Les visages de l'honneur
    Une nouvelle de Ghislaine Sathoud
    Publiée à l'occasion de la journée de la femme - 8 mars 2007
    Prière de lire la notice sur la protection des droits d'auteur

    *

    Je me retrouvai nez à nez avec ma tante. Il était pratiquement impossible de lui échapper. Comment aurais-je pu l'éviter? Je ne l'avais pas vue assez tôt! Elle venait souvent à la maison et bien entendu, lors de ses visites, tante Siala demandait de voir tous les enfants. J'avoue que sa présence m'indisposait énormément. Elle avait toujours des remarques désobligeantes sur tout le monde. Ma mère, surtout, était la principale victime des sautes d'humeur de cette femme fermement convaincue que la femme de son frère devait non seulement une obéissance aveugle à son mari mais également une soumission totale à sa belle-famille. Parfois, j'avais même l'impression que ma tante essayait de prendre la place de mon père en prétendant qu'elle avait vu le soleil avant lui et qu'il ne remettrait jamais en cause les règles qu'elle nous imposait! Elle prétendait que ma mère ne prenait pas suffisamment soin de son frère alors que mon père, à plus de quarante ans, ne se plaignait jamais. Il en avait vu d'autres et il aurait été apte de constater par lui-même une négligence. Mais ma tante harcelait sa belle-sœur. Elle lui disait d'apprendre à veiller sur son frère exactement comme cela se faisait quand il était jeune. Est-ce possible? Fallait-il s'initier à la vie antérieure de son mari pour lui permettre de vivre exactement ce qu'il avait vécu dans sa famille? Est-ce vraiment possible? Même tante Siala savait parfaitement qu'elle racontait des histoires. Elle le savait et je suis certaine qu'elle ne faisait pas pour son propre mari ce qu'elle demandait à ma mère de faire. D'ailleurs, accepterait-elle qu'une belle-sœur ait le même comportement vis-à-vis d'elle? Comment pouvait-elle imposer aux autres ce qu'elle n'admettrait pas qu'on lui fasse? C'est vraiment curieux! J'ai toujours eu du mal à comprendre la vie. En fin de compte, je pense qu'elle est tout aussi complexe que la nature humaine.

    Ma tante exigeait donc que ma mère se rapproche d'elle pour apprendre à faire correctement la cuisine... Franchement! Elle pensait avoir tous les droits dans notre maison. La belle-famille s'octroie à tort ou à raison des droits, vous le savez hein? Heureusement que mes autres tantes étaient différentes sans quoi je pense que j'aurais eu peur du mariage surtout de ses conséquences. Oui, oui, le comportement de ma tante avait de quoi nous en dégoûter. C'est à cause des retombées de la dot, me disait un jour quelqu'un, pour expliquer son comportement inadmissible.

    La dot, voilà un autre problème pour les femmes, une source d'insécurité qui finit par les perturber et les placer dans une situation de vulnérabilité et de stress. Combien de femmes subissent-elles toutes sortes d'oppression au nom de la dot? Les veuves supportent un mauvais traitement au nom des coutumes et des traditions, mais aussi à cause de la dot. Les femmes mariées aussi, toujours au nom de cette dot, subissent des préjudices. Hélas, dans notre société quand on ne verse pas une dot, cela ressemble à un déshonneur et une honte pour la famille de la femme. Comment donc ne pas passer par là? Mais est-ce que l'honneur d'une famille peut raisonnablement se rattacher à un tel facteur? D'un autre côté, la dot, c'est aussi l'acceptation de la coutume, des rites du veuvage, de tout finalement. Mais comme on dit, faut-il accepter le chien et les puces qui vont avec? N'est-ce pas au nom de la dot que certains bombent le torse et agissent de manière inimaginable et inadmissible vis-à-vis des veuves et de toutes celles qui franchissent cette étape? Quoi qu'il en soit, comment une femme peut-elle refuser de faire plaisir à sa famille? Une femme peut-elle volontairement bafouer l'honneur de sa famille? Plus j'y pense, plus j'ai du mal à comprendre.

    – D'où viens-tu? me demanda tante Siala d'une voix autoritaire.

    En guise de réponse, je brûlais de lui dire que sa présence me traumatisait, que je détestais son comportement hautain, qu'elle méprisait tout le monde et se prenait trop au sérieux, mais je répondis simplement :

    – Je viens d'une rencontre pour la célébration de la journée de la femme...

    – Quoi? s'écria-t-elle. Ta mère t'a transmis le virus de la haine et de l'impolitesse! Tu ferais mieux d'apprendre à faire la cuisine plutôt que de te mettre en guerre contre les hommes. Si tu veux un jour avoir un mari, il faut écouter mon conseil.

