Le voyage de l'honneur Une nouvelle de Ghislaine Sathoud Publiée à l'occasion de la journée de la femme - 8 mars 2006 |
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Wami vient de réussir son
baccalauréat et se prépare à aller en Europe pour la
poursuite de ses études supérieures. Depuis quelques jours, chez
les parents de Wami, on ne parle que de son prochain voyage qui attriste ses
parents. La mère surtout, malgré son immense joie de savoir sa
fille à l'étranger pour préparer son avenir, a du mal
à se séparer d'elle.
Comme toutes les mères, son
cœur est serré à l'idée de voir sa fille partir seule
dans une société dont elle ignore totalement les mœurs et
dans un milieu où ni elle ni son mari ne peuvent compter sur personne
pour veiller à sa sécurité. C'est pourquoi ils ne
tarissent pas de conseils à son égard. Ils ne cessent de lui
répéter que son séjour là-bas ne devra être
consacré qu'aux études et rien qu'à cela.
Jouant
sur l'inquiétude de ce couple, certaines mauvaises langues, comme pour
l'aggraver, n'arrêtent pas de plaindre les parents de la jeune fille et
les jugent, par ailleurs, imprudents de l'envoyer dans un monde
où les gens peuvent facilement la détourner de l'objectif
principal de son séjour, à savoir ses études : « Il
est facile de se laisser influencer et d''adopter' les mœurs et coutumes
d'une société complètement différentes »,
disent-ils. Mais, le père ne cesse de répéter qu'il a
confiance en sa fille, qu'elle ne lui fera pas honte et surtout qu'elle
réussira les études qui justifient cet éloignement. La
mère, quant à elle, répète une nouvelle
fois ses dernières recommandations, d'une voix tremblante :
- Ma chère fille, je compte sur toi. Notre entourage raconte
beaucoup d'histoires sur ton voyage. Mais ton père et moi nous croyons
en toi. Nous savons que tu ne nous décevras pas et que tu te consacreras
à tes études. Tu ne feras pas comme ces filles qui abandonnent
tout et reviennent avec des enfants.
Wami promet à sa
mère qu'il n'en sera pas autrement. Elle promet à son père
de revenir avec les diplômes qu'ils attendent et elle se retire dans sa
chambre car la journée a été bien chargée. Elle se
met au lit, mais le sommeil auquel elle aspire n'arrive pas car cette vie
studieuse et solitaire qu'elle a promis de mener à ses parents ne
va-t-elle pas accroître la solitude qui la mine et la rendre pire
encore. Au loin, un disque parle de la déception d'une femme qui a
follement aimé un homme qui n'a rien fait pour la comprendre. Wami se
souvient alors de sa propre expérience ; elle revoit celui qu'elle avait
décidé d'oublier complètement, y parvenant presque en se
consacrant exclusivement à ses études pendant deux longues
années. Un sentiment trouble l'envahit. L'aimerait-elle encore,
malgré tout ? Ses yeux se fixent sur la chaîne en or qu'il lui
avait offerte en cadeau d'anniversaire. L'idée de le retrouver la
secoue. Ne vit-il pas depuis quelques années dans le pays où elle
va pour ses études ?... À quoi bon me torturer l'esprit,
pense-t-elle. C'est un homme marié. Et un homme marié, on ne
compte pas trop sur lui. Je me demande comment il avait réussi à
me séduire... Bien sûr, elle était amoureuse de cet homme
mais lui, était-il réellement amoureux d'elle comme il le
prétendait? Comment pouvait-elle croire qu'il pensait à elle
alors que sa femme dormait à ses côtés? Elle avait connu
tout le côté négatif d'aimer un homme marié et ce
quelle voulait maintenant, c'était vivre au grand jour. Et sur
cette pensée, elle se retourne une dernière fois dans son lit et
s'endort d'un sommeil profond, optimiste quant à son avenir et certaine
de trouver un homme avec qui elle n'aurait pas une relation de la honte, une
vie dont il ne fallait pas parler, où il ne fallait pas s'afficher,
où il n'était pas possible de passer les fêtes ensemble...
Le lendemain matin, jour fatidique, l'atmosphère est aux larmes.
