' mâle habillé de bleu ! ".[2]
Comme on le voit, les discriminations de toutes sortes dont sont victimes les
femmes tout au long de leur vie viennent de loin. Toutefois, partout sur la
planète, d'Est en Ouest et du Nord au Sud, des femmes ne cessent de se
regrouper pour dénoncer les injustices qu'elles subissent. Le parcours
est long et semé d'embûches. Elles ne cessent de se heurter
à de nombreux obstacles. La situation des veuves est
particulièrement inquiétante chez nous, où elles subissent
toujours des violences. Leur sort ne cesse de susciter écrits et
discussions. Déjà en 1999, Ida Rachel Ivouba, correspondante de
l'Agence Panafricaine de l'Information (PANA), écrivait un article sur
les sévices dont sont victimes les veuves au Congo-Brazzaville.[3]
Comme les faits le prouvent, il suffit de perdre son mari pour devenir une
criminelle. C'est vraiment à croire que les hommes célibataires
ne meurent pas ! Et en plus de se faire accuser d'être à l'origine
de la mort du mari défunt, les veuves sont l'objet de toutes sortes de
violences de la part de la belle-famille. Ces atrocités sont de
véritables atteintes aux droits et libertés fondamentales de la
personne. Pourtant, comme le rappelait Mme Ivouba, l'article 800 du Code de la
famille stipule que " les rites coutumiers sont volontaires et ne peuvent
être imposés au veuf ou à la veuve ".[4]
Au Congo-Brazzaville, la veuve et les orphelins reçoivent souvent des
menaces et des intimidations de la part des parents du défunt. Il semble
même que certaines veuves `endurent' des mauvais traitements pour
éviter que les enfants subissent à leur tour des
représailles. Il apparaît que la seule colère des parents
du défunt peut occasionner de sérieux préjudices aux
orphelins. D'ailleurs, les parents du défunt n'hésitent pas
à montrer leur lâcheté au grand jour en proférant
publiquement des menaces aux orphelins. Fort heureusement, le ridicule ne tue
pas. Y a-t-il pire lâche que celui qui profite de la mort d'un membre de
sa famille pour non seulement s'emparer des biens du défunt, mais aussi
et surtout pour s'en prendre, sans raison apparente, à la veuve et aux
orphelins ? Comment qualifier le comportement de ceux qui par des agissements
cruels et rapaces dépouillent les veuves et les orphelins en plus de
leur faire subir une violence psychologique sans fin ? Est-ce de la
méchanceté ? Est-ce de la malhonnêteté ? Ce sont les
deux à la fois.
À tout cela s'ajoute une autre humiliation. Les beaux-parents demandent
souvent à la veuve d'épouser un autre homme de sa belle-famille.
Peut-on imaginer rien de plus offensant ! Si les beaux-parents font cette
proposition, c'est tout simplement pour prendre possession de tous les
biens du couple. Mais de nos jours les femmes disent non à cette
tentative de vol conjugué avec du mépris. Et cela, tout le monde
le sait : ceux qui font la proposition aussi bien que celles à qui la
proposition est faite.
Quant aux enfants, ils restent avec la mère. Certaines belles-familles
poussent la bassesse et la méchanceté très loin, au point
de confisquer les extraits d'acte de naissance des enfants, voire leurs
diplômes. Voilà le sort que l'on réserve aux enfants des
autres ! C'est ce que doivent endurer ceux qui n'ont plus personne pour les
défendre. Pour masquer sa cruauté, on justifie ces comportements
injustifiables par les traditions et les coutumes. Mais comment peut-on s'en
prendre à la progéniture d'un membre de sa famille simplement
parce que celui-ci n'est plus de ce monde ? Comment peut-on briser les liens du
sang au profit de la course à l'héritage ? Comment peut-on
être cruel à ce point, et surtout le faire sans éprouver de
remords ? Est-ce qu'on oublie que le même sort pourrait être fait
à sa propre progéniture ? Comment est-ce possible ? Comment
est-ce possible de faire tout cela seulement pour des biens matériels
?
En plus de tout ce qu'ils infligent aux femmes durant le mariage, les membres
des belles-familles continuent à les traquer à la mort de leur
mari et dans les années qui suivent. C'est à croire que le
mariage est un véritable `pacte avec le diable'. Le comportement des
neveux mérite une mention spéciale. En effet, ceux-ci se
proclament héritiers des oncles au point d'empoisonner la vie des
épouses et des enfants. Ils se permettent des `excès de
zèle' lorsque l'oncle le tolère, et quand ce dernier n'abonde pas
dans le même sens, ils se `rattrapent' à sa mort. On en est
réduit à se demander si, pour échapper aux `griffes' de la
belle-famille, il ne faudrait pas désormais se marier avec un membre de
sa propre famille.
Le constat est implacable : au Congo-Brazzaville, le seul fait d'aimer un homme
peut tout faire perdre à une femme et à ses enfants : la
tranquillité, la dignité, l'honneur, le toit, tous les biens
personnels, et jusqu'à la vie.
Notre père qui es aux cieux, nous te prions de protéger les
épouses, les veuves et les orphelins.
© Ghislaine Sathoud, 2002
Que penses-tu de tels actes barbares, toi qui donnes la vie ?
Est-ce que nos prières te parviennent toujours ?
Que de larmes ! Que d'humiliations ! Que de désolation !
Femmes du Congo, pour que cesse la violence :
Il est plus que temps de dénoncer énergiquement de tels actes
ignobles.
Femmes du Congo, pour que cesse la violence :
C'est le temps de crier notre révolte.
Femmes du Congo, pour que cesse la violence :
Serrons-nous les coudes et à l'unisson, disons non à cette
violence injustifiable et injustifiée.
Femmes du Congo, pour que cesse la violence :
Réveillons-nous ! Il faut vraiment que ça cesse.
Femmes d'Afrique, pour que cesse la violence :
Chantons ensemble un hymne à l'unité.
Femmes du monde, pour que cesse la violence :
Chantons ensemble un hymne à l'unité.
Notes
[1] La Semaine Africaine (Brazzaville),
26 septembre 2002.
[2] Francine Descarries, cité dans
Raymonde Pilon, Analyse des modes de relations hommes/femmes lors de
l'intégration des femmes dans les milieux "non traditionnels",
Montréal, Université du Québec, 1993, p. 207.
[3] Ida Rachel Ivouba, `Le Calvaire de la
veuve au Congo-Brazzaville', La Semaine Africaine, 20 mai 1999.
[4] Idem.
Editor: ([email protected])
Created: 11 October 2002
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