    Ses remarques acerbes et impertinentes me sortaient de ma réserve. J'étais consciente du fait qu'elle se fichait royalement de ce que je pouvais ressentir, mais j'en parlais quand même. C'était une façon de me protéger aussi. Comme le disait souvent ma mère, il faut trouver des astuces pour se protéger et ne pas perdre la tête face à des gens comme ça. J'avais bien retenu la leçon. Des tantes Siala, il y en a beaucoup dans ce monde. Des éternelles donneuses de leçons qui, généralement, ne sont pas elles-mêmes des exemples. Malgré cela, elles fouillent dans la vie des autres pour chercher la moindre faille et faire des commentaires désobligeants, elles détruisent les rêves et dégagent un négativisme inimaginable. Rien n'est jamais bien fait quand ça vient d'une autre personne. Comme ma mère, je refuse d'accepter les propos destructeurs de ma tante et de tous ceux qui, comme elle, essaient de me dénigrer pour perturber mon esprit et scier mes nerfs.

    – Qu'est-ce que ma mère vient faire dans cette histoire? lui rétorquai-je.

    – Ta mère s'implique aussi dans ces histoires de femmes qui revendiquent tous les jours je ne sais quoi. Une femme mariée et mère de famille qui abandonne ses responsabilités pour des balivernes! Elle ne fait pas honneur à sa famille... C'est une honte!

    Je ne pouvais pas simplement me taire et la laisser s'en prendre à ma mère de cette façon-là. Elle avait cette manière de soulever des sujets sensibles qui me forçait à réagir. Comment l'ignorer et ne pas essayer d'éclaircir les choses? Elle était très habile dans ses tentatives de déstabilisation.

    – Ma mère n'a jamais failli à ses responsabilités, répondis-je.

    – Comment une mère responsable et une femme digne de ce nom peut-elle simplement penser à s'engager dans des activités qui ne font pas l'honneur de son mari?

    – Lesquelles?

    – Elle veut être l'égale de son mari? Mon frère va devoir trancher sur ce point également. Il le faut! La comédie a assez duré...

    – C'est moi qui étais avec des amies, à l'école, pour participer à des activités sur l'amélioration de la condition des femmes. Ma mère n'a rien à voir là-dedans!

    Je tenais à préciser ce point. Cette opportuniste était toujours à la recherche de nouveaux griefs pour alimenter sa cabale et sa haine contre ma mère. Je refusais de lui prêter le flanc.

    – Ta mère devrait plutôt insister pour que tu apprennes à faire la cuisine, rétorqua-t-elle.

    – Pourquoi? Parce que ce n'est pas possible de participer à ces activités et de bien faire la cuisine? lui répliquai-je.

    – Je t'apprends que les hommes n'aiment pas les femmes qui veulent aller en guerre contre eux comme tu commences à le faire.

    – Il ne s'agit pas de guerre mais d'une simple demande de prise en compte des attentes d'une partie de la population.

    – Les hommes ne le perçoivent pas comme ça. Je parlerai à ton père. Mon mari est clair là-dessus hein! Pour lui le choix doit se faire entre le mariage et les revendications.

    Elle parlait de son mari comme si son opinion représentait l'avis de tous les hommes. Quoi qu'il en soit, je ne voyais pas la relation entre ma participation à ces activités et ma compétence en cuisine. Il est tout à fait possible d'être une bonne cuisinière et de militer en faveur de la défense des droits des femmes. Alors, piquée par la mauvaise foi et les idées rétrogrades de tante Siala j'ajoutais :

    – Il y a trop de préjugés au sujet des femmes qui revendiquent des droits. Peut-être serait-il temps de discréditer ces a priori ? Une femme qui milite pour la reconnaissance de ses droits n'est pas en lutte contre les hommes! Je crois en la cause des femmes. Je pense que les femmes doivent bénéficier de plus de droits dans la société. J'ai un grand intérêt pour cette noble cause. Toutefois, je n'en veux pas pour autant aux hommes. Le militantisme n'a jamais été incompatible avec la vie d'épouse, de mère et de femme tout simplement. Tous ces préjugés ont pour but de décourager les esprits faibles, mais selon moi, il ne faut pas baisser les bras, il faut continuer à revendiquer ses droits. C'est d'ailleurs au prix de cette lutte que les femmes ont maintenant le droit d'entreprendre des études. Tout le monde sait qu'à une certaine époque ce n'était pas possible. Je crois toujours qu'il faut se battre pour l'émancipation de la femme car je vois les résultats tangibles. Mais ça ne peut pas se faire en une journée seulement! Le travail à faire est encore colossal. Même au niveau des femmes d'ailleurs.

    On imagine la réaction de ma tante à mes propos, mais rien ni personne ne m'enlèverait le droit de penser librement. Ma tante pensait-elle réellement ce qu'elle disait? Ses propos étaient-ils le fruit de la calomnie ou les effets de la manipulation de son mari? Qui sait? Mais on ne peut plus se taire. Le chemin de la libération est encore long. Même les femmes ont besoin d'une grande sensibilisation. Nombreuses se résignent et se font violence pour éviter le jugement... Malheureusement, l'honneur de la femme et de sa famille les force souvent à des sacrifices pénibles. Les contraintes sont souvent nombreuses. Comment fait-on pour satisfaire les nombreuses contraintes qui ne tiennent pas toujours compte de l'état d'âme de celle qui est au centre de l'action? Comment réussir à répondre convenablement aux multiplies visages de l'honneur sans y laisser des plumes au passage?

    © Ghislaine Sathoud, 2007.


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    Editor: ([email protected])
    Created: 8 March 2007
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