Des amis sont arrivés pour accompagner à l'aéroport celle
qui va partir pour des horizons lointains. On s'affaire pour les derniers
préparatifs. On s'assure que rien n'a été oublié :
passeport, dossier d'inscription à la faculté, certificat de
vaccination, enfin tout ce qui est utile pour ne pas causer des ennuis à
Wami lors des contrôles aux frontières.
C'est le
départ pour l'aéroport international Kouenda-Kouenda. Ceux qui ne
peuvent s'y rendre embrassent longuement Wami qui pleure avec eux. Nombreux
sont les gamins du quartier qui se sont joints aux adieux.
Moi
aussi, il faut que j'aie mon bac et je dois partir vers des horizons lointains,
hurle un jeune garçon dans la rue.
Des voisins lui
demandent si elle a déjà été dans ces pays que l'on
voit dans les films et dont on parle beaucoup du froid. D'autres veulent savoir
si elle a de la famille là-bas. D'autres encore lui demandent chez qui
elle ira vivre et veulent savoir si ses parents la suivront là-bas.
Le temps passe très vite!. Le cortège s'ébranle.
Des mains s'agitent. On félicite de nouveau Wami. Des parents disent
avoir du respect et de l'admiration pour les parents d'une telle fille. Ce sont
à présent les formalités d'enregistrement qui occupent
l'actualité. Ensuite, ce sont les autres formalités, police,
santé ...
Votre attention s'il vous plait, on demande aux
passagers du vol RK056 à destination de Kiéssé de se
présenter à la salle de départ pour embarquement
immédiat, annonce le haut-parleur.
C'est l'effondrement total.
Chacun se précipite vers Wami pour lui arracher un dernier baiser. La
mère s'agrippe sur sa fille comme pour lui empêcher de partir.
Pourtant, il faut qu'elle parte! Wami, les yeux mouillés de larmes qui
perlent sur ses belles joues s'arrache à l'étreinte familiale et
amicale pour s'engager dans le hall de départ rejoindre les autres
passagers que conduit une charmante hôtesse vers l'avion. Elle embrasse
d'un coup d'œil tout ce monde dont les proches arrosent le départ
par des larmes, des cris d'adieux et les agitations de mains. Les
réacteurs vrombissent et le puissant oiseau d'acier s'ébranle sur
la piste défiant les manifestations de tristesse auxquelles se livrent
les proches. Puis, du fond de sa piste d'envol, il fonce et s'élance
dans les airs.
Wami s'abandonne, les yeux encore humides, elle pense
à ses parents, au pays qu'elle quitte et aussi à celui où
elle va arriver dans quelques heures. « Vais-je y retrouver l'homme qui a
boulversé ma vie » pense-t-elle de manière fugace, mais
elle se reprend vite : « Tout ce qui nous arrive n'est pas le fruit du
hasard et peut-être me fallait-il cette occasion de me rapprocher de lui
pour pouvoir rompre définitivement, l'oublier et me donner tous les
moyens de réussir. À une certaine époque, le mariage
était une priorité mais de nos jours le premier mari, le mari
fidèle, ce sont les études, les diplômes,
l'indépendance définitivement .... ».
© Ghislaine Sathoud, 2006.
Bravo Wami tu es forte hein!
s'écrie une jeune fille avec un enfant à la main. Moi, mon bac,
c'est cet enfant. Je me suis laissée tromper. Ce que j'ai gagné
c'est cette fille et celui qui m'a fait abandonné mes études me
dit aujourd'hui que je ne suis pas assez instruite pour lui. Un conseil, tiens
bon ma sœur et n'abandonne jamais tes études, pour rien au monde.
Merci pour ton conseil, répond Wami. Moi aussi je me permets de
t'en donner un. Rien n'est perdu. Tu peux repartir à l'école, te
choisir une formation professionnelle et t'en sortir. Un enfant ne peut pas
t'empêcher d'étudier.
Merci beaucoup, je le ferai. Je le
ferai et je suis certaine de réussir.
Il faut simplement croire
que tu peux le faire et y mettre de la volonté.
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Created: 8 Mars 2006
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